Démarchage téléphonique: Orange et Manifone de plus en plus stratégiques
La fin du Far West ?
L'Arcep et la DGCCRF déclenchent les premières actions pour faire respecter, tenter de faire respecter le nouveau plan de numérotation (NPN) : le démarchage téléphonique illégal est loin d'avoir cessé. L'utilisation de leads qualifiés, tels ceux que commercialisent des spécialistes comme hipto et d'opérateurs télécom rigoureux permet cependant de prospecter efficacement, légalement.
En date du 18 Juillet, les opérateurs télécom Legos et Transatel ont été mis en demeure par l'Arcep de se conformer aux décisions liées au plan de numérotation. La décision 2023-1586-RDPI fait état de multiples non respects par les sociétés concernées de dispositions légales. Les deux sociétés ont six mois pour se mettre en conformité. Legos par exemple n'a pas contrôlé l'utilisation faite par certains de ses clients des numéros de téléphone mobile qu'elle met à leur disposition. Services de téléconférences, radios privées etc auraient été déployés sur ces numéros réservés à des communications interpersonnelles. L'opérateur, au capital duquel Siparex est entré au en 2021 et dirigé par Pascal Prot n'avait pas désiré répondre à nos sollicitations lorsque nous l'avions questionné sur ces sujets.
Mi-septembre, le courtier et comparateur rennais Budgetlyss a été condamné à une amende de 20 000 euros pour non respect des dispositions encadrant les sollicitations commerciales par téléphone. Plus de 77 193 appels ont été émis par les téléprospecteurs qu'il fait travailler vers des particuliers inscrits sur Bloctel. Son directeur général, Mickael Diraison, a évoqué une erreur commise par son prestataire.
Le démarchage téléphonique illégal est loin d'avoir cessé selon une récente étude publiée hier par UFC-Que Choisir: 38% des consommateurs seraient encore démarchés chaque jour et 72% au moins une fois par semaine.
Ce que dit la loi, ce que peuvent faire des opérateurs tels Manifone, Orange et d'autres.
Les appels de démarchage téléphoniques affichant des numéros en 01, 02, 09 émis par des systèmes automatisés seront interdits au 1er Janvier 2023. Dès cette date, deux opérateurs télécom vont jouer un rôle clé dans le nouveau paysage français du démarchage téléphonique et des sollicitations autorisées : Orange, qui a prévu de mettre à l’amende les opérateurs qui lui achemineraient des appels illégaux, parce que non identifiés. Et Manifone, qui dispose de son côté des premiers numéros NPV* (numéro polyvalent vérifié) et est, contrairement à quantité d’autres opérateurs, déjà techniquement prêt pour la révolution qui s’annonce.
L’opérateur télécom, situé à Vannes et déjà partenaire des plus grandes sociétés mondiales de centres de contacts (les outsourcers: Comdata, Teleperformance, Webhelp, Majorel etc…), est en situation de récupérer le fruit d’investissements techniques considérables et d’une anticipation rigoureuse. Interview exclusive de son fondateur, Lounis Goudjil.
(*Numéro polyvalent vérifié, l’une des catégories autorisées à l’affichage depuis les systèmes automatisés : 01 62, 01 63, 02 70 , etc)
En-Contact : Le nouveau plan de numérotation, le NPN et le décret fréquences horaires qui lui a succédé changent-ils effectivement la donne dans le marketing téléphonique et ses abus ?
Lounis Goudjil : Oui, je le crois et l’ordre dans lequel ceci s’est fait n’est pas anodin, selon moi : tout le monde aura noté que le décret fréquence horaires (F/H), attendu depuis plus de deux ans (la loi Naegelen l’annonçant date du 24 juillet 2020), a été publié APRÈS le Nouveau Plan de Numérotation (NPN) de l’Arcep annonçant les restrictions touchant les systèmes automatisés d’appels au 1er janvier 2023. Je ne vais pas présenter à nouveau les dispositions du NPN ici. A partir du 1er mars 2023, le décret F/H limitera à 4 par mois les sollicitations téléphoniques, dans le cadre de démarchage téléphonique, vers le même consommateur au nom d’un même donneur d’ordre. Les appels devront se faire du lundi au vendredi de 10h à 13h et de 14h à 20h. Il ne sera plus possible d’appeler les samedi (le dimanche étant déjà interdit). Avant de pouvoir agir de manière efficace sur le trafic télécom généré par le démarchage téléphonique, il fallait déjà pouvoir clairement le circonscrire, car la grande majorité du démarchage téléphonique utilise des systèmes d’appels automatisés, clairement désignés par l’Arcep comme sources principales des nuisances subies par la population française. L’Arcep, en obligeant les opérateurs télécom à filtrer le trafic émis depuis des systèmes automatisés, a clairement préparé le terrain pour le décret F/H. Les nuisances sont de deux ordres : les arnaques dont peuvent être victimes nos concitoyens ou tout simplement la pression insupportable pour certains que représentent les appels répétés reçus sur leurs téléphones. Dans la majorité des cas d’arnaques téléphoniques recensés, pour qu’ils soient rentables pour l’arnaqueur, il faut qu’ils puissent être déployés à très grande échelle. En demandant à partir du 1er janvier prochain, aux opérateurs de rejeter les appels automatisés qui n’afficheront pas des numéros vérifiés (permettant d’identifier à coup sûr l’appelant) l’Arcep coupe clairement l’herbe sous les pieds des arnaqueurs qui ont besoin de pouvoir émettre des appels en masse.
En-Contact : En clair, avec le NPN, l’Arcep impose aux opérateurs télécom d’installer des radars automatisés, aux endroits stratégiques, afin de flaguer l’opérateur qui acheminerait un appel « illégal » qui serait émis par un robot.
LG : Je te laisse reformuler ainsi, mais c’est un peu ça, oui. La deuxième chose essentielle, après cette régulation des appels automatisés, est la limitation nombre de sollicitations commerciales opérées par téléphone ou SMS. En ce qui concerne les appels de prospection téléphonique légaux, c’est le décret F/H qui vient diviser au minimum par 3 le nombre moyen d’appels téléphoniques reçus par chaque prospect au nom d’un même donneur d’ordres. Le fait d’être clairement identifié lors de chaque appel émis au départ de son système d’appels automatisé incitera forcément très fortement le donneur d’ordres à faire respecter le décret F/H par ses prestataires. Une grande marque qui répartissait jusque-là son démarchage téléphonique chez des prestataires, sachant que chacun pouvait solliciter 6 ou 7 fois un même consommateur, se voit obliger désormais de superviser la pression commerciale téléphonique globale. C’est une 2nde révolution. Je crois qu’elle va contribuer à la refonte des programmes de marketing relationnel. Et tout ceci doit être effectif en mars 2023.
EC : Orange a revu récemment ses contrats commerciaux, qui le lie aux autres opérateurs, dont il achemine une partie forcément importante du trafic, au regard de sa part de marché. Et il y aurait dans ces nouvelles conditions une nouveauté majeure ?
LG : En effet : les opérateurs télécom vont avoir un rôle central à jouer car ce sont eux qui devront s’assurer qu’il n’y a pas d’appels automatisés pour lesquels on ne peut pas identifier qui l’émet et commande de l’émettre. C’est un énorme changement : l’opérateur télécom doit avoir la carte d’identité du démarcheur, si on veut prendre une image. Quid alors des opérateurs français pas très regardants jusque-là sur l’origine de leur trafic ? C’est là que je vais partager un secret : les contrats entre opérateurs prévoient désormais de très grosses surfacturations possibles en cas de non-respect des nouvelles dispositions de l’Arcep. Ainsi, Orange peut émettre et envoyer des factures rectificatives aux autres opérateurs se chiffrant à des dizaines de milliers d’euros s’il est avéré qu’ils ont reçu des appels ne respectant pas les dispositions de l’Arcep.
EC : Dans l’hiver qui vient, on va peut-être se trouver à court d’électricité, d’énergie mais on pourrait être moins sollicité, mieux sollicité ?
LG : J’ai toujours pensé - et c’est une conviction ancrée - que le téléphone et son utilisation étaient essentiels dans le commerce moderne, dans l’établissement des relations entre les marques, les administrations et leurs interlocuteurs. Que c’est un réflexe normal et d’une facilité incroyable que de s’emparer de son smartphone pour acheter, résoudre un problème, se rappeler au bon souvenir d’un partenaire. Nous allons continuer d’aider les entreprises, les marques et les acteurs du BPO désireux de faire du commerce intelligent au téléphone, par téléphone. Opérateur télécom, c’est un beau métier, un métier d’avenir.
Pour aller plus loin : un opérateur télécom de référence, tel Legos, soutenu par Siparex depuis Novembre 2021, des brokers tels Spartel Services, Eurelec Trading, tout à la fois opérateurs télécom, courtiers en assurances, centrales d'achats, réalisent-ils une partie significative de leur chiffre d'affaire avec des centres d'appels .. peu regardants sur le respect de la législation ? A cette question simple, posée depuis Février 2022 à nombre d'entre eux, pas de réponse. Les nouvelles dispositions évoquées ci-dessus, le succès d'une application telle Orange Téléphone tout comme la difficulté à fidéliser des commerciaux sédentaires fatigués de se faire raccrocher au nez parce que les fiches prospects sont mal qualifiées ont achevé de dresser un paysage du télé-marketing bien éloigné du far-west qui a prévalu jusque-là.
Courtiers d'assurance sympas mais véreux, voyantes en ligne localisées à Tataouine ou “exploitées” depuis Madagascar et dont le juteux business permet de doper l'Ebitda de sociétés ..parfois cotées en Bourse, vendeurs de CPF très désireux de connaitre votre numéro de Sécurité Sociale vont devoir se gratter le cerveau ou relire Spinoza: Orange en capacité de sur-facturer les brokers et opérateurs MVNO, VOIP et tous les contrevenants, s'installe en Gérald Darmanin du démarchage téléphonique.
Qu'est ce qu'une entreprise à mission ?
40 ans après qu'elle a écrit une des répliques les plus célèbres du cinéma*, Melissa Mathison doit songer qu'elle écrirait bien une saison 2 d'ET. You wanna call some one (..). Be good (..) Home phone (..) ET, Phone home. Elle ne le pourra pas: elle est décédée il y a presque 7ans, jour pour jour. A Vannes, l'équipe de Lounis Goudjil a bien l'intention d'aider ceux qui désirent continuer d'appeler la maison, les français à leur domicile, à faire le bien (se former, maigrir, changer de fournisseur d'énergie, souscrire à une assurance vendue par une Mutuelle respectueuse, réduire ses impôts ), à le faire bien.
Propos recueillis par Manuel Jacquinet.
Photo de une : Manifone à Vannes - Crédit © Edouard Jacquinet