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Une sacrée envie de foutre le bordel, les antimémoires passionnantes de Xavier Niel

Publié le 08 octobre 2024 à 03:00 par Magazine En-Contact
Une sacrée envie de foutre le bordel, les antimémoires passionnantes de Xavier Niel

Pas de messe, pas de Pif Gadget !

On a lu Une sacrée envie de foutre le bordel, le livre d'entretiens écrit par Xavier Niel avec Jean-louis Missika. Qui est sorti en librairies le 25 septembre. Une expérience littéraire, dans laquelle l'argent et les méthodes pour en gagner sont omniprésents. Un livre qui nous a rappelé Rahan, le héros de bande dessinée, plus que Romain Gary.  

Mercredi soir, à l’Olympia, quelques spectateurs chanceux ont eu l’occasion d’écouter non pas Diana Krall ou Sofiane Pamart mais Xavier Niel, venu expliquer comment devenir un millionnaire. Ils ont pu logiquement acheter et partir avec un livre, dont la sortie officielle a été le 25 septembre. 

Comme dans les meilleurs romans américains ou ceux de Philippe Djian ou d’Emmanuel Carrère, ou bien encore les mémoires de Jean-Jacques Beneix ou de Jean-François Larios, les trois cents pages sont remplies de vraie vie, de souvenirs et présentées sous une forme moderne, adaptée aux lecteurs qu’il entend interpeller. En dix chapitres, l'auteur et son confesseur dialoguent de presque tout, dans la langue de tous les jours et donc pas la langue de bois. Dès la préface, l'interlocuteur de l'auteur, Jean-louis Missika, ami de longue date et ex-administrateur d'Iliad, annonce la couleur : il a conservé le style cash de la conversation afin que l'on entende “la gouaille, le goût prononcé de XN pour les gros mots, les ouais et les raccourcis”. 

La publication de courts extraits d'un ouvrage est autorisée, lorsqu'on en fait la critique. Il nous a donc semblé utile, bien que l'éditeur ne l'ait pas souhaité, de donner à entendre quelques bribes de ces entretiens. Un florilège de ceux-ci reflèterait la diversité des sujets abordés, la cordialité des discussions et la sincérité de l'auteur. On espère donc qu'on n'aura pas de procès. Les procès, ça fait perdre du temps. La prison, à la limite, ça permet de bronzer, de rencontrer Ketchup et de retrouver ses réflexes de Créteil, comme expliqué dans le livre. 

Un minitel

Fernand Develter, il n’était pas chic, mais il avait du cœur. 
Une grande partie du livre évoque les nombreuses rencontres que le patron de Free a pu faire, su favoriser. Est-ce son premier mentor, Fernand Develter, qui lui en a donné le goût, lui qui se décrit dans les premiers chapitres comme un élève et ado discret, pas forcément sociable, appréciant les legos et ses grands parents ?

"Il avait beaucoup d’influence sur toi ?
Ouais, il avait de l’ascendant. Il a vingt-cinq ans de plus que moi, il m’appelait mon gamin (..) C’était le roi du gros pourboire. Un jour je lui dis que j’ai besoin de 30 Minitels pour bosser et qu’on en trouve pas. Mon gamin, laisse ça, c’est pour moi, je vais te montrer comment on trouve des Minitels. On part en voiture à l’agence France Télécom où il y a une queue interminable. Il sort un billet de 500 francs et dit : qui peut s’occuper de moi ? Y a trois vendeurs qui se jettent sur lui et on est ressortis cinq minutes après avec nos 30 Minitels. Je ne savais pas où me mettre. Il n’était pas chic, il avait des tonnes de défauts, il avait une vie sentimentale super compliquée, mais il avait du cœur et une capacité exceptionnelle à nouer des relations. Il m’a beaucoup appris"

 

Quand Sosh « censure » Konbini
La liberté de ton qu'il déclare laisser dans les médias qu'il achète ou finance, n'est pas forcément de mise partout. 

“Konbini, qui prétend être un média jeune et cool, me tanne pendant des mois pour faire une vidéo sur l’histoire de la Freebox. Au bout d’un moment j’accepte, ils viennent, on tourne la vidéo, on se marre bien. Deux mois après, ils nous disent : « Finalement, on ne la publiera pas » « Ah bon et pourquoi ? » « Parce qu’on nous a interdit de la publier » « Ok, qu’est-ce que j’ai raconté comme connerie ? » « C est pas ça, c’est juste qu’un de nos plus gros annonceurs s’appelle Sosh. Ah ben oui, je comprends, faudrait quand même pas déplaire à des gens qui vous arrosent de thune !” (…)

Le redressement du journal Le Monde avec Michaël B 
Un des grands bonheurs du récit provient d'un constat: même après qu'il a réussi, XN est demeuré pragmatique, rapide et ne s'embarrasse pas d'un formalisme superflu. Un sou est un sou, et aucune institution ne mérite d'être mal gérée, fût-elle un grand journal du soir. C'est parce qu'il lui faut quelqu'un de très cultivé que lui et Pigasse vont chercher Pierre Bergé pour rentrer au capital du Monde. Pour ce qui est de la restructuration des finances et de  la mise aux standards de gestion, c'est le sniper Boukobza* qu'on envoie. 

“En termes de management, le choc culturel a été violent. Ils l’ont surnommé Michaël Bazooka. Vers 18 heures, je reçois un message du directeur général, David Guiraud, qui veut me voir d’urgence. Il me dit que ça s’est très mal passé « Ton consultant, il me demande des notes de frais, il me dit que c’est pas normal que j’aie une voiture avec chauffeur » J’essaie de le calmer (..) Il insiste, c’est lui ou moi. Et je lui réponds : «  Ben là, tu viens de perdre ton job. Le mec aura tenu huit heures face à Michaël*” (…)

*Michaël Boukobza. 

Un futur souhaitable.
Ceux qui sont passionnés par le personnage et la saga Free ne trouveront pas forcément dans le livre de grandes révélations sur ce sujet, si d'aventure ils ont déjà lu les deux biographies qui sont parues sur Niel ( dont celle de Gilles Sengès, très fouillée). Sans verser dans l'intime, les passages sur l'enfance à Créteil, la messe obligatoire en famille, la lecture régulière de Télérama pour l'un de ses parents, la nouvelle visite faite récemment en famille à Créteil et qui manque de mal tourner, constituent quelques moments d'émotion, rares et instructifs. Tout comme les passages sur la prison et les vertus de la détention: perdre du poids, bronzer, savoir qui est Ketchup. Et comment une juge peut accepter de fournir du Coca Light. On  découvre un individu qui avoue être mal à l'aise en société dès lors que la jauge de la soirée dépasse 50 personnes. Et capable de s'interroger sur le monde qui bouge, et où les référentiels ont changé. 

“ J’ai vécu dans un monde où personne ne se préoccupait de savoir si les animaux que l’on mangeait avaient souffert. J’ai vécu dans un monde où la consommation de carburant était sans limites. Plus t’avais une grosse bagnole, plus c’était un signe de réussite. Quand t’as vécu cinquante ans dans un monde comme ça, c’est beaucoup plus dur de changer que pour un jeune de 15 ans, qui se dit que ce monde n’est plus tenable- et qui a raison. Pour changer j’ai besoin de comprendre. Alors j’ai mis en place des choses pour m’aider à réfléchir. J’essaye de rencontrer des gens hors de mon cercle d’amis (..) C’est un apprentissage pour moi, un cheminement. La décroissance, bien sûr ça ne m’attire pas” (…)

 

Merci Linkedin ?
Il n'existe pas de cabinet de chasse ou d'Executive search rue de la Ville l'Evêque, le siège d'Iliad. Linkedin et les conseils des amis, connaissances, entrepreneurs plus jeunes ont permis la mise au point d'une méthode de sélection et de recrutement originale. 50 entretiens, ça ne sert à rien, rien ne vaut la mise  en situation !
"L’innovation, c’est une ambiance, un état d’esprit. L’enjeu est de garder le contact avec les jeunes (..) Faut avoir dans tes équipes des gens assez jeunes, brillants et dégourdis, à qui tu fais confiance et qui ne pensent pas comme toi.

Et tu les trouves comment ces jeunes ?
Sur Linkedin.

Non mais sérieusement ? 
Ah mais je suis très sérieux. Je demande un peu conseil autour de moi, ensuite je fais mes recherches sur Linkedin, j’envoie un message, on se rencontre, et si le rendez-vous se passe bien, je l’embauche" (..)

C'est de cette façon par exemple que récemment, la numéro 2 du groupe, Aude Durand a été recrutée, venant de chez Orange. Une X/ Stanford, ce que lui avait conseillé Jean-Charles Samuelian, le patron d'Alan.  

Je pense qu'on est en train de réinventer le centre d'appels. Vitry, Colombes, le Maroc, le Loiret, Kyutai. 
Les 300 pages seront dévorées par les apprentis entrepreneurs, les codeurs, mais aussi par les salariés des call-centers auxquels un long chapitre est consacré. Les plateformes téléphoniques internalisées du Maroc, de Vitry, de Colombes, sont un bon exemple des méthodes d'organisation et de gestion innovantes des ressources humaines. Parfois, comme à Colombes, la greffe ne prend pas. “ A Colombes, y a rien qui allait. A la fin on a vendu l'activité à une société prestataire spécialisée, ce qui n'est pas très courageux non plus”. La création de call-centers de taille plus modeste, où les hotliners peuvent prendre des appels et aller dépanner les clients chez eux, est évoquée et laisse penser à XN que lui et son équipe sont en train d'inventer le centre d'appels et de support du futur. 

Angélique Gérard, l'ex-directrice des relations abonnés de Free, n'est pas citée dans l'ouvrage. Même si l'on y évoque longuement les call-centers, ceux du Maroc, de Vitry, de Colombes et leur avenir. © Edouard Jacquinet

Tout comme..  Romain Gary ? 
Il y a cinquante ans, dans La Nuit sera calme, Romain Gary avait choisi François Bondy, un ami, journaliste, pour lui poser des questions et aboutir à un livre de soi-disants entretiens. XN a choisi Jean-Louis Missika, ex- administrateur d'Iliad, qui lui a rendu de nombreux services (et récemment condamné pour conflit d'intérêts) pour jouer ce même rôle. Les deux hommes ont des choses en commun. Peut-être, en raison de cette proximité, le livre ne comprend-il pas beaucoup de questions gênantes, bien que son auteur ne cache pas les moments plus sombres ou les échecs, dont il indique qu'il se sort grâce à un incroyable optimisme. 

Les antimémoires, Romain Gary ou..  Rahan ?
Les apprentis entrepreneurs y trouveront des conseils éclairés, les jeunes et vieux diplômés de HEC, des Mines ou de Polytechnique y apprendront ce que XN pense d'eux et comment la disruption nait. Les demandeurs d'emploi de bonnes raisons de croire en eux et au travail.  “Etre entrepreneur, c'est comme le chômage, mais en mieux: tu te lèves à l'heure que tu veux, tu choisis ce que tu vas faire de ta journée. Si t'as pas envie de faire un truc, tu le fais pas” 

Si Xavier Niel a beaucoup fait pour la culture en France, Une sacrée envie de foutre le bordel  ne ressemble pas aux Antimémoires de Malraux, difficiles d'accès et dont Marguerite Yourcenar disait qu'elle n'y sentait pas le vrai. 

Pas non plus à La Nuit sera calme car les confessions de Romain Gary ne comprenaient rien sur l'économie, l'entreprise, très omniprésents dans le livre. Et Gary s'y révélait pessimiste sur l'avenir: nous allons vers la merde, mais je ne sais pas en quelle compagnie, écrivait-il, alors que l'optimisme transparait de tous les chapitres et des conclusions du livre. Rien donc de commun avec l'auteur qui pense que demain sera meilleur qu’aujourd’hui. 
"Est-ce qu’il y a un mot qui te définit ?
L’optimisme. Je pense toujours que demain sera meilleur qu’aujourd’hui. D’ailleurs c’est pas je pense, mais je suis sûr. Demain sera meilleur qu’aujourd’hui"

In fine, c'est à Rahan que l'on pense qui achevait toutes ses aventures dans la BD et dans Pif Gadget par le même geste: faire tourner son couteau sur le sol, alors qu'il se trouve à la croisée des chemins et partir dans la direction pointée par le couteau, lorsque ce dernier s'arrête. Comme Rahan, l'auteur écoute ceux qu'il trouve sur sa route, est soucieux de la nature et assoiffé de nouvelles aventures. ( Ces souvenirs de Rahan étant anciens, qu'on m'excuse s'ils sont erronés)

   

Manuel Jacquinet

Les autres livres de confessions et d'entretiens, qu'on a aimés et qui peuvent aider ceux qui désirent devenir cinéaste ou footballeur... Les chantiers de la gloire (Jean-Jacques Beneix) et Jean François Larios: j'ai joué avec le feu

 

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