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Le luxe sens dessus dessous : comment les sites de seconde main viennent chambouler les habitudes

Publié le 09 septembre 2022 à 14:37 par Magazine En-Contact
Le luxe sens dessus dessous : comment les sites de seconde main viennent chambouler les habitudes

Si votre copine vous raconte, ce soir, qu'elle est parvenue à acheter un sac Telfar sur leboncoin, c'est une grande menteuse. Elle se l'est sûrement procuré sur Vestiaire Collective qui s'est peut être lui-même fourni chez The Brand Collector. Sur les plate-formes phygitales dédiées au second hand, que faut-il privilégier: la relation ou les transactions ? 

Les sacs et pièces recherchés en seconde main sont aussi difficiles à trouver, même sur leboncoin, que des pellicules pour les Polaroïd ou que de la moutarde chez Carrefour. Focus et tips sur une industrie en plein chamboulement. Enquête par un spécialiste parti à la recherche d'un sac verni Launer, pour cause de décès de la Reine, et désireux de comprendre l'importance des notifications dans cet univers (envois de sms, messages Whatsapp…).

Dans l’industrie du luxe, nul n’ignore les quatre piliers de la foi : renommée, qualité, rareté, exclusivité. Une religion qui compte de plus en plus d’adeptes mais aussi des réformateurs et des faiseurs de miracles portant le nom de The RealReal, Vestiaire Collective, Privé Porter, Collector Square, Farfetch ou même Depop (racheté par Etsy), Vinted, success story lituanienne ou, en France, The Brand Collector. Les sites de revente font perdre leur latin au vieux monde, chamboulent les us et coutumes et balayent quelques préjugés. Petit tour d’un horizon après qu’on a endossé le rôle de Saint Thomas. 

“Emily in Paris" Sac Scoubidou de la marque Carel

 

Posséder un sac Birkin ne tient plus de la gageure 

Pourvu, bien sûr, qu’on y mette le prix. Ou, ainsi que le remarque un internaute, qu’on contracte le crédit nécessaire – ce que tout le monde est en mesure de faire, n’est-ce pas ? 10 000 euros. Le sac iconique de Hermès charrie son lot de mythes et de légendes urbaines et a même donné lieu à un sous-genre littéraire. On pense à Bringing Home the Birkin: My Life in Hot Pursuit of the Worlds Most Coveted Handbag de Michael Tonello. L’auteur s’était fait une spécialité de la revente de Birkin en ligne via eBay, ce qui lui avait valu d'être interdit d’achat en boutique. Plus besoin comme autrefois d’acheter tous les accessoires de la marque, carrés, ceinturons et de s’insinuer dans les bonnes grâces d’un responsable clientèle pour se voir décerner le précieux graal : en 2019, un million de sacs disponibles à la revente sur les sites dédiés. Depuis, le business de la revente en ligne n’a fait qu’exploser, et les choix se multiplier. Sur Vestiaire Collective, on trouvait en mars la bagatelle de 1056 sacs Birkin… Sur The RealReal, 300 exemplaires du Birkin étaient proposés pour un prix avoisinant en moyenne les 10 000$. Le plus cher ? Un Matte Crocodile Niloticus Himalayan Birkin 30 mis en vente à 195 000$. Trouvera-t-il preneur ?  Grande question alors que bon nombre d’articles de presse sur internet suggèrent depuis plusieurs années qu’il n’y a pas de meilleur investissement - six mois plus tard, il est toujours disponible à la vente avec une ristourne de 20 000$. La marque ne s’offusque pas de cette profusion nouvelle : elle n’a même pas assez de sacs pour répondre à la demande. Hermès a ainsi annoncé en février qu’elle ouvrirait trois nouveaux sites et une école de maroquinerie courant 2022. Il faut au moins ça, vu la consommation de Nabila, égérie ou plus ou moins officieuse de la marque, qui s’est vue offrir un sac, pour son anniversaire sur une plage des Maldives, et un autre pour la Saint-Valentin par son dulciné. 

 

Le « Bushwick Birkin » contre les robots

C’est le surnom donné aux sacs, qui se vendent comme des petits pains, de Teflar Clemens, jeune créateur de Bushwick, à Brooklyn. Abordables, ils se déclinaient en trois formats vendus de 157 à 267 dollars, sont constamment épuisés, ce qui les rend aussi convoités que  le Birkin, son onéreux prédécesseur. Ce sont les seuls sacs qui se revendent plus chers selon un classement des meilleurs investissements à faire dans les sacs de luxe en 2021. Dua Lipa, Beyoncé, Alexandria Ocasio-Cortez, Solange, Oprah Winfrey, tout ce que le showbiz ou la politique compte de personnalités les plus en vogue succombe. Point de ralliement d’une jeunesse militante et racisée, ils sont, à l’instar des sites de revente, le signe que millenials et génération Z font bouger les choses. La nouvelle religion, c’est l’économie circulaire. 440 sacs Teflar sont actuellement en vente sur Vestiaire Collective, moins sur The RealReal, qui sont sold out, épuisés sur le site de la marque. Le succès est tel que les robots se sont lancés à l’assaut du site de la marque lors de la dernière mise en vente, dans une optique de spéculation. Du cuir vegan fabriqué en Chine, un idéal démocratique de sacs abordables, l’organisation de la pénurie pour des sacs qui se présentent comme non-genrés et inclusifs,  voici quelques-uns des ingrédients du business model disruptif de l’avenir. S’y ajoute évidemment la bénédiction de quelques stars.

 

Dune de Prévoisin, la génération Z au coeur du retail, et Alexis de Prévoisin, auteurs de “Retail émotions, retail in motion”

 

100 euros la paire de claquettes Lidl, jamais portée, une affaire en or ? 

Ça se passe sur Vestiaire Collective, comme nous l’a signalé une pub au cours de nos pérégrinations internet. Ayons une pensée émue pour le curateur qui s’est chargé de valider l’annonce sur un site qui se targue d’être « le leader de la mode et du luxe d'occasion authentifié ». Toujours est-il que l’historique des ventes traduit un marché relativement calme. Qu’on se le dise, les affaires du côté de la gamme d’accessoires Lidl se trouvent plutôt sur Vinted. On se rappelle que la marque de discount allemande avait habilement su faire le buzz en 2020 grâce à une collection de sneakers en série limitée. S’en étaient suivis des articles – mensongers ou peu précautionneux – qui suggéraient qu’elles s’échangeaient à prix d’or sur les sites de revente. La marque vient de remettre le couvert, avec des chaussures d’inspiration Louis Vuitton, si l’on en croit les nouveaux articles qui n’ont pas manqué de commenter cette sortie. On constate que les consommateurs ne se sont pas rués dessus comme la première fois. Les chaussures Lidl sont dénichables neuves, sur Vinted et ailleurs, au même prix, peu ou prou, que celui d’origine. Donc non, à moins de tomber sur un acheteur particulièrement mal renseigné, on ne touchera pas le jackpot en investissant dans des chaussures de la marque.

Sac Tila March

Dépôt-vente ou revente : un choix cornélien ? 

Dans la jungle de la revente en ligne, Privé Porter a su se distinguer en vendant essentiellement des sacs Birkin via Instagram, faisant ainsi l’économie de créer un site internet. Ce qui a commencé à la maison comme une petite entreprise conjugale s’est rapidement transformée en un business se chiffrant en millions de dollars. Privé Porter fait du dépôt-vente en ligne, c’est-à-dire qu’il s’occupe de la revente de vos possessions. Idem pour Rebelle qui fait uniquement dans la mode féminine. L’intérêt pour le particulier ? Lui procurer le service d’expertise, en sus de la plateforme, qui facilitera la vente de ses effets. The RealReal fait les deux – et propose deux passionnants rapports annuels qui permettent d’y voir plus clair dans un marché moins prévisible qu’on ne pourrait le penser. Vestiaire Collective l’appelle service de conciergerie, proposé par le site pour des pièces exceptionnelles. L’authentification, avec un passage par les locaux de Vestiaire Collective et les mains de ses experts, se fait à partir de 500 euros la pièce. Méfiance toutefois, si l’on en croit des témoignages sur YouTube (la vidéo au titre éloquent « Exposing Vestiaire Collective », dénoncer Vestiaire Collective) ou sur Reddit. Ainsi, depuis qu’on a commencé à hanter les grands noms du secteur, chez Vestiaire Collective, 2000 euros de rabais sur un sac Birkin en cuir noir 35 proposé initialement à 9800 euros nous sont proposés. Ce qui, selon toute indication, devrait être une affaire pourrait s’avérer un traquenard. Des clients se plaignent d’une expertise parfois défaillante. En France, de l’aveu de Hippolyte Noton, cofondateur de The Brand Collector, “le modèle du dépôt-vente ne fonctionne plus, car les gens ne sont plus disposés à laisser leurs vêtements et objets de valeur en dépôt”, raison d’être de son entreprise récemment réorientée  sur le B2B luxe pour les revendeurs : dépôts-ventes, grands magasins, grande distribution, personal shoppers, et autres concept stores, en Europe et en Amérique. The Brand Collector revendique 500 clients dans le monde et devrait atteindre 10 millions de chiffre d’affaires en 2022. Sur Vestiaire Collective, où la marque s’est positionnée depuis sa création, lui et son associé, Antoine Derbois sont parvenus à vendre 5861 articles au total, ce qui les place parmi les tops vendeurs sur le site, au même titre que Valois Vintage, dépôt-vente rue des Saussaies dans le huitième, qui a vendu 4120 pièces.

Les articles les plus recherchés : lesquels sont-ils ? 

Dur, dur, dur de se faire un avis sur ce qui attire le plus chaland sur ces sites où, malgré les tentatives de curation, à peu près tout et n’importe quoi se côtoient. Heureusement, The RealReal fait le boulot, avec des rapports annuels que l’on pourrait passer des heures à décrypter – en gardant en tête que la majorité des ventes se passe de l’autre côté de l’Atlantique. Contentons-nous d’en faire une synthèse avec un constat en forme de banalité pour commencer : en 2021 et en 2022, les marques historiques tiennent – toujours - le haut du pavé, Louis Vuitton (le cabas Neverfull MM), Gucci (Mocassin à mors), Chanel (sac Jumbo), Prada (sac Tessuto en bandoulière), Dior (Saddle Bag), Fendi, Saint Laurent, Hermès, Balenciaga, Burberry, que des noms qu’on connaît. Le sac Montaigne de Chanel est le sac pour lequel la demande s’est le plus accrue en 2020

L'iconique sac Zelig qui a lancé Tila March – © DR

Sous le mantra, les chiffres

L’économie circulaire est un mot qui revient comme un mantra mais elle repose sur une contrainte de taille : il faut tout de même, pour prospérer, que les marques les plus recherchées alimentent le marché en continu. Chez Kering, qui a investi 178 millions d’euros chez Vestiaire Collective, on a pris le train en marche contrairement à LVMH. Chez les marques historiques du luxe, il s’agit de se mettre à la page des préoccupations environnementales, de durabilité, d’inclusivité qui façonnent les comportements des consommateurs de nos jours. Creusent leur trou, dans cette circularité qui donne le tournis, des griffes qui affichent leur engagement pour une mode plus responsable : Collina Strada, Bode, Marine Serre au rayon des marques durables. Mais aussi d’autres qui jouent la carte de la fantaisie (Richard Quinn pour qui la demande a augmenté de 869%, suivi de Cecilie Bahansen +229% et Retrouvai +159%). Les Etats-Unis étant ce qu’ils sont, The RealReal fait même un classement des « black-owned brands », à la tête duquel arrive évidemment… Telfar. Par ailleurs, on a la confirmation de ce qu’on savait déjà : Balenciaga a réussi à grimper au sommet, s’engouffrant dans l’espace laissé défriché et en partie laissé vacant par les marques de streetwear comme Nike qui ont révolutionné le marché de la sneaker ces dernières années. 

Page d'accueil du site de RealReal - capture d'écran

Le dépôt-vente, quelques chiffres de plus

Millenials et génération Z investissent de plus en plus ce segment de la revente en ligne et forment déjà le gros des troupes : leur nombre ne fait qu’augmenter. Sur The RealReal, près de 16 millions d’articles ont été échangés en 2020, voici dans l’ordre les dix marques qui se revendent le plus cher : Goyard, Van Cleef & Arpels, Louis Vuitton, Hermès, Chanel, Rolex, Patek Philippe, Gucci, Cartier, Moncler.

Sur The RealReal, Millenials et génération Z sont les générations les plus représentées. Et si l'on prend ce site comme référence, les stars et must-have sont :

Les marques Goyard, Van Cleef & Arpels, Louis Vuitton, Hermès, Chanel, Rolex, Patek Philippe, Gucci, Cartier, Moncler sont les dix marques de luxe qui se revendent le plus cher. 

Le Birkin 25, en seconde main, se revend en moyenne 210% plus cher qu’au prix retail. 

Le Kelly (Hermès), est par ailleurs l'article qui se revend le mieux, à 92% en moyenne de son prix retail. 

La pochette Eva de Louis Vuitton se revend à 149% de son prix retail.

Les transactions du petit sac Coco de Chanel se concluent en moyenne à 92% de son prix retail. 

Le prix du sac Bolide (Hermès) s'est apprécié l'an passé de 22% en moyenne, la pochette Vuitton de 80%, Le Horsebit de Gucci de 51%

Le Prada Baguette et le Gucci Jackie ont connu un regain de popularité.

Parmi les marques plus jeunes et moins high profile, n’oublions pas Jacquemus ou Loewe qui séduisent. 

La montre de luxe est l’invité discret mais imposant du secteur, une valeur sûre, tout particulièrement Rolex qui se taille la part du lion, mais aussi, bien sûr, Patek Philippe ou Richard Mille.  La Patek PhilippePatek Philippe Nautilus 5722G a trouvé preneur cinq jours après sa mise en vente pour 117,995$, la Richard Mille RM030 pour 107,495$ après 10 jours. 

Mais la Rolex Sea-Dweller Special Edition Sommozzatori a été revendue sept fois plus chère qu’elle n’avait coûté  au prix retail, soit 89,995$. Franck Muller, Audemars Piguet suivent.

 

Les start-up françaises qui montent : The Brand Collector, Monogram Paris ?

The Brand Collector, fondé en 2018 par Antoine Derbois et Hippolyte Noton, est une solution d’approvisionnement B2B (réservée aux professionnels), via une plateforme dédiée, donnant accès à 15 000 produits en stock tournant à des prix grossistes, avec la possibilité de faire des demandes de devis pour obtenir de meilleures remises, ainsi qu’à une maison de vente aux enchères, qui propose entre 10 et 15 000 produits uniques. Les deux entrepreneurs font affaire avec des grands magasins et grandes enseignes de distribution, des boutiques, des indépendants, des dépôts-ventes, des personal shoppers,  et devraient doubler leur CA en 2022. Pour ce qui est du service client,  pourquoi des gens se plaignent-ils alors de la manière dont le service client est géré ? “Notre cœur de métier au départ, c’est de faire du B2B2C, c’est-à-dire de vendre sur les marketplaces, lesquelles ont souvent des problèmes de mise à jour de notre catalogue, ce qui nous a obligés à y annuler, pendant  un certain temps, un nombre important de produits. Les clients, au lieu de se plaindre auprès de Vestiaire Collective, s’en prenaient à nous, sans que nous soyons maîtres du flux. Les informations que nous envoyions étaient les bonnes, mais les marketplaces ne les mettaient pas à jour. Nous nous excusions platement, mais nous ne pouvions pas faire grand-chose. Aussi, nous avons recruté deux personnes au service après-vente pour améliorer cela au maximum et travailler en bonne intelligence avec les marketplaces. Pour gérer et historiser ces “tickets , pas de logiciel de ticketing, type Zendesk ou easiware, mais Trello uniquement. Les deux jeunes gens avouent néanmoins travailler à la question. “On  est parti du principe que la market-place devrait gérer la partie SAV, mais en constatant que ce n’est pas forcément ça, on  investit dans l’aspect SAV. L’entreprise revendique 30 salariés, un chiffre d’affaires de 10 millions auquel elle est parvenu en auto-financement et compte doubler ses effectifs d’ici un an et demi. Portée par la croissance du secteur, l'entreprise arrive donc en haute mer. A l'Essca, l'école de commerce que les deux associés ont fréquenté, les deux compères ont-ils suivi le cours sur les scale-up ?

Monogram Paris - “la relation, plutôt que la transaction” : Initialement connue sous la marque Byluxe et créée par Beverly Sonego, l'entreprise Monogram Paris tente elle également de s'installer comme une plate-forme phygitale de seconde main réputée. La fondatrice a d'abord proposé ses services au sein d'un réseau familial, créé un premier showroom et développé ensuite son audience grâce à Facebook et Instagram. Les outils d'interactions WhatsApp, Lives Instagram viennent consolider les fondamentaux de la vente d'articles de luxe selon la fondatrice: service de qualité, personnalisé. L'entreprise vise les 10 millions de chiffres d'affaire à moyen terme. Le top 5 des marques qui y sont vendues n'étonnera personne, Chanel, Dior, Louis Vuitton, Saint-Laurent, Gucci…

Pour aller plus loin: créer un sac iconique ne fait pas forcément de vous une marque iconique et pérenne, lire à ce propos ce qui est arrivé à Tila March. Certaines marques, iconiques, se voient offrir une seconde vie grâce au talent de l'équipe qui la reprend et la dynamise. Carel en est le bon exemple.

 

NB: lors de la 10ème édition d'ECTFF qui débutera le 28 septembre à la Baule, Talkdesk viendra présenter la collaboration menée avec Farftech. 

 

Chaussures Carel

 

 

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