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Quand les prestataires de BPO sont prêts à rompre la relation commerciale avec des clients prestigieux, pour cause de prix désuets

Publié le 31 janvier 2024 à 11:00 par Magazine En-Contact
Quand les prestataires de BPO sont prêts à rompre la relation commerciale avec des clients prestigieux, pour cause de prix désuets

"Nous ne rompons pas les relations commerciales avec nos clients, mais sommes prêts à aller jusque-là" MP, DG d'un des leaders mondiaux du BPO en expérience client. 

Attachés à défendre leurs marges, qui n’étaient déjà pas très mirobolantes, quelques prestataires spécialisés en BPO et gestion de la relation client ont entamé avec certains de leurs clients des négociations pour rationaliser leurs prix et obtenir de les réévaluer. La hausse du SMIC, du prix de l’énergie et les exigences de créer et « remonter » de l’Ebitda à leurs actionnaires se combinent et provoquent parfois des ruptures ou re-négociations de contrat. A l’initiative du sous-traitant. Dans d'autres métiers, on ré-examine également les conditions de collaboration, quelque soit le “prestige” du client.

On l’appellera MP. Directeur général d’un des leaders mondiaux du BPO, MP est revenu aux affaires en Europe, après avoir restructuré une zone géographique clé de l’entreprise qui l’emploie. Ses presque trente ans de métier lui ont appris des choses aussi basiques que de  savoir regarder un compte d’exploitation sur une opération de service client ou de télé-marketing, en sus du NPS que lui demande son client, qui rêve de voir ce dernier indicateur s’envoler.

« Depuis des années, certains de nos clients, français ou pan-européens, nous font exécuter des missions de plus en plus complexes, en jouant sur la concurrence qui existe entre les grands acteurs, et sans accepter d’intégrer toujours les hausses de coûts de revient que sont, assez basiquement, les charges salariales et de locaux. En Turquie, par exemple ou en Amérique du Sud, nous avons dû assumer deux hausses successives sur le salaire minimal de 40% chacune ou de 15% en Amérique du Sud. En France, les télé-conseillers également nous demandent une revalorisation de leurs conditions de rémunération. J’ai donc demandé à tous nos directeurs de BU, de comptes clé d’entamer les négociations avec certains de nos clients, afin de nous placer dans de bonnes conditions d’exécution des prestations qui nous sont demandées. Et dans certains cas, c’est à notre initiative que nous décidons de stopper la collaboration. En général, une task-force se met en place alors, chez notre client, lorsqu'il découvre que nous sommes déterminés »

Ex- cadre de Teleperformance, Laurent Niquet (désormais directeur des opérations clients d’Eutelsat) se rappelle qu’il fit de même chez Techcity Solutions (une filiale de Teleperformance) il y a une dizaine d’années, alors qu’un des clients qu’il gérait leur confiait une ligne de services sur laquelle les conditions d’exploitation s’étaient dégradées au fur et à mesure du temps : « Après lui avoir expliqué que nous désirions revaloriser nos tarifs, mon interlocuteur nous a indiqué qu’il en comprenait la justification mais qu’il ne l’avait pas prévue dans son budget. Nous avons donc cessé la collaboration, en lui trouvant une solution de repli chez un partenaire. Cette négociation fût difficile mais elle était indispensable et sur le moyen terme, elle s’est avérée payante : elle a ré-instauré une forme de respect entre nous ; il nous a re-consultés et fait travailler plus tard, sur des bases tarifaires viables »

Un facteur aggravant : la compétition entre les grands acteurs pour accrocher un logo parmi leurs références.

Pendant des années, la compétition entre quelques grands acteurs du BPO, les Sitel, Webhelp, Teleperformance, B2S etc a permis à quelques marques de jouer habilement entre les fournisseurs, connaissant l’impact de leur marque et d’une annonce de la collaboration avec eux. Nespresso par exemple a fait partie de ces marques;  Frédéric Jousset s’en était ému, après que Webhelp fût délaissée au profit d’un nouveau prestataire. « Grâce à la qualité de notre prestation, la marque était primée ou récompensée pour sa qualité relationnelle mais ceux qui la créaient étaient oubliés". Interchangeables, les prestataires ?

Chez un autre grand acteur technologique du secteur, Zaion, on a décidé voici quelques mois de ne plus réaliser de POC, ces fameux Proof Of Concepts dont les grandes entreprises sont friandes pour tester, gratuitement souvent, l'efficacité d'un nouveau dispositif, d'une technologie: “Nos callbots remplacent avec performance les SVI, nous disposons de quantité de références et de use cases éloquents. Il y a peu de raisons légitimes à demander ou mettre en place des POC gracieux” précise Stéphane Fontana, le directeur commercial.

Chez Comdata à Gennevilliers où sont traités quelques contrats pan-européeens. Crédit © Edouard Jacquinet

Les temps ont changé, ils sont durs mais également porteurs d'une nouvelle géopolitique, dans tous les domaines:

  • l'équipe du Maroc n'est-elle pas en demi-finale du Mondial de foot ?
  • les équipes de télé-vendeurs disponibles pour être mobilisées sur des opérations sont aussi rares que des pépites d'or. “ Une grande marque est venue nous rencontrer récemment, car les deux prestataires avec lesquels ils collaborent ne sont pas parvenus à mobiliser plus de trente commerciaux sédentaires en plusieurs mois, un chiffre insuffisant, précise Didier Manzari, de Comdata Afrique. Nous investissons depuis des années dans l'expérience collaborateurs, pour recruter et faire monter en compétences nos équipes; tout ceci a un prix".
  • un célèbre avocat, Emmanuel Pierrat confie que travailler pour les GAFA et en l'occurrence Google, n'est pas de tout repos ni forcément enrichissant: “ il faut de huit à douze heures de travail pour remplir tous les documents et formulaires qui vous permettent d'être agréé comme prestataire par Google, des heures et du temps non payés. Vous devez attendre parfois très longtemps pour être donc effectivement réglés et bien évidemment, vous êtes conflicté chez quantité d'autres clients, dès lors que vous travaillez pour Google..” Au siège à Seattle, une équipe dédiée a été créée pour aider les consultants et avocats à se faire référencer et payer.

Le retour aux commandes, en France ou en Europe, dans de nombreuses sociétés de service et notamment dans le BPO, de quinquagénaires expérimentés (Gilles Guez chez Pro-Direct, Patrice Mazoyer chez Comdata), la croissance d'acteurs ( Myopla, Outsourcia, Vipp-Interstis, Mezzo etc) -dont les manettes sont dirigées par des entrepreneurs, à leur compte et qui ont traversé les années 2000 et les crises qui ont suivi-dénotent un sacré retour au réel et à l'arithmétique de base. “ Quantité de boites de la Tech ont laissé croire, et leurs financeurs avec, que l'argent coulerait toujours à flot, que la croissance était un état permanent, qu'il n'y avait pas besoin de savoir compter, c'est la fin de la récréation dans quantité de secteurs" complète MP. 

Reste donc, chez certains prestataires de services, à former les équipes commerciales à ces nouveaux comportements nécessaires et attendus. On peut suggérer le module Négocier ses prix et défendre ses marges, obtenir des accords profitables dure deux jours et coûte 1410 euros, chez Abilwyays, par exemple. A l'ISM, un département d'Abilways, la directrice du pôle Acquisition et Expérience Client s'appelle Sandrine Knellesen, une ancienne, une historique de Teleperformance. Une grande maison dans laquelle on n'a jamais hésité à monitorer la rentabilité des opérations, ce qui explique probablement la stature acquise aujourd'hui. CQFD. 

Pour ceux qui n'aiment pas la formation en groupe ou ont cramé leur CPF, on conseillera la découverte ou la re-lecture du chapitre consacré à la dialectique du maitre et de l'esclave, dans Phénoménologie de l'esprit chez Hegel. En mode Reader's Digest, Hegel explique qu'il n'y a de maitres que parce qu'il y a des esclaves, qui acceptent de l'être. Mais l'esclave, parce qu'il travaille effectivement, produit, est en contact avec la nature, ce qui est réel. Le maitre pas. Peu à peu, si l'esclave est disposé à prendre des risques, c'est le maitre qui devient dépendant de l'esclave. Hegel, c'est aussi bien qu'Excel, ce Dieu qui a pris bien trop de place et de pouvoir ? 

Manuel Jacquinet.

Pour aller plus loin :

Nespresso change encore de prestataires.

Ce que j'ai appris rue Firmin Gillot, chez Teleperformance.

 

Photo de une : Laurent Niquet - crédit © Edouard Jacquinet

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