"Je ne m'installerai jamais à Ouagadougou pour monter un call-center pas cher!" - Jean Reignier (Comearth France)
Actualisation du 14 septembre 2022
Entrepreneur indépendant et expert du service client externalisé, Jean Reignier, le fondateur de Comearth, aime les chiffres précis (notamment dans les rapports d'E/Y réalisés pour le SP2C: cf notre article d'hier), le miel ( il en produit) et ses clients - dont certains sont prestigieux: Veepee, Velux, Rosbank, etc… La contribution de Comearth France a aidé certains d'entre-eux à devenir, parfois rester “élu service client de l'année”. Pour mieux le connaître, sachez que l'entreprise a réalisé 17 millions d'euros de chiffre d'affaires en 2021, avec 380 collaborateurs et 8,74 millions en 2020, avec 300 collaborateurs. Les experts-vérificateurs et calculateurs s'interrogeront sur la façon de croître de plus de 95% alors que les effectifs ne croissent que de 27%, mais on ne va pas pinailler :). Ses convictions sont restées fortes: parmi ces dernières, le service client ou la télévente produite en France serait plus qualitative qu'en offshore. Il ne lui viendra jamais à l'esprit, nous a-t-il raconté, de s'installer un jour au Burkina Faso, pour produire du service low-cost.
Est-il encore installé en Russie ? A Penza, agglomération située à 600km de Moscou, où il prit pied, en 2008. On lui a posé la question, il y a quelques mois déjà, il n'a pas désiré nous répondre. Informations prises, il aurait cédé sa filiale là-bas, voici quelques années. En Russie, l'expérience client et collaborateurs se conjugue à la mode locale. ( A lire demain, avec une critique de Kompromat, le film )
Quid du numéro 1 Mondial, Teleperformance, en Russie ? Daniel Julien, PDG et fondateur du groupe, a partagé lors du meeting tenu en Avril pour la présentation des résultats annuels, que la Russie, qui représente 1% du CA du groupe au niveau mondial, voyait ses activités suspendues: “ Nous ne servons que les contrats pré-existants, avons bloqué sur place tous les investissements et les transferts financiers”, avait-il confirmé aux analystes et médias présents. La filiale locale y était, en 2021 dirigée par Ekaterina Osina et y était certifiée Great Place to Work.
Ci après, une archive d'En-Contact, pour mieux connaître l'entreprise de Jean Reignier, installée à Orsay et qui l'a donc été également en Russie.
Jean Reignier, PDG de Comearth, est un homme simple et avisé. Lorsqu’il se rend à Penza, à quelque 500 km de Moscou, où est implanté Comearth Russie, alors que d’autres lui conseillent l’avion, il prend le train. Histoire de prendre le temps, de faire des rencontres. Rétrospectivement, après les catastrophes aériennes qui se sont produites en Ukraine, sa coutume paraît d’autant plus recommandable. L’histoire de Comearth, c’est un peu comme ces voyages en train. Au début, tout le monde lui a déconseillé de se lancer dans cette aventure, surtout en France, surtout dans la relation client. On lui a dit également qu’il était indispensable de compter des opérateurs téléphoniques dans sa clientèle. Dix ans après, Comearth table sur un chiffre d’affaires de 5,5 millions d’euros, réalisé sans ces mêmes opérateurs telecom, alors que chez bon nombre de ses concurrents, « on se rend compte que certains auraient dû comprendre plus tôt qu’ils auraient dû s’en passer », dit-il, avec son art consommé de l’euphémisme. Les tensions sur le marché du travail en France ne l’inquiètent pas. Celles entre la Russie, où la filiale de Comearth « double de taille quasiment chaque année », et l’Europe, non plus. Tout cela passera, et lui sera toujours là : l’homme prend son temps. Comme il a pris celui de répondre patiemment à nos questions.
Comearth a aujourd’hui 10 ans. Quelles sont les dates-clefs de ce parcours ? (entretien réalisé entre 2013 et 2014)
Le premier événement, c’est la signature d’un contrat avec vente-privee.com (devenu Veepee depuis), en 2006. Nous étions des challengers, à une époque où ils avaient déjà un partenaire historique pour les appels vers leur service client. C’est la signature qui a fait le plus pour notre développement. Il y a eu beaucoup de moments forts dans cette collaboration, au cours de laquelle nous avons démontré, je crois, notre sens du service. Ils ont toujours su compter sur nous et nous travaillons toujours avec eux. D’ailleurs, nous effectuons désormais même des missions de recrutement pour leurs centres internes.
«Tout le monde voulait me dissuader de lancer une entreprise en France, et après, tout le monde me disait que c’était de la folie de le faire dans la relation client»
En 2007, nous lançons Comearth en Russie. On m’a souvent demandé pourquoi j’avais fait ce pari un peu fou, et je crois qu’aujourd’hui encore, je ne sais pas quelles sont toutes les raisons profondes. Evidemment, il y avait une opportunité, la rencontre avec Evgenia (Lekanova, CEO de Comearth Russie), la disponibilité de Michel (Reignier, Vice Président Associé de Comearth Russie), mais il doit y avoir autre chose. Ce n’est qu’après que j’ai repensé à ma fascination pour l’âme russe, pendant mon enfance. Avant la fin de l’année, nous avions déjà signé deux beaux contrats, avec Sanofi Aventis et avec Rosbank, la filiale de la Société Générale.
En 2010, nous déménageons Comearth France à Orsay. C’était dans le cadre d’une mission pour le compte d’un client qui nous a fait faux bond, presque immédiatement après. Du jour au lendemain, on se retrouvait avec 30% de chiffre d’affaires en moins, et 20% de charges en plus. J’ai alors découvert les nuits sans sommeil ! En 2012, nous commençons à devenir partenaires de projets portant sur la télésanté et la télémédecine. C’est je pense un élément particulièrement important pour notre avenir : on est complètement dans notre domaine de prédilection, la gestion de la relation à distance. Le fait que nous participons à un des douze projets reconnus «projets d’avenir » par le gouvernement est un encouragement.
Dix ans, six jalons donc. Quelle a été la croissance du chiffre d’affaires de Comearth France pendant cette période ?
En 2006, nous faisions entre un et deux millions d’euros de chiffre d’affaires. En 2007, près de 3 millions d’euros. En 2010, 3,5 millions d’euros et en 2012 3,7 millions. Nous tablons sur une croissance de 25% cette année pour atteindre les 5,5 millions d’euros de chiffre d’affaires, avec 175 salariés à Orsay.
Et en Russie ?
Evgenia et Michel me freinent toujours quand je leurs dis qu’il faut commencer à communiquer, à participer à des salons, à se montrer : ils me rappellent qu’il ne faut pas grandir trop vite, et risquer de devoir négliger ses clients actuels ! En Russie, on double de taille quasiment chaque année. Cette année, on va faire 65% de croissance, avec 130 salariés.
Ce qui me frappe dans l’histoire de Comearth, c’est qu’aujourd’hui, vous ne comptez aucun opérateur parmi vos clients, ce qui est extrêmement rare dans le secteur. Pourquoi ?
Les opérateurs, je les connais, je les ai gérés quand je dirigeais la filiale française de l’outsourceur SNT. D’une part, ma taille ne me permettait pas de les gérer correctement. D’autre part, je sais à quel point ces clients sont difficiles à gérer. Tous les grands acteurs du métier ont grossi avec eux. Mais aujourd’hui, on se rend compte que certains auraient dû comprendre plus tôt qu’ils auraient dû s’en passer.
Quel bilan faites-vous de cette aventure, dix ans après ?
Au début, tout le monde a essayé de me dissuader de lancer ce projet. D’abord, tout le monde voulait me dissuader de lancer une entreprise en France, et après, tout le monde me disait que c’était de la folie de le faire dans la relation client, puisque tout partait à l’offshore ! Dix ans après, Comearth est toujours là, fidèle à son ADN.
Et comment le définiriez-vous, cet ADN de Comearth ?
Sur le plan opérationnel, cet ADN implique la proximité, le sur-mesure, la souplesse, l’innovation. Sur le plan transactionnel, il signifie une attention particulière à l’éthique, l’intégrité, la dimension humaine des relations.Je rencontre toute sorte de concurrents dans les appels d’offres. Des grands industriels, des petits spécialistes, inshore, offshore. Ce qui compte le plus pour nous, c’est la compatibilité des projets d’entreprise. Il m’arrive de décliner des propositions, pour rester fidèle à notre ADN.
Où vous voyez-vous dans dix ans ?
Dans dix ans ? C’est difficile. Je ne peux pas faire de prévisions. En tout cas, pas à Ouagadougou où j'aurais monté un "call" avec de la main-d'oeuvre pas cher; c’est peu probable !
Propos recueillis par la rédaction d'En-Contact.
Pour aller plus loin et découvrir les champions africains du service et de l'expérience client : Comdata, MyOpla, VIPP, Majorel, c'est ici
Photo de une : Jean Reignier, champion de la croissance, du call-center, division 2 - crédit © Emil Hernon