Jean-François Larios, l'ASSE, Christelle, l'argent: Aimer à en crever
Les cinéastes et les footballeurs écrivent parfois leurs mémoires, dont certaines sont dispensables. Ce n'est pas du tout le cas des Chantiers de la Gloire (Jean-Jacques Beineix) ou de J'ai joué avec le feu, la biographie de Jean-François Larios, figure de l'AS Saint-Etienne de la très grande époque. Aucun de ces deux livres n'est plus disponible en édition originale ou neuve, qu'importe : achetez les (sur Momox ou Recyclivre), lisez les: ces deux opus valent bien des manuels de développement personnel.
J'ai joué avec le feu, de Jean-François Larios (avec la collaboration de Bernard Lions).
La couverture est verte, comme la couleur d’une équipe d’anthologie au sein de laquelle il a sévi et joué, balle au pied (L’AS Saint-Etienne), l’accroche sous le titre suffisamment punchy pour qu’elle atteigne son but, comme un coup franc vite et bien tiré, dès lors que l’arbitre a sifflé : J’ai joué avec le feu. Mais l’ouvrage dont je vais vous parler ce mois-ci est un livre sur l’amour et la vie et le choix assumé que font certains de se brûler plutôt que d’être sage. Tous les grands romans et récits sont, me disait je ne sais plus qui, ceux où l’on voit le héros faire un trajet, partir d’un point A pour arriver à un point B et suffisamment habiles ou émouvants pour que l’identification opère.
Ici, le footballeur fantasque et hors classe que fût Jean-François Larios s’efface, ainsi que le football, ses agents magnifiques, et la cohorte d’images et de rêves qu’il charrie. Ils s’effacent, le foot n’étant en fait que le paysage, la toile de fond d’une combustion qui se déroule et s’opère à la vitesse grand V au profit d’une épopée : celle d’un gamin de Pau, originaire d’une famille de pieds noirs et qui va tout connaitre. Ecrit sans aucune scorie, ce n’est pas un énième livre de joueur célèbre sur le retour et qui sera, par la magie de quelques confessions distillées, invité sur les plateaux. C’est un livre sur l’amour, la fidélité à une certaine vision de l’existence, qui trouve souvent sa source dans l’enfance : tout plutôt que la tiédeur, que le compromis, le renoncement aux rêves, quel qu’en soit le prix. On pensera à la confession d’un autre fou de l’amour, Arthur Rimbaud, lorsque ce dernier racontait la sensation d’être picoté par les blés. Le poète finira trafiquant d’armes en Ethiopie, mourra après avoir écrit à Marseille une lettre à sa mère autrefois honnie mais dont la vie rapprochera le jeune homme, qui fuyait Charleville. Le deuxième, toujours bien vivant, bien que sa santé ne lui permette plus de gambader, a écrit, avec la complicité et le talent manifeste de son confesseur, Bernard Lions (journaliste à l’Equipe, voir son interview ci-dessous), une confession terrible et gaie à la fois : on finit au volant d’une vieille Clio dont l’un des sièges passagers est défoncé mais qui ne sera pas changé. Lisez le livre, vous comprendrez pourquoi. Pourquoi certains êtres, qui découvrent assez tôt qu’ils ont quelque chose en plus, s’obstinent-ils à tout goûter, aimer, au point de franchir assez vite le parapet ? En 312 pages, on n’aura pas de réponse. On sait simplement, dès la page 18, que celui qui a joué avec le feu, a aimé, fumé, dépensé à Ibiza, brassé des millions, et “n’est pas encore mort. [Qu’il va] vous parler comme [il a] joué. Avec le cœur.” Ce n’est pas le énième livre d’un footballeur, c’est un missile hors-sol, vert en couverture, rouge en dedans, et bleu et blanc aussi. Bleu comme la couleur de certains yeux. Rouge comme les douleurs et les plaies qui se succèdent. Blanc comme les pages qui défilent, la page qui ne l’est un jour plus. Une confession magnifique, comme un ballon qui part des trente mètres et se loge dans la lucarne. Si vous me dites le contraire (après l’avoir lu) je me les coupe !
Extraits choisis :
“Aimer à en crever”
Je suis déjà mort trois fois. Ma première mort, c’est une mort d’amour. Elle remonte à mai 1982, quand Yeux Bleus a décidé de rester avec lui. Les gens m’ont reproché d’avoir touché, non pas à une femme mariée, mais à un homme justement intouchable. Ah, parce que vous croyez que je suis le seul footballeur à avoir couché avec la femme de l’un de ses coéquipiers ? Ne me prenez pas pour un mulet. La liste est longue et je la connais. Il n’empêche : aux yeux de tous, je suis subitement devenu le pourri, le salaud de service, le paria du foot français. Tout le monde y est allé de sa petite version mais personne ne connaît la vérité. La vérité, c’est que je l’aimais. Vraiment. Et ça, on ne pourra jamais me l’enlever. Jamais. D’une histoire d’amour, les gens ont fait de la merde. Parce que si tout le monde en a parlé tout bas, personne n’a jamais osé dire tout haut ce qui s’est vraiment passé. Pas moi. Je vais tout vous raconter. Je vais briser ce grand tabou de l’histoire du football français qui m’a détruit. Comme ça, plus personne ne chuchotera dans mon dos, ni ne racontera n’importe quoi.
Je suis mort une deuxième fois, le 4 août 1988, quand une hernie discale a mis fin à ma carrière de joueur. Je n’avais pas encore fêté mes trente-deux ans et j’ai ressenti un vide abyssal. Celui de ne plus pouvoir exercer le plus beau métier du monde. Subitement privé de football, c’est un monde qui s’écroule. Mon monde. Ma vie. Celle que je vivais depuis plus de quinze ans. Je me souviens encore du titre de France Football, en 1980 : « Larios, Roi de France ». Buts, passes, pied droit, pied gauche, j’étais « Magic Larios ». J’étais un play-boy, pas un homme politique. Juste un joueur de football. Mais c’était déjà beaucoup. Cela faisait de moi une star, celle des Verts de Saint-Étienne et des Bleus de l’équipe de France. Pas un joueur en bois. Si vous me dites le contraire, je me les coupe. Parce que le football à mes yeux, c’est plus que de l’amour. C’est une folie.
“Milliardaire”
Je n’ai plus rien à faire dans la vie. C’est quoi, la vie, si tu ne prends plus de plaisir ? Que puis-je espérer de plus ? À vingt ans, j’ai connu la gloire, les femmes et l’argent. J’ai cru en moi et j’ai fait ce que j’ai pu. Je me croyais invincible et immortel. Au fil du temps, la vie m’a montré que j’avais tort. J’ai payé, et je continue à payer pour tout ce que j’ai fait.
J’ai brulé ma vie. C’est vrai. Mais je l’ai vécue intensément. Qui détient le monopole des sentiments, de la raison et de l’intelligence ? Personne en vérité. J’ai eu le plaisir d’avoir vécu une belle existence, sans remords mais avec deux regrets : celui de ne pas en avoir assez profité et celui d’avoir aidé parfois des cons qui ne me l’ont pas rendu. Pas grave. C’est le propre des cons.
Jean-Jacques Beineix.
J'ai appris hier, comme tout le monde ( cet article a été re-publié et actualisé après la mort du cinéaste) le décès de Jean-Jacques Beineix. Je me rappelle mon émotion en salle de cinéma lors de la séance où j'ai découvert Diva et tous les films ensuite de Beineix, ses colères, comme celle qui l'anima lorsque Canal Plus choisit, pour mieux le vendre, de doter l'édition DVD de Diva d'un son stéréo, ce que la B.O du film n'avait pas ( elle était en mono). Si la halte que procure ou provoque la période vous incite à vous saisir d'un livre, emparez-vous des Chantiers de la Gloire, cette autobiographie et ce récit de l'univers du cinéma que le cinéaste de 37.2 Le Matin y dresse ou les aventures de l'amoureux qu'est Jean-François Larios. Ceux qui jouent avec le feu, écrivent parfois, lorsqu'ils se sont assagis sans avoir vraiment changé, des pages qui éclairent. Les paroles les plus signifiantes de Beineix à la fin de sa vie sont peut-être celles qu'il a confiées au magazine Notre Temps : “Je demeure en quête d'absolu, prêt au sacrifice, comme tout artiste. Je l'ai fait déjà en investissant tout ce que je possédais dans mon dernier film, Mortel Transfert, qui a connu un destin funeste. Pourtant, j'étais parvenu à le produire avec une liberté totale, j'y avais mis tout ce que j'ai pu apprendre en quarante ans de cinéma, mais tout multiplié par presque zéro, ça fait toujours zéro”. La suite ici.
Par Manuel Jacquinet
Photo de une et portrait : Edouard Jacquinet.