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Mocassins à picots: Bobbies ou Tod's? Tout s'est joué à Franklin.

Publié le 21 mars 2022 à 14:48 par Magazine En-Contact
Mocassins à picots: Bobbies ou Tod's? Tout s'est joué à Franklin.

Des Tod's trois fois moins chères? Bobbies!

Fabriquer et vendre des boots, des mocassins sur le créneau du premium accessible était le rêve d’Antoine Bolze et de son compère, surgi dès le lycée. La bougie parfumée en boutiques, le colis qui sent bon complètent un dispositif d’expérience client très étudié, souvent innovant. Entretien avec Antoine Bolze, co-fondateur de Bobbies. 

Lycée Franklin, Paris. Baskets interdites... la naissance de Bobbies ? 

Antoine Bolze : C’est une marque créée il y a douze ans maintenant et dont l’article principal était alors un mocassin pour hommes. J’étais à l’époque étudiant avec un ami, au lycée catholique Franklin où nous n’avions pas le droit aux baskets et portions donc... des mocassins. On avait le choix entre des Tod's, très sympas, mais qui coûtaient 300 euros, et rien. Et le sentiment que nous était plutôt facturé le marketing de Tod's que la qualité intrinsèque du produit. L’idée de base a donc germé : produire la même qualité mais trois fois moins cher. Ça a bien marché et on a développé la marque depuis. Elle est aujourd’hui plus destinée aux femmes (80% de nos ventes) qu’aux hommes. Et le mocassin ne représente plus que 10% de nos ventes. Nous sommes même devenus tendance. En résumé, Boobies propose du premium accessible : il faut certes un certain niveau de revenus pour se procurer nos produits, mais on n’est pas Dior ! Les usines de nos fabricants sont basées au Portugal, sauf une située en Espagne. Pour les peausseries, elles proviennent à 85% d’Italie, le reste d’Allemagne, du Portugal et d’Espagne. Nous sommes parvenus à̀ demeurer indépendants, ce qui est une fierté et qui permet à Bobbies de conserver ce côté familial et amical : le cofondateur est mon plus vieil ami ! 

A quelles évolutions marquantes avez-vous dû vous adapter ?
On a grandi avec et parallèlement l’avènement du e-commerce. Je me rappelle qu’au tout début, lorsque quelqu’un commandait en ligne, j’allais moi-même en réserve chercher le produit avant de me rendre à la Poste. Il pouvait se passer neuf/ dix jours et les gens ne disaient rien. Aujourd’hui, si le produit n’est pas livré en 48h, c’est un scandale ; on le voit et lit vite sur Trustpilot. Les gens ne veulent pas attendre et s’il est vrai que c’est incroyable de recevoir un article le jour même, ou le lendemain, ça occasionne pourtant un coût écologique, économique et humain. Ces trente dernières années, on a incité le consommateur à économiser sur tout, ce qui a contribué à tirer les prix vers le bas. Or, ces exigences ont été imposées par Amazon, qui peut se permettre de vendre à perte. Il faut que ça change : je connais des gens qui se font livrer leur baguette par Deliveroo ! Les avis clients ont également pris de l’importance et c’est assez fourbe : il faut payer pour pouvoir demander à vos clients de vous noter sur Trustpilot. Si vous ne le faites pas, seuls les clients mécontents ont le loisir de s’exprimer. Au départ nous nous y sommes refusés mais les avis clients étaient catastrophiques. Alors il a fallu jouer le jeu et entrer dans la danse. Pourtant, je trouve dommage d’imposer toujours plus de mails au client, que ça risque fort un jour d’ennuyer vraiment. Je pense qu’aujourd’hui les gens commencent, selon leur niveau de revenus évidemment, à accepter de payer plus cher pour accéder de nouveau à la qualité, laquelle dans certains cas, redevient même un argument. Just Eat, par exemple, valorise l’emploi de ses livreurs qui sont en CDI. 

Quelles sont vos grandes priorités, vos difficultés prévues de l’année à venir ?
Elles sont surtout liées à la production. Bien cette dernière soit plutôt bien repartie, la Covid a entrainé́ des absences et donc des retards de promotion. On a rencontré de sérieux retards dans l’approvisionnement en caoutchouc et été confronté à quelques problèmes de management également : comment réorganise-t-on une société face à une pandémie ? Ceci posé, nos autres grands défis sont l’omnicanal, le click-and-collect, le web to store. Nous tentons de les résoudre en interne : on a la chance d’avoir un troisième associé plutôt de profil tech, ce qui nous permet de piloter ce genre de projets en interne. Mais cela prend du temps afin de s’assurer que les projets et leur réalisation sont fonctionnels. 

Revenons à la qualité, que vous évoquez, quels en sont les paramètres clé́ ?
La peausserie est quelque chose de primordial : ce n’est pas très sexy mais il faut savoir sélectionner les bons animaux, selon la chaussure que l’on souhaite faire. Si vous voulez faire un mocassin souple, la vache sera préférable. La seconde question est celle du savoir-faire. Il faut trouver des fournisseurs établis, pérennes disposant d’employés qualifiés. Douze ans après notre création, nous sommes encore en phase d’apprentissage sur certains sujets. 

L'identité olfactive - crédit photo Edouard Jacquinet 

Vous avez développé un parfum propre à̀ votre marque, quel était l’objectif poursuivi ?
A titre personnel, je suis assez sensible à l’identité olfactive, aux parfums : jeune j’ai été marqué par Abercrombie and Fitch, qui a vraiment démocratisé ce sujet. Aussi, dès qu’on a ouvert notre première boutique, en 2013, j’ai désiré́ creuser cette question. A ce moment-là̀, des sociétés spécialisées m’ont proposé́ leur « catalogue » de senteurs mais malgré leur profondeur, j’ai eu le sentiment qu’on aurait un peu la même odeur que tout le monde. J’ai alors voulu développer mon identité olfactive, avec la collaboration de Quintessence. Nous désirions quelque chose de plutôt unisexe, assez précieux pour refléter notre côté luxe, et frais pour notre côté joyeux. En clair, un parfum qui fonctionne toute l’année ; l’odeur a été trouvée assez vite, en trois quatre mois. À la suite de cela, nous avons produit le parfum et l’avons diffusé en boutique, au départ simplement pour parfumer les espaces de vente. Comme je vous l’ai dit, nous attachons une importance particulière à l’expérience client, y compris dans le digital. Lorsque vous recevez l’un de nos colis, le produit est placé dans un écrin, entre papier de soie et stickers, l’intérieur du carton est imprimé du dessin d’un illustrateur et le colis est parfumé. On en met beaucoup, même trop peut-être mais afin que ça résiste aux trois jours de voyage ; et ça plait, on le constate sur Truspilot où des clients commentent cette expérience parfumée. Le SAV étant souvent contacté par des clients qui désirent ce parfum justement, l’idée de concevoir une bougie est donc arrivée assez rapidement et elle est désormais disponible. Mais j’ai rencontré beaucoup de difficultés à trouver un fournisseur de pot, car je recherchais quelque chose de particulier. Ceux-ci sont expédiés à un cirier d’Orléans qui mélange la cire au parfum qu’il reçoit de Grasse. 

Vous êtes donc allé́ au bout de l’idée !
Oui, la bougie rencontrera-t-elle le succès, c’est une autre question. C’est du haut de gamme aussi les prix de vente s’en ressentent. On va rogner sur la marge pour tenter d’en vendre, mais si j’appliquais une marge normale, je serais au même prix qu’un Diptyque, mais personne ne l’achèterait. Ce qui coûte cher c’est l’extrait de parfum et ses composants, plus onéreux que ceux d’un autre (du Vétiver, du cèdre pour le coté chaleureux, du pomelo en note de tête, et du cuir suédé pour rappeler notre activité). Si ça avait été de la vanille ça aurait été moins cher bien sûr ! 

Pourquoi cet attachement aux détails ?
C’est très important pour moi, et dans le domaine olfactif particulièrement. J’adore marcher dans le midi pour les odeurs, mon placard est rempli de bougies à parfumer, à offrir à des proches. Tout cela me vient un peu de ma mère, qui était comme ça. Pourtant, mon acolyte n’a presque pas d’odorat : il sent à peine la litière du chat ! 

Vous avez choisi Quintessence pour vous accompagner dans ce projet, pour quelles raisons ?
La famille de Valentine Pozzo di Borgo est dans le parfum depuis des générations. On me l’a présentée simplement, mais j’ai vite compris que je travaillais avec la bonne personne. Elle a travaillé pour toutes les marques de luxe et ça s’est révélé une super collaboration. 

Quels sont les grands sujets liés à l’expérience client en boutique ?
La boutique, à l’heure du digital, doit être plus qu’un lieu de vente. Les loyers, le coût d’un staff, les horaires font que ce n’est pas rentable si c’est pour vendre simplement des chaussures. Le design de la boutique est le 1er sujet : on n’est pas chez Vuitton mais on investit au mètre carré comme dans une boutique de luxe, avec, pour chaque lieu où nous nous installons, un concept unique qui dépend de la rue, des immeubles à coté, etc. L’accueil arrive en point 2 : c’est assez compliqué, car on encourage les vendeurs à assoir les clients, à leur proposer un café́, mais le samedi, dans le Marais où nous sommes désormais installés, c’est infaisable. On fait patienter les gens dehors, même avant la Covid, afin que les boutiques soient moins bondées. L’expérience client passe également par la typologie du personnel de vente. Le recrutement est l’un des points clés à cet égard : avant de regarder un cv, nous recherchons les bons comportements, dont je crois qu’ils s’apprennent peu : je recherche des personnes souriantes, qui ont bien conscience des codes du luxes mais qui restent accessibles. C’est ce que doivent vous dire toutes les marques, mais c’est important. Aussi, j’essaie de rencontrer chaque vendeur, du responsable de boutique à l’extra recruté pour le renfort. 

Le stock est-il ce qui vous empêche de dormir ?
C’est un vrai sujet mais comme nous sommes en croissance, on ne rencontre pas forcement de difficultés à l’écouler. L’omnicanal aide énormément : à 21h le stock n’est plus dormant, il peut être écoulé via le on-line qui est un énorme facilitateur. Par ailleurs, tous les six mois nous faisons une braderie solidaire : nos anciennes collections sont vendues à -50% et les bénéfices sont reversés à une association qui aide les enfants dans les rues à Madagascar et au Cambodge. Sur ce genre d’opérations on vend quasiment 10 000 paires en 48 heures. 

Le produit star ? 

Le sneaker reste une constante. En hiver ce sont les boots et en été les sandales. 

NB : Bobbies vient d’inaugurer son nouveau flagship store et est passé d’une boutique de 40 mètres carrés à 140 mètres carrés. Quatre-vingts personnes travaillent chez Bobbies : trente au bureau, trente en boutiques et le reste à l’étranger.

 

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