« La Volvo doit démarrer tous les matins » Thierry Schoone - ex DSI de Teleperformance (French Speaking Market)
Avertissement et suggestion de l'éditeur : notre magazine n'appartenant pas à Editis, Thierry Schoone ne portant pas de chaussures Louboutin, Bolloré n'ayant aucune intention d'acquérir, pour l'instant, de business dans les centres d'appels ou le CRM, ce que vous lirez plus bas est un article de presse. Non censuré ni caviardé par Teleperformance. Merci à Karine Jan, David Gillaux (désormais chez Solocal), Daniel Julien et d'une façon générale, à ceux qui ont accepté et aidé, depuis 22 ans, à ce qu'une presse indépendante existe dans les beaux métiers du CRM, des plateformes téléphoniques et de l'expérience client. Pour ce qui est du livre dictionnaire de Guillaume Meurice, si ce dernier a du courage et foi en son talent littéraire, qu'il édite son livre à compte d'auteur, non ?
Les DSI sont rarement les plus loquaces des interlocuteurs en entreprise et pour peu qu’ils aient en charge les sujets de sécurité, sont mêmes susceptibles de ressembler à des espions de l’ex RDA : imper sanglé à la taille de rigueur et possibilités de rencontre réduites à un rendez-vous dans un square pluvieux, comme dans les rares films des années 70 qui les figurent. Celui que nous avons « psychanalysé » dans notre série « J'ai tant appris rue Firmin-Gillot » n’a en commun avec ces personnages que les lunettes noires, un sacré background et suffisamment d’intégrité pour n’être jamais passé à l’Est, comme agent double.
Son métier se résume à un ordre de mission, qu’il a accepté, quand il est arrivé, la cinquantaine passée, dans une grande maison, Teleperformance: la Volvo doit démarrer tous les matins. Un message codé ? Ce n'est pas certain.
L’école après l’école.
Après un début de carrière dans le conseil, chez Andersen Consulting, devenu ensuite Accenture, Thierry Schoone a vite bifurqué vers les DSI orientées métier à une époque où, comme il le dit, ce n’était pas la mode : « Tout le monde porte un tee-shirt DSI orienté métier désormais mais, en réalité, c’est une prise de conscience récente que l’informatique, les infrastructures ou les applicatifs (Relation Client, Service Client, Logistique, Back Office, Outils de pilotage...) doivent servir l’entreprise et ses collaborateurs. Pendant très longtemps, on a été loin de ça. »
C’est à ce moment-là qu’on commence à comprendre que Thierry n’est pas un individu semblable à ses confrères. Plutôt que de séjourner longtemps dans le conseil, et de gravir tranquillement les échelons, il quitte la « planque » : « Je me suis retrouvé, à 27 ans, à donner des conseils stratégiques à des dirigeants de la Maif, moi qui n’avais jamais vu le fonctionnement en vrai d’une entreprise. Le conseil, c’est bien parce que c’est l’école après l’école : tu apprends qu’il y a une méthode pour aborder et traiter des problèmes, tu découvres qu’il y a des classeurs « méthodos » pondus et formalisés à Chicago par exemple, bien faits et utiles au demeurant. Mais moi, j’aime toucher la réalité du terrain, jusqu'à voir les lignes de code. Mon père était dans la mécanographie et j’ai programmé en Cobol au début de ma carrière. Je suis parti alors dans la pharma, toujours via le conseil. J’ai équipé par exemple les visiteurs médicaux des premiers outils qui deviendront des CRM, de PC portables pour remplacer le minitel, et mis en place le logiciel américain Dendrite (le concurrent de Cegedim à l’époque), c’était révolutionnaire. Et j’ai mené des missions similaires dans l’assurance, pour Allianz. En réalité, quand je me retourne, ce qui caractérise mon parcours professionnel est la combinaison de trois métiers que j’ai pratiqués partout : l’informatique, la relation client et le conseil. À chaque fois, les ingrédients se retrouvaient dans le potage. »
Appel entrant : Roger Lei désire vous joindre.
Dans les centres de contacts ou de BPO (business process outsourcing) dont il va tomber presque amoureux après quinze ans d'IT et de conseil, on émet des appels. Sortants. Mais ce sont des appels entrants qui amèneront souvent l’agent Schoone à changer d’employeur. Au sein de l’ex-filiale des Galeries Lafayette (dont on ne doit pas oublier qu’elle a géré des millions de cartes de fidélité), c’est Roger Lei* qui l'appelle un jour afin qu’il vienne s’occuper des systèmes d’information. Et hop ! Quatorze ans après, ce sera un autre appel, entrant encore, qui décidera du transfert vers l’équipe championne du monde, catégorie expérience client externalisée. Nous sommes alors mi 2014 « Laser Contact avait été repris par Armatis où officiait déjà un DSI, fidèle parmi les fidèles, avec un doublon donc sur le poste » Mais c’est de nouveau la mission qui va séduire notre bonhomme
« J’ai été recruté par Lucio Apollonj Ghetti, directeur général à l’époque et par son directeur général adjoint, Jean-Rémy Martinez. Lucio était en quête d’un DSI expérimenté, car il souhaitait, si j’ose dire, remettre l’informatique à niveau - il y avait un gros problème de fiabilité de l'IT vis-à-vis de la production identifié avant mon arrivée - et qui soit dans le même temps orienté business car il avait l’ambition de re-développer l’entreprise sur cette zone géographique. »
Décalages, départs, démarrages, désaccords.
A cinquante-deux ans à l’époque et après une carrière déjà bien fournie, c’est tout sauf une presque préparation de semi-retraite qui attend Thierry : « Une DSI internationale comme celle de l’époque chez TP, c’est presque une PME : 120 personnes pour cinq pays et toutes les dimensions d’une entreprise au sein de l’entreprise : IT, RH, budget, politique interne. Il a fallu réorganiser les effectifs, remobiliser les équipes, mais aussi mettre en place les plans de départ qui s’y rattachent conformément à la volonté du groupe de réduire les OPEX IT (dépenses d’exploitation informatique). Sur le versant technique, l’objectif était de fiabiliser au maximum les outils de production utilisés dans un centre de contacts, ce qui implique le choix des bons outils, prestataires, de leur mode de pilotage, des SLA’s imposés (service-level agreements), des contrats de prestations et de supports. Il s’agissait de faire de l’IT un élément de création de valeur pour nos clients, un avantage concurrentiel sur le marché pour gagner des appels d’offres. Les contraintes étaient nombreuses et connues : contraintes économiques (CAPEX/OPEX, ROI) et de sécurité (50% de la charge des équipes consacrée à la gestion/ maintenance de la sécurité/audits), généralement très présentes chez TP et dans les process du groupe.
Dès le début, le choc a été assez viril au regard des enjeux à tenir et des contraintes associées. Dans ces situations, la magie du leader peut opérer : Lucio a su embarquer son comité de direction à l’époque, dont je faisais partie. Et j’ai pu embarquer moi-même mes propres équipes avec lesquelles nous avons fait de l’excellent travail sur le Delivery IT mais aussi sur le volet IT des appels d’offres pour contribuer au gain de gros dossiers business (dans l’énergie notamment). Mais je dois avouer qu’à mon arrivée, ce fut un vrai choc, ce décalage entre ce que je pensais trouver et ce que j’ai eu à gérer les premiers mois, voire restructurer. Sans compter les paris exprimés de façon explicite par mes propres équipes sur la durée de mon passage chez Teleperformance. »
Heureusement, le travail engagé sur ces chantiers et d’autres de nature commerciale porteront vite leurs fruits.
« Nous avons remporté de grands appels d’offres sur le marché de l’énergie (EDF et ENGIE) après presque un an de travail et qui ont débouché sur des phases de certification très exigeantes, et des mises en place très serrées. Mais cela a occasionné de grands moments de collaboration entre toutes les composantes de l'entreprise de la part de mes propres équipes. Je suis toujours très fier d’eux. »
Les attentats du Bataclan, de Nice, l’ouragan Irma vont vite recréer l’urgence puisque l’entreprise, attributaire des marchés du SIG (Service d’Information du Gouvernement) peaufine et fiabilise à cette occasion les éléments techniques et organisationnels de la cellule de crise, ceux-là mêmes qui vont plus tard devenir le socle de la future cellule de crise COVID.
« On doit les évoquer et je me rappellerai toujours ces instants tragiques gravés dans ma mémoire car, sans note interne ou process, l’ensemble des collaborateurs (de tous les services, des plateaux au CODIR) est amené alors à se surpasser pour informer, soulager, rassurer. Alors si tu me demandes de résumer en quelques phrases mon passage et ce que j’ai appris à Asnières et rue Firmin Gillot, je dirais que...
...J’ai été tatoué chez Teleperformance.
Suite au départ de Lucio pour une nouvelle entité de TP Monde, et les changements intervenus dans l'organigramme en France, notre DSI ne se reconnaît plus dans la vision et les priorités proposées. Qu'a t-il retenu de son passage chez le leader mondial ?
« Que la DSI peut être au service du métier, un truc que l’on entend partout désormais mais que j’ai expérimenté, que Lucio a été un grand patron, dans cette phase de nouvelle inspiration pour le leader mondial un peu à la peine en France à l’époque. Et que si tu aimes ton métier et les gens avec lesquels tu travailles, le terrain de jeu sur lequel tu peux évoluer est extraordinaire. Mais également que cette entreprise peut être très dure à vivre au quotidien : il faut savoir encaisser la charge et le fonctionnement. En contrepartie, certains projets sont passionnants, te font grandir et la possibilité de les vivre n’existe pas partout (organisation mondiale, échange multi-pays, diversité et taille des projets concernés, attractivité de TP pour les éditeurs et partenaires du marché…). »
La Volvo doit démarrer tous les matins.
Ce bout d’histoire est tout entier résumé dans l'un des mantras qu’il a beaucoup entendus, de la part de son DGA à l’époque : Jean-Rémy Martinez, « la Volvo doit démarrer tous les matins ». Quoi qu'il arrive, les équipes techniques doivent faire démarrer le véhicule, la Production. Chaque jour, sans sortie de route, tandis que dans chaque virage des poursuivants désirent vous doubler. Ingénieur mécano, Thierry Schoone, et non pas agent secret !
Thierry Schoone a depuis rejoint Manifone, comme Directeur Développement et Stratégie, en charge notamment des Grands Comptes du marché. Il aide Lounis Goudjil, président de l'opérateur télécom et leurs nombreux clients à s'adapter par exemple au nouveau plan de numérotation de l'Arcep.
DSI après une école de commerce ? Sa formation universitaire.
“De bons résultats m’ont conduit en classes préparatoires puis en école de commerce après un bac informatique. J’ai étudié à la NEOMA Business School, qu’on appelait à l’époque, en 1985, Sup de Co Rouen; des études de commerce, donc, même si j’avais toujours été passionné par l’informatique et que je comptais déjà en faire mon métier. Trois piliers ont ensuite structuré mon parcours professionnel : l’informatique, le conseil et la relation client, dans ces trois secteurs d’activité que sont l’assurance, l’industrie pharmaceutique et le BPO/ centres de contacts”
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Photo de une : Thierry Schoone - crédit © Edouard Jacquinet
Thierry Schoone sera présent à la 10ème édition du French Forum à la Baule qui aura lieu du 28 au 30 septembre 2022