Telemarketers? La plus grande escroquerie au fundraising, racontée par ceux qui y ont participé
Si vous pensez que le télémarketing est mort, inutile, que ceux qui travaillent dans les call-centers occupent des sous emplois, des jobs, que les brigands finissent par être arrêtés après avoir été démasqués.. abonnez-vous à HBO et En-Contact. Et faites connaissance avec Pat J. Pespas et Sam Lipman-Stern, qui ont travaillé au Civic Development Group. Le CDG a été, dans les Appalaches, la société de fundraising la plus romanesque qui soit aux USA.
The best investigative documentary about call centre scams
Depuis cet été, sur HBO, une série raconte, avec des images et de véritables entretiens de vente, l’histoire du CDG, le Civic Development Group, une société de télémarketing basée dans le New-Jersey. Dans le début des années 2000, elle parvint à lever plus d’un milliard par téléphone, en sollicitant des donateurs au nom d’officines de la police. Deux légendes du télémarketing y ont travaillé, dont celui qui est devenu producteur et co-scénariste de la série. The Guardian et The New York Times la considèrent comme la meilleure série documentaire de l’année : the best investigative documentary about call-center scam.
En 2001, Sam Lipman-Stern était un adolescent qui avait abandonné ses études secondaires et travaillait pour Civic Development Group (CDG), une société de télémarketing basée dans le centre du New Jersey. Il s'était pris de passion pour le cinéma après avoir reçu un caméscope d'un ami de la famille et avait décidé de filmer son lieu de travail, et son employeur, entreprise particulière. Comme il allait le découvrir, le CDG empochait des millions de dollars de dons par le biais d'appels téléphoniques passés par d'anciens détenus pour le compte d'organisations caritatives. Tout cela se passait sur des plateaux où l'on consommait de la drogue, où l'on faisait la fête et où l'on se faisait tatouer.
"C'était comme une famille dysfonctionnelle", explique Lipman-Stern à TIME. « Vous étiez entouré à votre droite d’un meurtrier, d’un braqueur de banque à votre gauche ». Parmi ces personnages bien réels se trouvait l'ancien collègue de Lipman-Stern, Patrick J. Pespas, une légende du télémarketing, comme il est présenté dans la série. Qui lui avait commencé à y travailler, à quatorze ans.
Des images filmées qui sont devenues un documentaire
Près de vingt ans plus tard, leurs enregistrements sont devenus la dernière série documentaire de HBO, Telemarketers, réalisée et produite par Benny Safdie, Josh Safdie, Danny McBride et David Gordon Green. C’est une plongée incroyable dans le monde du télémarketing, de la levée de fonds par téléphone : CDG était, à son apogée, la plus grande société de collecte de fonds par télémarketing
L'histoire du télémarketing
Bien avant que les smartphones ne soient accompagnés d'avertissements sur les appels de spam portant la mention "Scam Likely", des entreprises comme CDG ont été les premières à utiliser la téléprospection avec des systèmes prédictifs d’appels automatisés.
Telemarketers révèle comment les dirigeants de la société, David Keezer, Marc Keezer, Brian Pasch, Glenn Pasch et Steve Pasch, ont conçu ce système et les scripts, et ont poussé à franchiser leurs centres d'appel. Les employés de ces bureaux, qualifiés de "lieux sans espoir", n'étaient que des intermédiaires, comme l'explique Billy Fedor, ancien télévendeur de la CDG. Les appelants de la CDG, qui devaient atteindre des quotas, s'adressaient à des particuliers pour les convaincre de faire des dons à des œuvres de bienfaisance, notamment pour aider la police, les anciens combattants et la recherche sur le cancer. Selon Telemarketers, environ 10 % seulement de l'argent versé par les donateurs est allé à l'organisation caritative visée (le reste a été empoché par CDG). En échange, ils recevaient des autocollants de syndicats de police, comme le Fraternal Order of Police (FOP), la plus grande organisation mondiale d'agents assermentés chargés de l'application de la loi.
Les employés du CDG lisaient un script qui les préparait à réfuter toute objection.
D’où viennent et venaient ces télévendeurs de génie ?
Il s’agissait en grande partie de "personnes en marge de la société", c'est-à-dire des personnes qui avaient abandonné l'école, qui avaient été incarcérées et ne pouvaient pas trouver de travail ailleurs. Ils sont devenus la clé du fonctionnement du CDG.
"Le modèle semble engager d'anciens détenus et toxicomanes parce qu'ils sont d'excellents arnaqueurs", explique Sam Lipman-Stern. "Ils savent comment soutirer de l'argent aux gens et ne vont rien dire sur des activités suspectes.
Le succès des télévendeurs dépendait en grande partie de la façon dont ils s'exprimaient au téléphone - une diction qui exigeait un équilibre entre la chaleur et l'assurance pour conclure un marché. Un employé de CDG appelant quelqu'un au nom de la FOP s'efforçait de ressembler à une caricature d'officier. Je me souviens que les gens me demandaient : "Êtes-vous un officier de police ? Êtes-vous un policier ?", raconte Sam Lipman-Stern. Je répondais : "Non, j'ai 14 ans et j'ai en quelque sorte abandonné l'école", tout en continuant à prendre la voix d'un policier.
Qu'est-il arrivé à CDG ?
En 1998, la CDG a été poursuivie par la Commission fédérale du commerce pour avoir fait de la publicité mensongère sur l'utilisation des dons. En 2007, le ministère de la justice a redoublé d'efforts, affirmant que la CDG n'avait pas changé ses méthodes et qu'elle avait au contraire modifié son modèle commercial en affirmant qu'elle appelait en tant que "consultants" pour le compte de groupes tels que la FOP, plutôt qu'en tant que télévendeurs. Ils allaient même jusqu'à dire que 100 % des dons allaient aux organisations, ce qui était loin d'être vrai.
En 2010, la FTC a ordonné à la CDG de payer 19 millions de dollars d'amende et de se retirer du secteur de la collecte de fonds. Mais aucune charge pénale n'a été retenue contre les frères Keezer et Pasch et la fermeture a été temporaire. Comme le montre l'épisode 2 de Telemarketers, l'entreprise a réapparu.
"Je vais vous dire un secret à propos de CDG. Ils ne changent jamais", déclare Pespas dans le documentaire. Le récit de l'histoire de la CDG ne serait pas possible sans Pespas, l'un des meilleurs vendeurs de la CDG, dont la personnalité et le comportement charismatiques apportent une véritable dimension comique à Telemarketers.
Une industrie qui forme et a donné du travail aux inemployables
Pour Sam Lipman-Stern, leur histoire ne doit pas effrayer sur ce métier. "Le meilleur aspect de cette industrie, c'est qu'elle a fourni des emplois à des personnes inemployables, qu'il s'agisse d'un graffeur de 14 ans ayant abandonné l'école et souffrant de troubles anxieux ou de Pat", explique-t-il, ajoutant que l'histoire reflète également la générosité des millions de personnes qui avaient l'intention de donner de l'argent à des causes caritatives.
Why doesn't your number display on my caller ID?
“Après About Kim Sohee, lui aussi tiré d'une histoire vraie, ou The Call Centre sur la BBC, le cinéma s'intéresse aux plateformes téléphoniques. Tant mieux, car c'est un univers qui charrie quantité d'images d'Epinal, bien plus riche que les pauvres représentations que les gens en ont. Et l'on y trouve quantité de belles choses, d'entrepreneurs vertueux ” indique Manuel Jacquinet, qui cotôie cette filière depuis trente ans. Mais Telemarketers est à part, grâce aux images de l'époque, prises sur le vif, et c'est un sacré choc. La précision documentaire apportée par les enregistrements et images dénote le “ talent” et l'innovation embarqués dans la carambouille. Le script conçu et les automates d'appels ont fondé le succès de l'entreprise. A l'objection “Why doesn't your number display on my caller ID ?” le traitement proposé était écrit et précis “ The telephone Sales rule exempt non profit and political calls from the new caller id requirements”. Les attendus des jugements, le récit des poursuites de la FTC contre CDG sont balzaciens, incroyablement précis et détaillés. Et l'on entend ceci dans le documentaire.
Dans mon panthéon personnel de films sur les plateaux téléphoniques et ceux qui y travaillent, il se situe sur le podium, tout comme Sorry to Bother You ou Glengarry Glen Ross. Et About Kim Sohee est mon prix spécial du Jury ! On y découvre notamment les effets délétères, mortels, d'un management inapproprié. Et pourquoi pratiquer de l'anti-churn sans nuance (ce que pratique une entreprise, un assureur, un opérateur télécom pour éviter la résiliation d'un abonnement) peut conduire à un drame. Que la direction de la société concernée va enterrer".
Et en France ?
En France, trois ou quatre acteurs seulement sont spécialisés dans le fundraising par téléphone. L'un d'entre eux, Talk Fundraising a été racheté l'an passé par Stelliant. ADM Value ( groupe Tessi) est l'un des anciens du métier, avec, à la direction de l'activité, un africain d'adoption, Pascal Fréneaux. Rino Vaccaro est à la tête de Qualicontact. Et l'Unicef s'appuie par exemple sur Tagada Media pour générer des leads. Aucun n'a les mêmes pratiques que le CDG, même si.. les scripts sont précis sur le traitement des objections. Rémunérés majoritairement à la performance, les prestataires spécialisés phosphorent donc sur les mêmes problématiques que les spécialistes de la téléprospection: fichiers, joignabilité des prospects, heures d'appels adéquates, paiement par téléphone et enregistrement de l'IBAN pour fidéliser le donateur. Qualité du dialer (presque 100% de ces prestataires ont été équipés par Vocalcom), l'automate d'appels. Et bien sûr, le recrutement des agents. Il n'est pas possible en France de faire travailler des adolescents âgés de seulement quatorze ans.
Les partis politiques et les associations caritatives sont des secteurs qui ont le droit de pratiquer le télémarketing sur la totalité des abonnés au téléphone, même ceux qui sont inscrits sur Bloctel. Et Louis Prunel (Arthur Média) a un temps loué des fichiers à des candidats. Le fichier, c'est la clé, l'une des clés.
Holden Caufield et la rédaction d'En-Contact.
Sources : The New York Times, The Times, The Guardian.