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SNCF Connect “élu service client de l'année”, la meilleure blague de l’année ?

Publié le 19 novembre 2023 à 05:46 par Magazine En-Contact
SNCF Connect “élu service client de l'année”, la meilleure blague de l’année ?

La 17ème édition d'ESCDA, Elu Service Client de l'Année, a fait sourire et se moquer des internautes et vrais clients, usagers de la SNCF et de SNCF Connect, qui ont réagi sur les réseaux sociaux, après que SNCF Connect a été primée dans sa catégorie. “La meilleure blague de l'année (..) la blague du jour” tels sont les titres de ces prises de parole.

De nombreux clients, qui ont reçu un mail de la part de la filiale de la SNCF se félicitant de cette distinction, n'ont pu s'empêcher de réagir par des posts ironiques. Comment une application et un site de réservation qui a connu cette année tant de dysfonctionnements, de pannes, dont l'expérience utilisateur a dû être remodelée souvent … peuvent-ils être primés? La lenteur à être remboursé, la panne de service lors de la mise en vente des billets pour l'hiver, tout ceci serait donc la marque d'une entreprise et plateforme customer focus? 

Peut-on acheter ce type de prix ? Oui, clament et expliquent des internautes. Il en couterait environ 30K. Ludovic Nodier, fondateur de Viséo Customer Insights n'a pas réagi officiellement.

Le Parisien et le Figaro notamment se sont fait l'écho de ces moqueries. Le Parisien fait au moins le témoignage de l'indépendance de sa rédaction. Le même journal relaie les critiques des internautes et a édité un supplément avec l'organisateur de la manifestation. 

SNCF Connect n'est pas encore le champion du monde du service client et de l'expérience utilisateur.

La SNCF et notamment son service de réservation ne sont pas exempts de reproches, de situations ubuesques: application qui bugge, service client complètement automatisé qui peine à prendre en charge les demandes complexes, retards dans les remboursements, impossibilité de gérer les billets Ouigo.. La liste des dysfonctions et points perfectibles est longue et suscite trois questions:

Comment cette distinction est-elle décernée, suffirait-il de payer pour l'obtenir et qu'est-ce qu'un bon service client ?

“Objectivement, quand tout est géré par des bots, que le support est impossible en agence en cas de problème et qu'obtenir une réponse passe par une hotline payante et au numéro confidentiel, on ne peut juste pas parler de service client” mentionne un lecteur de l'article du Figaro dans un commentaire

“Pour compléter l'article, la participation pour recevoir ce prix est payante, 20 000 euros+ des frais du même ordre de grandeur en fonction de l'utilisation de la marque Service client de l'année en pub, radio, il y a tellement de catégories qu'il n'est pas rare qu'il n'y ait qu'une seule entreprise candidate par catégorie. On peut donc raisonnablement penser que c'est une récompense qui s'achète”, écrit un second lecteur. 

Ambiance ESCDA 2011 avec Ludovic Nodier à gauche

Depuis dix-sept ans, l'entreprise créée par Ludovic Nodier, Viséo Customer Insights, a décliné dans le monde du service client une méthodologie inspirée par Elu Produit de l'année, créée par un proche de la famille de Ludovic Nodier.

. Des marques s'inscrivent chaque année pour concourir, dans une catégorie donnée, et sont évaluées, durant huit semaines par un tiers* (une filiale de BVA) qui les sollicite et expérimente leur service client, à distance. Dans chaque catégorie, la société qui obtient la note plus élevée reçoit le prix Elu service client de l'année. Il peut arriver que dans une catégorie, il n'y ait pas de lauréats lorsqu'aucun  participant n'a obtenu une note supérieure à 12/20.

. Cette méthodologie et le fait qu'on puisse être primé alors que la société qui a le plus grand nombre de client dans cet univers ne concourt pas, a donné lieu à des procès dans le passé, notamment dans le secteur concurrentiel des télécoms. Nous l'avions raconté ici.Free et SFR se sont écharpés à ce sujet et ont attaqué ESCDA à l'époque. Les juges à l'époque avaient estimé qu'il s'agissait d'une “opération publicitaire” et qu'évoquer le terme d'élection constituait pouvait s'apparenter à une “pratique commerciale trompeuse”. Depuis, ce jugement a incité ESCDA à faire évoluer ses pratiques d'élection.

. Les gagnants payent, en sus des frais d'inscription, des sommes avoisinant les 20 KE par an pour avoir le droit de faire figurer la distinction et le logo. 

La soirée annuelle de remise des prix, qui accueille plus de 800 personnes, s'est installée comme une soirée assez courue puisque les marques en profitent pour inviter leurs équipes de télé-conseillers et agents de service client. Puisque les prestataires de BPO,  qui collaborent avec les marques primées, tentent et parviennent désormais à faire savoir qu'elle sont derrière le service reconnu, qu'elles y contribuent : Comearth, Konecta, Webhelp, Ocean Call, Teleperformance etc.. Il existe en effet une compétition rigoureuse dans cette industrie. Faire savoir et rappeler que l'on a permis à son client de monter sur le podium pourrait donner envie à d'autres marques de collaborer avec vous. Comearth, par exemple, une PME créée par Jean Reignier, est l'un des partenaires historiques de Veepee qui a été l'entreprise la plus multi-récompensée à ESCDA ou d'Edenred, primée cette année (voir la photo de une, dans les locaux de Comearth à Orsay). 

Viséo Customer Insights a imaginé et monté une jolie cash machine. Indépendante ? 

En sus, ESCDA facture par exemple désormais les vidéos qui sont passées et diffusées pendant la soirée. ESCDA est devenue une entreprise très rentable, du fait de son modèle économique et de l'industrialisation de la vente de tous les service évoqués: pour participer, il convient de payer. Pour faire savoir qu'on a gagné, il convient de payer. Pour faire apparaitre sa marque via une vidéo durant la soirée, il convient de ..payer. Pour assister à la soirée, il convient d'être invité et accepté sur la liste ( les organisateurs s' assurent ainsi qu'aucun discours dissonant ne viendra perturber le cérémonial)

Le magasin Sephora des Champs Elysées, récemment ouvert. Le service et l'expérience client en boutique n'est pas évalué par ESCDA. Seul le service à distance est évalué  et durant 8 semaines. 

Le magazine En-Contact a été partenaire média de la soirée durant les premières années, plus de dix ans, indique son rédacteur en chef, Manuel Jacquinet. "J'ai vu ensuite l'entreprise devenir cette cash machine-une évolution qui ne me semblait pas compatible avec l'indépendance attendue- et ne pas évoluer, selon moi. Prévenir par exemple les entreprises évaluées de la période durant laquelle elles seront testées est étonnant. J'ai ensuite longtemps suggéré à Ludovic Nodier une recommandation: que l'expérience client et le service client en boutiques, dans les lieux physiques, fassent partie des tests et de la méthodologie: au niveau mondial, le commerce s'effectue encore à 80% dans les lieux physiques !

En deuxième lieu, il me semble difficilement compatible de primer des entreprises, de vendre un logiciel qui sert à évaluer (Hubicus), de créer des catégories nouvelles chaque année; de ne jamais questionner la posture de nombreuses grandes entreprises et marques qui cherchent a économiser sur le service client, à l'automatiser à outrance.. et s'achètent ensuite une sorte de cache-misère avec un “label”. 

Imaginez que, l'année où sort le livre les Fossoyeurs, Orpea puisse recevoir le prix de la meilleure expérience résidents en maison de retraite, ça devrait choquer.. C'est en substance, toutes proportions gardées, la réserve qu'expriment cette année les clients de SNCF Connect. Voilà pourquoi nos chemins se sont séparés et pourquoi je n'assiste plus à la soirée de remise des prix, depuis longtemps".

La mise en cause par des internautes du prix décerné à SNCF Connect n'a pas fait l'objet d'une réponse officielle de la part de SNCF Connect ni de Ludovic Nodier.

Ce dernier est également associé dans une société qui édite et vend un logiciel de Quality Monitoring, Hubicus. 

Selon certaines sources, celle-ci (qui a été rachetée par BVA en 2016) serait sur le marché, à vendre. 

L'article du Parisien a été suivi par quelques autres articles de presse dont celui du Figaro. 

La montée sur le podium cette année de la plateforme SNCF Connect, au sein de laquelle on investit cependant sur l'expérience et le service client, comme nous l'avons relaté ici, est peut-être un signal d'alarme à considérer. 

La rédaction d'En-Contact. 

 

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