« Une vie choisie » un récit mythique de et par Marc Simoncini
« Cette fois on a affaire à de la pinaillerie de haut vol (…) On décide, en dépit de toutes les règles que la CNIL s’efforce de faire respecter, de fouiller dans les messages de nos abonnés. (…). La baie grillagée dans laquelle sont stockés nos serveurs est fermée. Je la défonce à coup de pieds et je vole en toute illégalité nos propres serveurs » (…)
Hélène Bourbouloux, sacrée meilleure administratrice judiciaire au monde, remet ce jour au ministre de l'Economie un rapport sur les causes de l'échec entrepreneurial en France et les remèdes à y apporter. Elle y préconise notamment la sensibilisation à la réalité de la vie d'entrepreneur, via la “diffusion par les médias de témoignages d'entrepreneurs ayant échoué puis réussi”. Comme ceux de Marc Simoncini, Xavier Niel, Jean-François Larios, footballeur mais entrepreneur de sa vie ?
Faut-il consacrer trois heures ou presque de votre temps, 18 euros et de l’attention, trois denrées rares, à la lecture de l’ouvrage de Marc Simoncini, publié chez Grasset sous le titre: Une vie choisie ? En-Contact republie sa critique du livre, faite et publiée en mai 2018, lors de sa sortie.
Oui, si l’on a dix-sept ans ou un peu plus et qu’on a donc probablement en ligne de mire la préparation du bac français ou les épreuves de philosophie, première partie du Bac. Et en tête, une grande interrogation : « que vais-je faire de ma vie, ensuite, quelle école de commerce ou de pâtisserie intégrer, dois-je postuler à 42, la Mecque des codeurs… etc. »
Le récit enlevé du fondateur de Meetic, mais aussi de I-France au préalable, ne vous apportera pas de réponse cartésienne à ces interrogations essentielles mais fourmille d’exemples choisis sur les détours que le destin impose parfois. Sur les possibilités réelles de se saisir de son destin qu’offrent tous les parcours de vie, y compris pour les élèves assidus très relatifs aux cours théoriques. Le jeune marseillais débute sa vie professionnelle en creusant des tranchées, se lance dans les services minitel sans argent ni compétences folles en informatique. A chaque passage par la case départ, comme si la vie professionnelle était un Monopoly, Marc remet les compteurs à zéro, perd, gagne mais toujours apprend : comment croire en son étoile, pourquoi la fréquentation de certains personnages aux poches profondes doit être questionnée, sauf à finir avec une balle dans la tête. Également, qu’il faut se soucier du client, de ses attentes et surtout de la trésorerie sur son compte en banque.
La signature des premiers contrats dans la télématique avec le journal Le Bien Public, les levées de fonds conclues sur la base de business plan fantaisistes, la revente de sociétés pas encore rentables mais valorisées sur des bases stratosphériques, autant de péripéties gorgées de détails croustillants et qui sentent terriblement le vécu. Sans qu’on sache si c’est un choix ou le résultat d’une impossibilité, la forme du récit est volontairement expurgée de toute phrase longue ou intégrant des mots compliqués. L’amour de la poésie, pourtant évoqué par l’auteur en début d’ouvrage, ne va pas jusqu’à s’illustrer dans ce récit.
On ne s’exercera donc pas au moyen de ce livre à la préparation de l’épreuve de français mais à la révision, vitesse grand V et façon Reader’s Digest de celle du bac philo.
Les aventures de Marc témoignent en effet de la véracité et actualité de quelques grands credo philosophiques :
« Ce qui ne te tue pas te rend plus fort », ce qui est en très résumé le propos de Nietsche, est le fil conducteur des entreprises simonciniennes. L’art de bien parler, cher au Gorgias est-il le plus important, ou une forme de mensonge comme l’indique Socrate ? Dans la nouvelle économie, ça fonctionne souvent, pourquoi ne pas en profiter, si on a du talent. Marc penche du côté du Gorgias.
Les petits détails comptent comme ces phrases ou mentions qu’on insère, à juste titre, lorsqu’on est bien conseillé, dans les clauses de NDA (Non Disclosure Agreement), avant des deals importants. Ces détails et la fréquentation comme banquier d’affaires à ses côtés de J4M (Jean-Marie Messier)ont souvent sauvé Marc. Vladimir Jankélévitch dit peu ou prou la même chose dans Le Je-ne-sais-quoi et le Presque-rien. Le fondateur de Meetic se révèle très proche du philosophe du devenir, qui croit surtout au dynamisme et à la mobilité.
Oui, si l’on s’apprête à créer une entreprise, un site web, une application, ou qu’on est en retard sur la mise en place du RGPD.
Les entreprises nombreuses qu’aura créées le serial entrepreneur ont été souvent protégées du mauvais sort ou d’un destin funeste parce qu’à des moments clés, le fondateur sut protéger ses données, casser quelques portes pour mettre ses serveurs de données sous haute protection. Faire simple et penser expérience client plutôt que conformité avec les lois, les contraintes imposées par les « sachants ». Pas d’omelettes sans casser des œufs, pas de match retour ou en division 1, en France, sans quelques fréquents arrangements avec la loi ou les multiples réglementations.
Oui si l’on veut comprendre l’importance de la modération…
Ce métier méconnu qui consiste à créer ou modérer des contenus textuels ou visuels sur des sites web avant l’abonnement à vos services. Activité très grand public s’il en est, la rencontre digitale avec les âmes sœurs ou des compagnons d’un jour ne peut souffrir d’être assimilée à du proxénétisme. La limite, ténue, nécessite des services très efficaces de modération.
(Voir dans le numéro 105 d’En-Contact, un article sur le sujet et comment des spécialistes de ces activités peuvent sauver votre société, votre existence parfois.)
Une vie choisie, de Marc Simoncini, éditions Grasset
3 heures et 18 euros, c’est donc peu pour un vrai récit sur la liberté, les dommages collatéraux qu’un usage immodéré ou désordonné de celle-ci provoque parfois. Sur l’importance des rencontres et des alliances.
Oui si l'on se demande ce qui relève du mythe, de la réécriture de l'histoire, par laquelle nous sommes tous tentés.
La limite de l’ouvrage, s’il fallait en trouver une, tient au caractère mythique du récit. Mythique dans le sens où seuls les très proches de l’auteur sauront dire ce qui relève du récit, de la réalité expurgée de tout ce qui n’est pas plaisant et doit sembler facile. Le livre pourrait s’appeler “morceaux choisis” et non “une vie choisie”.
Les femmes qui jalonnent ce livre possèdent peut-être quelques éléments de réponse. Dans le livre, elles s’appellent Eva, Laurence, Sandrine… et sauvent souvent le mari, le patron, le boss, grâce à leur indéfectible soutien ou leur compétence. Pas d’entrée en bourse imaginable pour Meetic sans le travail en arrière-plan de la fidèle Sandrine Leonardi, la directrice financière qui traverse une grande partie du livre.
C’est d’ailleurs lorsqu’il constate que tous ses copains et témoins de mariage sont malheureux en amour ou des cœurs à prendre, après leurs divorces respectifs, que Marc Simoncini aura l’idée de créer son application de rencontres. Vous les femmes ? Disait la chanson… Un sous-titre qui conviendrait parfaitement au livre, en deuxième choix après un autre qui vient à l’esprit : Avec modération.
La sagesse semble en effet s’imposer partiellement à Marc Simoncini, à la fin de ses aventures dantesques : s’il a su, pour Meetic, très vite comprendre l’importance des services de modération, il n’en découvre la vertu dans sa vie qu’après bien des chocs violents.
C’est alors, derrière Marc, un autre individu qui émerge : Ulysse, qui revient au port, mais Pénélope n’est plus là.
Extraits :
« Cette fois on a affaire à de la pinaillerie de haut vol (…) On décide, en dépit de toutes les règles que la CNIL s’efforce de faire respecter, de fouiller dans les messages de nos abonnés. (…)
La baie grillagée dans laquelle sont stockés nos serveurs est fermée. Je la défonce à coup de pieds et je vole en toute illégalité nos propres serveurs » (…)
Marc Simoncini a publié ce livre à l'âge de 55 ans. A 16 ans, Arthur Rimbaud écrit Le bateau ivre, confession et témoignage émouvant d'un grand voyageur, disrupteur en chef du langage poétique.
Les fleuves m'ont laissé descendre où je voulais (..) j'ai heurté, savez-vous d'incroyables Florides (..)
Si je désire une eau d'Europe, c'est la flache Noire et froide où vers le crépuscule embaumé Un enfant accroupi plein de tristesse, lâche Un bateau frêle comme un papillon de mai.
On ne va pas gâcher la lecture du livre, si vous l'entreprenez. A quelle conclusion parvient et aboutit Marc Simoncini, au terme de ses aventures ?
Découvrez notre article sur Jean-François Larios, J’ai joué avec le feu.
Cette année, chez Malpaso-RCM ( éditeur d'En-Contact) on a apprécié particulièrement, au point de l'éditer, la biographie de John Cochet, charpentier à la Féclaz, en Savoie. Tu seras un bon à rien. Lire ici.