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Antek, Antoine Cierplikowski, Antoine de Paris, l'empereur des coiffeurs

Publié le 04 novembre 2021 à 10:55 par Magazine En-Contact
Antek, Antoine Cierplikowski, Antoine de Paris, l'empereur des coiffeurs

“Antek, vous êtes un grand artiste. Jamais, non jamais je n'ai été si bien coiffée. Il faudrait que vous alliez à Paris”

Surnommé l'empereur des coiffeurs, Antoine Cierplikowski, dit Antoine de Paris a révolutionné la coiffure moderne, inventé pour Coco Chanel la coupe à la garçonne, révolutionné l'expérience client dans les salons de coiffure: il y installa par exemple, rue Cambon, le téléphone pour faciliter la prise de rendez-vous. Mais c'est un de ses disciples, Alexandre de Paris, dont on se souvient. Dans l’industrie mondiale de la coiffure, estimée à 50 milliards de dollars par an, ceux qui survivent et passent à la postérité ne sont pas toujours ceux qui ont vraiment créé, innové. Un prochain film documentaire et la réédition, partielle, de la biographie d’Antoine de Paris (J’ai coiffé le monde entier, rédigé avec Jean Durtal) devraient aider à lever le voile sur l’histoire, véritablement incroyable, du créateur de la coiffure d’art. De la Pologne, où l'on voue un véritable culte à Antek, jusqu'au cimetière de Passy où demeure… sa main, l'histoire d'Antoine interpelle et rend presque fous ceux qui s'y intéressent. 

« Je me crois dans Zodiac, de David Fincher »

A Cannes, à Paris et même à Cherry Groove (la célèbre ville balnéaire qui fût l’une des toutes premières villes gays des États-Unis, dans les années 50, sur l'ile de Fire Island ) une petite équipe s’affaire: quelques archives et vieux films ont été retrouvés et, peut-être, un descendant lointain du coiffeur ; elle est chaque jour plus interloquée par les archives qu’elle découvre. Il faut dire que l’existence du jeune Cierplikowski l’amène sur presque tous les continents.
Au cimetière de Passy, près du Trocadéro, une tombe. Ce qu’elle cache et abrite ? La main droite d’Antoine Cierplikowski, enterrée là, après avoir été ramenée dans une urne en bois rouge et noir de Pologne en France, le pays où le jeune polonais débarque, en 1901. « Il a coiffé Coco Chanel, Édith Piaf, Brigitte Bardot, Greta Garbo, Eleanore Roosevelt, a installé rue Cambon un salon où tout le monde se pressait. En 1925, il ouvre un salon de coiffure sur la 5ème avenue à New-York, le premier d’une chaine de 110 aux États-Unis. Et pourtant, en France, personne ne connait ni se souvient d’Antoine de Paris », racontait à l’AFP Janusz Szymanski, l’un des arbitres du concours du Festival de Sieradz. N. L, l’un des producteurs de films qui a monté cette petite équipe, n’en revient pas : « Je ne savais pas, je ne pensais pas qu’une histoire aussi romanesque, qu’une vie tellement remplie d’aventures, de beauté, d’innovations, puisse avoir été oubliée. Il y a plus de 85 000 salons de coiffure en France, mais aucun ou presque des directeurs ne connait Antoine. L’Oréal a plutôt développé et capitalisé sur la marque Alexandre de Paris, qui fût 1er garçon dans le salon d'Antoine »
De son côté, Manuel Jacquinet, l'éditeur qui a décidé de rééditer les confessions de l’ex immigré polonais arrivé en France et qui deviendra le coiffeur du monde entier partage ce constat : “ Les femmes sont folles de tout ce qui touche à leurs cheveux, les Japonais sont passionnés d'accessoires de coiffure mais Antoine de Paris est tombé dans l’oubli. Depuis qu’on m’a parlé de cette histoire et que j’en découvre les implications, je me crois dans Zodiac, le film, à la place de Robert Graysmith, le dessinateur que l’enquête va rendre fou ou presque”

Qui était Antoine de Paris ?

Surnommé « l’empereur des coiffeurs », Antoine Cierplikowski, a révolutionné la coiffure moderne, l’expérience client dans les salons de coiffure, où il prit le soin d’installer le téléphone pour faciliter la prise de rendez-vous ; on lui doit la coupe à la garçonne de Coco Chanel et tant d’autres innovations. Son pays natal, la Pologne, lui voue un véritable culte au point que chaque été, un festival de coiffure, baptisé Open Hair, se tient dans sa ville natale, Sieradz. 

Réédition d’une partie de son autobiographie, éditée initialement à la Table Ronde

Au 4ème trimestre de 2022, les Cahiers de l’Expérience Client, un magazine professionnel spécialisé rééditera, dans un numéro Spécial Coiffures, une partie du livre qui raconte la vie d’Antoine. « Nous avons retrouvé les héritiers de Marie-Charlotte Sandberg-Charpentier qui a écrit des articles et des livres sous le pseudonyme de Jean Durtal, notamment dans le Journal des Femmes ou au Petit Journal. Ils nous ont donné leur accord pour cette réédition, et j’en suis heureux car cette biographie est passionnante : elle l’a écrite avec Antoine, alors qu’il était encore vivant. La revue éditée par Antoine et qui s'appelait Antoine, document pour la femme moderne, l'est tout autant et évoque déjà quantité de problématiques ou questions qui nous concernent aujourd'hui: le rouge à lèvres, les ingrédients naturels, l'usage de la voiture. Un académicien y rédigeait ceci: l'homme à la page ne doit pas avoir d'auto. Par contre, étant données les exigences de plus en plus impérieuses de la vie moderne, il doit s'arranger pour avoir des amis qui en soient pourvus ». Selon différentes sources, deux scénarii aboutis seraient sur le point d'être acquis par des chaines câblées américaines, convaincues du potentiel d'un récit de la vie d'Antek : HBO et Netflix.   

 

Lire ci-après la 4ème de couverture de l’édition originale et un extrait du livre.

« J’ai coiffé le monde entier ! » C’est ce que peut dire, sans se vanter, Antoine, créateur de la coiffure d’art. Parti de sa Pologne natale avec quelques louis en poche il a, en soixante ans, conquis non seulement Paris, mais Londres, New York, Hollywood. On l’appelle aussi bien à Tokyo qu’à Rio de Janeiro pour donner le ton, car il ne s’est pas contenté depuis 1909, de libérer la femme en lui coupant les cheveux mais, en l’obligeant à être toujours impeccable, il a fait de son métier une vraie profession et du moindre coiffeur de quartier un poète. Qui dit coiffeur dit souvent confident. Il fut ainsi celui qui sut écouter les plus belles d’entre les belles, confiant leur chevelure à ses mains magiciennes et leurs petits secrets à son inlassable sympathie. Rendre une femme plus jolie, n’est-ce pas lui redonner foi en elle, l’aider à vivre et, quand le temps de la jeunesse est passé, à survivre ?
Excentrique, secouant tous les conformismes, il fut l’hôte souriant de la célèbre maison de verre qui accueillit en son temps dans de fastueuses réceptions le Tout-Paris des reines, des actrices, des milliardaires et des bohèmes. Celui aussi qui, de la tête aux pieds, habilla, coiffa, travestit, pour des galas restés dans les annales mondaines, les plus élégantes parisiennes. Pris comme modèle par le film et par le théâtre il reste, au même titre que Poiret ou Sorel, un personnage. En parlant à bâtons rompus avec Jean Durtal, il a soulevé quelques voiles, rendu la vie à ceux qu’il a si bien connus, par des anecdotes inédites ; et c’est ainsi tout un passé à la fois charmant et cocasse qui surgit de ces pages où à tout instant transparaît le sourire d’aimable vivant de celui qui proclame : « La vie commence à quatre-vingts ans ! » La Table Ronde

Antek, vous êtes un grand artiste. Jamais, non jamais je n’ai été si bien coiffée. Il faudrait que vous alliez à Paris

« L’honorable Stanislawowa Ginsberg ne prêtait pas la moindre attention à son coiffeur. La tête courbée sur le magazine, elle était toute à sa lecture.

Un peu interloqué, mais heureux au fond de cette indifférence, je me mis donc à travailler sans souffler mot, m’efforçant, simplement, de coiffer à ma manière cette cliente difficile qui donnait le ton à toute la ville de Lodz et dont les réceptions étaient prisées.

Les cheveux de la jeune femme étaient abondants et souples. J’éprouvais bientôt une vraie joie à les tourner et enrouler selon ma fantaisie. De temps à autre, je jetais un regard sur le visage de ma « patiente ». Elle ne bougeait pas, habituée à cette corvée matinale que subissaient les femmes de cette époque, et dont je devais, bien plus tard, puisque ce fut moi qui inventai les cheveux courts, débarrasser le sexe faible.

Ce ne fut que lorsque j’arrivai à la fin de mon travail que Mme Ginsberg, se redressant tout à coup, se regarda dans la glace et, m’apercevant, se retourna.

— Mais qui êtes-vous ? s’exclama-t-elle enfin.

Puis, comme je restai coi, elle se mit à rire :

— L’Archange Gabriel ! Oui, l’Archange Gabriel ! cria-t-elle.

J’avais pâli, et, baissant la tête, je gardai le silence. Elle se moquait de moi ; j’étais perdu. Sans doute la colère allait-elle succéder à cet accès d’hilarité et Stanislawowa Ginsberg allait-elle, avec rage, défaire cette coiffure que je me reprochais maintenant d’avoir composée si amoureusement.

— Quel est votre nom ? fit-elle soudain, s’arrêtant de rire devant ma visible détresse.

Je balbutiai :

— Antek, Madame. Mon oncle est malade, ajoutai-je, reprenant un peu de sang-froid, il s’excuse auprès de vous…

Je n’eus pas le temps de finir ma phrase. Mme Ginsberg s’écriait :

— Eh bien, Antek, vous êtes un grand artiste. Vraiment cette coiffure est magnifique. Jamais, non jamais, je n’ai été si bien coiffée !

Elle me regardait maintenant avec une sympathie non dissimulée.

— Il faudrait que vous alliez à Paris, fit-elle, pensive… Jamais je n’ai été si bien coiffée. Il faudrait que vous alliez à Paris.

Je m’étais mis à trembler. Les mots tournaient dans ma tête comme un leitmotiv. Aujourd’hui encore, je me les répète, ces mots qui m’ont ouvert le monde. Je revois le charmant visage de ma première vraie cliente. J’avais arrangé ses cheveux en deux longues boucles, semblables à celles que porte le poète Schiller sur son célèbre portrait, et elles tombaient, ces boucles, le long de la gorge de Stanislawowa Ginsberg, donnant un charme inouï à son visage plein d’esprit.

Tandis que Mme Ginsberg parlait ainsi, ajoutant :

« Il faut que vous le disiez à votre oncle Pawel, Antek. Pour vous, il n’y a que Paris ! », sa fille Musia était entrée.

— C’est un génie ! Regarde, Musia ! lui cria-t-elle, au comble de l’excitation.

Mais le mot « génie » me laissait indifférent. Je me répétais :

— Paris, Paris, Paris !

Pour comprendre, il faut savoir ce que Paris représentait en Pologne, en Russie, dans toute l’Europe centrale attardée, comme point d’attraction. C’était à Paris que tout ce qui comptait parmi la noblesse russe se rendait chaque année, et les échos qui arrivaient faiblement à nous, jeunes gens de la classe ouvrière, n’en étaient que plus merveilleux pour être chuchotés. Paris, c’était pour nous le symbole même de la grande vie, du luxe inouï, de l’intellectualité. En Russie, en Pologne, tout ce qui avait un nom connu dans l’aristocratie ou les affaires parlait français.

Extraits du livre : J’ai coiffé le monde entier. Jean Durtal.
Édité initialement par la Table Ronde. Ouvrage épuisé.
En cours de réédition, aux Editions Malpaso-Radio Caroline Média.

Photo de Une : Lanvin 1960 - © André Causse

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