«Gares&Connexions est une foncière commerciale d’utilité publique.» (Raphael Poli, Directeur Général de Retail & Connexions)
Lili Marlène (Dolveck) et Dédé (Manoukian), les “solistes” de l'expérience en gares SNCF, attendent de savoir quelle partition ils vont devoir jouer. Celle proposée à l'Autorité de régulation des transports n'a pas convaincu cette dernière.
Pianos en gare, qui fêtera vendredi prochain 1er Juillet les dix ans de sa création, a été et demeure un vrai succès. Mais on reste dans le flou concernant le projet de contrat entre l'Etat et SNCF Gares et Connexions pour la période 2021-2026. Comment maximiser la satisfaction des clients en gares? Qui doit assurer le service dans les 3000 gares en France et pas seulement dans les 46 les plus importantes, des salariés de Gares&Connexions ou ceux de SNCF Voyageurs ? Quelles prévisions de recettes pour financer les investissements à consentir (plus de 6,6 milliards) et valoriser le patrimoine, souvent unique, que les gares contiennent, quels engagements précis l'Etat et SNCF Gares et Connexions prennent-ils pour ce contrat de plan.. Autant de questions qui restent posées, cinq mois après que Marlène Dolveck, Directrice Générale de SNCF Gares et Connexions a été auditionnée par l'Autorité de régulation des transports. ( le 25 Janvier 2022). Ceci n'est pas anodin: chaque jour, la SNCF reçoit 10 millions de voyageurs. A titre de comparaison, donc, au 7 Janvier d'une année normale, la SNCF a accueilli autant de voyageurs que Roissy-CDG sur l'année. (NB: André Manoukian est associé aux 10 ans des Pianos en gares)
Tout l'été, En-Contact publiera une série de chroniques sur ce qui se passe dans les 3000 Gares de France.
Ce qui fonctionne bien et pourquoi: Les pianos, la passerelle Eugénie (Dalloyau), la “délocalisation” de Musée, le distributeur d'histoires courtes.
Créer de l'émotion en boutiques ou durant les voyages, le sujet d'un livre.
Dix ans après l'installation de pianos en Gares SNCF, énorme succès et initiative portée à l’époque par Sophie Boissard ( désormais aux commandes de Korian), quelles innovations ou services marquants ont-ils été testés, déployés en France, dans les boutiques ou les lieux réellement fréquentés ? Peut-on innover en matière d'expérience clients, usagers, sans heurter, plaire et satisfaire une jeune millenial et son père ?
La BnF songe à adapter ses horaires d’ouverture, modifie les process de consultation des milliers d’ouvrages qu’elle propose à ses visiteurs.. et c’est le tollé. Korian et Orpea vont devoir suivre d’un peu plus près la mesure de l’expérience patients, autrement qu’avec des e-mails envoyés aux seules familles; il aura fallu un livre pour inciter à revisiter ces process et poser la question du difficile arbitrage entre rentabilité d'une entreprise et ses pratiques de parcours patients, visiteurs. Le 3 Juin est sorti, en France, un ouvrage assez détonnant : Retail émotions, Retail In Motion narre, sans aucune censure, les points de vue confrontés d’un père et de sa fille qui ont visité et “magasiné” dans- 35 marques, lieux iconiques ou plus improbables en France. Ils y évoquent l’expérience client vécue. Or, la fille est une Millenial de la GenZ et son père un vieux briscard du Retail. Autant vous dire que ça décoiffe, que c’est rafraichissant et bourré d’insights pour des CDO ou spécialistes de ces questions.
L’ouvrage comporte en sus quelques interviews exclusives, elles-aussi instructives, dont celles des cadres dirigeants de Monoprix, de Gares&Connexions ou de grands boulangers: Dominique Anract ( le patron du syndicat des artisans boulangers), celui de la Boulangerie d'Ecole-en-Bauges (Savoie). Quand on reçoit 800 000 clients par jour, 10 millions, quand on doit concilier ceci et la rentabilité, ça donne quoi ? Quand on gère un grand musée ou une bibliothèque voire même l’ANTS ou l’ANTAI, des quasi services publics, peut-on demeurer à l’écart de ces ruptures ? La Maison Plisson est elle le Bon Marché du Bvd Beaumarchais, comme l'écrit Joséphine Vermont ? “ La multiplicité de ces regards permettra à chacun de trouver des sources d'inspiration, de croire et de s'emparer des hasards: le piano en gares n'était pas au départ un projet en tant que tel. Le 1er piano en accès libre fût déposé à Montparnasse et devant l'émotion que les notes jouées dessus ont déclenchée, Sophie Boissard et son équipe ont lancé l'expérimentation” précise l'éditeur de l'ouvrage qui ajoute: “pour ma part, c'est la voix du client qui est souvent le meilleur indicateur à suivre. Pas aveuglément et sans mise en perspective, mais la Sagesse des Foules est un moteur incroyable de changement”.
Retail émotions, Retail in motion.
Edité par Malpaso-RCM et co-rédigé par Alexis et Dune de Prévoisin.
Le retail dans les gares françaises impacterait massivement la satisfaction des clients. 10 millions de voyageurs chaque jour dans les gares la SNCF, seule en charge du domaine ferroviaire, et sa filiale Gares & Connexions voient passer l’équivalent de la population française chaque semaine dans les 3000 gares qu’elles chapeautent. Ce sont des départs, des retrouvailles, des émotions immuables que la littérature et le cinéma ont cristallisées dans des scènes plus ou moins déchirantes. On pense aux Parapluies de Cherbourg, et à son bistrot jouxtant le quai. Mais le ballon de rouge et l’œuf à la coque avalés au comptoir ont laissé place depuis à une offre infiniment plus pléthorique, et à une gestion des flux avec une composante commerciale de plus en plus marquée et assumée. La gare, ce ne sont plus uniquement des infrastructures mais du Retail, des lieux de vie à part entière qu’il faut valoriser comme tel. Entretien avec Raphaël Poli, directeur général Retail & Connexions chez SNCF Gares & Connexions sur le commerce en gare et la gare de demain.
La gare est un sujet passionnant et il faut un livre pour en résumer tous les enjeux, mais que vous disent aujourd’hui les voyageurs sur leur passage en gare et leurs attentes ?
Des études sont réalisées très régulièrement avec des panels de clients au sujet de la satisfaction client. Et les attentes du client se répercutent par ailleurs inévitablement sur le chiffre d’affaires des commerces. Au fur et à mesure que l’on transforme nos gares, on voit ce qui fonctionne ou non. Nous partons du principe que la gare repose sur deux pieds : c’est une infrastructure ferroviaire et un hub de services et de commerces. C’est-à-dire qu’on pense au contenu de la gare en sus de la pure infrastructure ferroviaire, et à son insertion dans le territoire, sa fonction de porte d’entrée. Je fais mon plan de merchandising en fonction des attentes des clients en gares mais également de ce qui se passe à cinq minutes à pied ou à sept minutes en voiture. Cette nouvelle façon de faire, pensée par Marlène Dolveck, directrice générale, envisage l’insertion de la gare dans son territoire pour répondre à une multiplicité d’usages. Toutes les catégories de la population française viennent, arrivent dans les gares : tous les âges, toutes les CSP. C’est la gare Forum. Cette spécificité ne se retrouve pas dans les aéroports, dans les centres commerciaux. Illustration parfaite, un évènement culturel comme « Les murs d’expression » en sortie de COVID : de grands monolithes en ardoise avaient été disposés pour que les voyageurs complètent à la craie une phrase commençant par « Demain, j’aimerais ». Un sociologue, Christophe Riou, a analysé les mots-clés, récurrents. Et tout ce qui ressort des demandes des clients correspond totalement aux attentes des Français dans ce qui est mesuré et noté par l’IFOP. Et l’on se rend compte que selon que vous êtes dans une gare parisienne, à Angers, Maubeuge, ou Marseille, les attentes sont susceptibles d’être assez différentes. La restauration, l’offre qui était unifiée - l’œuf à la coque par exemple - a explosé pour laisser place à une pléthore de concepts qui va du chef étoilé à la bistronomie, en passant par la vente à emporter de qualité supérieure et des modèles plus classique. Et une même personne peut être cliente de La Brioche Dorée un jour et de Dalloyau un autre.
N’est-ce pas l’enfer pour un marketeur de s’adresser à une population aussi large ?
Pour les gares, ça va dépendre de la typologie des gares et de leur insertion urbaine. Et pour prendre l’exemple des gares parisiennes, la Gare de Lyon, la Gare Montparnasse, la Gare Saint-Lazare, ce ne sont pas du tout les mêmes flux. Dans la Gare de Lyon, la galerie des fresques qui relie le hall 1 et le hall 2 a été intégralement refaite ; on y a positionné de la restauration et du cadeau alimentaire de qualité, un Sephora, une Fnac, un vendeur de lunettes, plus grands publics, nous n’avons pas mis de Brioche Dorée mais un Prêt à Manger à l’angle qui tourne bien. Et l’on vient d’installer un Pierre Hermé en complément de Ladurée et des Merveilleux de Fred.
Les gens sont-ils réellement demandeurs de commerces dans la gare ?
Il n’y a pas de débat à ce sujet et on le dit aux élus qui le comprennent très bien. Nous sommes une foncière commerciale d’utilité publique, nous participons à une économie circulaire où l’argent qu’on apporte retourne dans le système ferroviaire. Il y a un domaine public qui existe, autant qu’il soit utilisé correctement sans transformer les gares en centres commerciaux ou en aéroports qui sont souvent plus exclusifs et moins globaux dans leur offre.
La disparition du personnel en gare, c’est quelque chose qu’il faut assumer ?
Ce n’est pas si manichéen sachant que c’est également un choix des transporteurs, des acteurs locaux. Notre travail est de trouver, via nos activités, nos services, des équilibres et de proposer de la présence humaine. Sur le sujet retail, le débat est brûlant entre la supérette automatisée, physique, les drives pour réguler les flux. Il faut faire attention de ne pas transformer les gares en casiers électroniques.
Qu’est-ce qui vous a le plus étonné dans les remontées des clients ?
J’ai été surpris de constater à quel point le commerce en gare était crucial dans la satisfaction du voyageur. Il contribue entre 20 et 25% à la satisfaction du client dans son trajet global. On se rend compte que le commerce, c’est de la sécurité et de la vie, ce qui réchauffe un moment chargé de stress propre au trajet en train, qui reste à part, même pour un habitué. Et les gares deviennent des lieux de rendez-vous. Des Lyonnais vont monter pour la journée à Paris, organiser tous leur rendez-vous Gare de Lyon, à Multiburo ou au Train Bleu, et repartir le soir sans l’avoir quittée.
Avez-vous des outils pour faire du monitoring des ressentis client en quasi-temps réel ?
Dans le « new deal » que j’ai proposé aux commerçants, la qualité est un sujet essentiel. Un changement de management dans une boutique à Gare du Nord l’a fait passer du 15ème au 5ème rang au niveau national. Ce qui prouve encore une fois l’incidence de la façon dont le client est traité sur les résultats financiers. Dans le chantier qualité, nous avons donc mis en place des systèmes de monitorings en commun avec les enseignes, nous faisons appel à des cabinets qui font du mystery shopping et du contrôle qualité et possédons un outil en propre pour le screening des réseaux sociaux. Et on a intégré ces outils dans ce que j’appelle un dialogue de gestion qui se matérialise par des rencontres deux fois par an pour discuter avec les commerçants des difficultés, des points d’amélioration, des indices de satisfaction client. Pourquoi un emplacement a-t-il du succès à Marseille et moins à Bordeaux ? Le faisceau d’indices permet de nourrir un dialogue en vue d’améliorer l’expérience et la satisfaction client. (…)
*Palais des Beaux Arts de Lille.
La suite dans le livre : Retail Emotions, Retail in motion.
Interview menée en Mai 2022, par l’éditeur de l’ouvrage : Manuel Jacquinet.
Photo de une © crédit Edouard Jacquinet