Mal noté dans un questionnaire de Mystery Shopping, F. Ravier, contrôleur de train SNCF s'est suicidé
On n'en sait pour l'instant pas beaucoup plus sur les circonstances qui ont conduit F. Ravier, contrôleur de train jusque-là bien noté et évalué, à mettre des chaussures à semelles en crêpe, une tenue non conforme. Et à se suicider. A Bordeaux, le prestataire PMGT a diligenté une enquête. Quel est le client mystère, l'enquêteur qui aurait …
Au Bon Marché, à la SNCF, chez McDo ou chez Center Parcs, la pratique du mystery shopping est ancienne et stratégique et parfois à haut risque. Depuis longtemps déjà (1930), le Gouvernement Américain envoie également des clients mystère, noirs et blancs, en magasins, pour identifier des pratiques discriminatoires. Mais jusque-là, aucun contrôleur de train ne s'était encore suicidé, à cause d'une mauvaise évaluation postée sur une application. Liée à une tenue non conforme: ses chaussures à semelles en crêpe n'étaient pas conformes au code vestimentaire inscrit dans la bible.
C'est ce qui arrive à F. Ravier en 2022, agent commercial à bord d'un train grande vitesse, contrôleur de train donc et heureusement pas dans la vraie vie mais dans un premier roman étonnant: Client Mystère. Plus haletant qu'Orange Stressé, de Ivan du Roy, où le management mal pratiqué notamment sur les plateaux téléphoniques était bien décrit. De l’intérêt et des dangers du Mystery Shopping, des bons premiers romans publiés chez Gallimard et ailleurs, de la mesure de l’expérience voyageurs.
La mesure des process, de la conformité des ventes ou de l’accueil est devenue vitale dans toutes les directions de l’expérience client mais également dans les services publics ou les administrations. Avis Clients, Retail Execution, logiciels SaaS spécialisés, outils et pratiques de speech analytics (pour ce qui se dit et s'entend dans les centres d'appels) y aident et peuvent :
- éviter des amendes ou de dépenser trop d’argent en études marketing inutiles : à quoi sert en effet de développer de nouveaux produits, d’imaginer des parcours clients fluides, si l’on ne monitore pas leur mise en place ?
- permettre d’améliorer la performance opérationnelle et de repérer les maillons faibles ?
Un roman récent, passionnant et publié chez Gallimard, embarque le lecteur dans ce monde du Mystery Shopping et des start-up, scale-up qui aident la SNCF, Mc Do ou Burger King à noter les équipiers, le bon fonctionnement de la borne digitale ou la conformité de la tenue ou du sourire. « Je voulais travailler sur la langue mais également situer mon histoire dans un univers très moderne, explique son auteur, Mathieu Lauverjat. Je me suis beaucoup documenté sur cet univers et les applications qui distribuent le travail à ces enquêteurs mystère ». Pas du tout manichéen, Client Mystère parvient à demeurer à la frontière du documentaire, du thriller et du roman de gare de très bonne facture. «J’ai écrit le livre dans les trains, dans des gares SNCF, un univers où le voyageur attend un niveau de services, a le loisir de se questionner sur les annonces faites à bord, la capacité du steward à faire une vente additionnelle, à la voiture bar ». On ne sera pas surpris, sans tout dévoiler, que le drame se noue autour d’une situation imaginée ou vécue : un contrôleur de train, que le héros aura mal noté parce qu'il porte des chaussures aux semelles en crêpe inadéquates va se donner la mort. Martha, comment ne pas perdre Martha, la femme aimée et qui entreprend, elle, de maitriser son destin en créant un restaurant spécialisé dans le poulpe ? 235 pages qui valent toutes les séries Netflix et dont la langue s'inspire de Radiguet et de George Perec. Jusqu’où peut-on noter, quelles injonctions contradictoires nous proposent l’époque et les entreprises, qui doivent délivrer, enchanter, mesurer le niveau d’enchantement ? On voyage du Nord de la France, où le héros balloté à démarré comme coursier, à Toulouse et d'autres villes de province où le mystery-shopper compare la qualité des Kebabs, on finit à Tanger, dans les fermes à clics. Et l'on se rappelle que chez Orange, les pratiques de management et d'évaluation de la qualité n'ont pas toujours été bienveillantes, selon le nouveau motto.
nb: dans le roman, mis à part McDo, aucune grande marque n'est mentionnée, mais on peut, sans trop de perspicacité, songer à quelques-unes des grandes entreprises de transport, du tourisme etc qui pratiquent les études confiées à des clients mystère.
A lire et méditer.
C’est à savoir :
La SNCF mesure avec quantité de prestataires, dont BVA et d’autres, l’accueil en Gares, la conformité des messages vocaux et la posture des agents à bord. Une équipe de chercheurs spécialisés en sémiologie et anthropologie observe d'ailleurs les comportements des voyageurs pour analyser leur satisfaction et ce qui la compromet (une équipe emmenée par Simone Morgagni et Paola Sierra). Dommage que comme dans quantité d'entreprises, autant de silos à la SNCF éparpillent et fractionnent une vision globale de l'expérience voyageurs. Mais des avancées interviennent : l'équipe de Benjamin Huteau a permis d'unifier et de centraliser l'information venant des différentes gares et qui permet de notifier le voyageur en cas de retards, de grèves :)
Au Portugal, du 23 au 25 Mai, dans l'Algarve, les représentants de la MSPA, une association européenne de mystery shoppers se rencontreront pour leur Forum annuel.
Depuis 1930, le Gouvernement américain utilise le mystery-shopping pour évaluer quantité de choses dont des pratiques discriminatoires. A découvrir dans le Podcast qui suit : Manuel Jacquinet y raconte la vie des 30 000 enquêteurs de la MSPA.
Le speech analytics, associé à l’IA, permet également de mesurer de façon régulière les pratiques et le discours des agents de centres d’appels. L’outil et la pratique sont considérés comme le facteur qui aide le plus les téléconseillers à progresser. Skill and You, leader français de la formation, a déployé, en 2021, le logiciel et les outils de Callity, une des rares entreprises françaises spécialisées sur ce sujet.
La voix du client et le traitement des insights clients feront l'objet d'un numéro spécial du magazine En-Contact; téléchargez le calendrier rédactionnel ici.
Découvrez un extrait de “Client Mystère” de Mathieu Lauverjat
Pages 73 - 74
C'est avec ces mots que la responsable PMGT avait soigné son entrée en matière et, de façon immédiate, flatté, j'ai pressenti que j'allais monter en gamme dans la pyramide du mystery shopping. En gros, me déballait quelques minutes plus tard Anne-Sophie Vitelotte, cela ne m'avait sans doute pas échappé, nous vivions une situation économique inédite et dans ces circonstances exceptionnelles, le client souhaitait - à bon droit - mieux comprendre l'usage des offres actuelles. Pour ce faire, une société concessionnaire dont elle tairait le nom pour le moment avait mandaté PMGT - je me souviens de la formule - et cherchait des personnes fiables et disponibles sur-le-champ. Fiables et disponibles sur-le-champ. Mais elle tenait à m'expliquer en détail si je le voulais bien, si ça m'intéressait bien sûr - sauf si je préférais rester jongler sur Shopmetrics ? Et j'avais répondu quelque chose comme non mais oui, bien entendu, je suis intéressé, je vous écoute.
Il s'agissait d'une enquête sur les services en gare et à bord des trains. Pour l'instant, ce n'était pas plus compliqué. Je me positionnerais de façon à mesurer en situation réelle un suivi qualité des services proposés aux voyageurs à bord des lignes à grande vitesse ; il fallait que tout concorde à ce que les agents répondent aux attentes du public. Que le service soit le meilleur du marché, est-ce que je comprenais ? Elle parlait posture des agents. Qualité de prestation - au fait, la démarche PMGT était exclusivement une démarche d’étude, conforme au code de déontologie des sociétés d'études de marché et d'opinion. Jusqu'ici, c'était toujours clair pour moi ? Ce que je devais retenir, grosso modo, c'est que les agents d'escale, les contrôleurs, les baristas et les hôtesses de propreté devaient livrer une prestation irréprochable et assurer le meilleur fonctionnement de la ligne. La moindre erreur, le moindre manquement pouvaient très vite conduire au chaos. L'effet papillon, ça me disait quelque chose ? Un battement d’ailes et c'était l'ouragan. Bon, les dirigeants, contrairement à moi, méconnaissaient la réalité du terrain. Les clients, j'allais donc être leurs yeux, et eux, au siège, ils recueilleraient ma voix. J'évaluerais, ils rendraient compte et les conclusions seraient remontées dans un audit solutionné global by PMGT.
J'acquiesçais, doucereux, dès que j'avais un créneau. La base légale de ce traitement était l'intérêt légitime du client, convenait Anne-Sophie Vitelotte, et d'ailleurs, au jour d'aujourd'hui, jurait-elle, toutes les entreprises étaient tenues d'évaluer leurs propres activités d'après des normes de qualité, dont les enquêtes de satisfaction. Bref, elle n'allait pas me faire un dessin, les temps étaient durs. Le coût, la dette, les externalités, dans l'espace de la concurrence il y avait une tension irréductible entre les impératifs liés à la sécurité ferroviaire et la relation service.
Photo de une : SNCF - crédit © E. Pothier