Abus d'ARENH. J-4 avant la "mise à mort" d'Ohm énergie ou la grâce ?
Lundi 1er Juillet, selon la sanction qui sera ou non prononcée par le CoRDiS, un fournisseur d'électricité alternatif malin et dirigé par un polytechnicien discret, Francois Joubert, pourrait disparaitre ou écrire une nouvelle page du droit de l'énergie et de la tarification dynamique. Ohm Energie, La Tour Montparnasse infernale, saison 2.
La version qu'on nous a racontée, jusque-là
En août 2022, dans un contexte de crise énergétique, le patron d'Ohm Energie, François Joubert, aurait concocté et exécuté un plan pour faire fuir massivement ses clients afin de revendre, à prix fort sur les marchés, l'électricité achetée à prix fixe par le biais de l’ARENH (Accès Régulé à l'Électricité Nucléaire Historique). Ceci est, à date, la version officielle défendue par quelques observateurs, anciens salariés qui se sont mués en lanceurs d'alerte. Est-ce la vérité ? Etait-il illégal de revendre, comme peut le faire un trader qui joue sur des actions à terme, de l'électricité plus chère, quand le cours de celle-ci est au plus haut ? Lundi, si le CoRDiS sanctionne la PME, celle-ci va t'elle pouvoir digérer l'amende, qui pourrait représenter jusqu'à 8% de son CA de 2023 ?
Pour comprendre, lisez plus bas le début de l'histoire. Sachez que le CoRDiS est le bras armé de la CRE, le Comité de règlement des différends et des sanctions. Il y a deux ans, il a détaillé dans un communiqué de presse, les motivations de cette enquête.
Qui est Ohm Energie ?
Ohm Energie voit le jour en 2018, fondée par François Joubert, cadre chez EDF pendant plus de 20 ans. La société entend alors profiter de l’ouverture du marché de l’énergie à la concurrence pour s’installer en tant que fournisseur. Ohm Energie séduit 200 000 clients français jusqu’en 2022, année durant laquelle François Joubert opère une manœuvre étonnante qui va faire bondir les chiffres de sa société.
Le principe mis en place par Ohm Energie est de conquérir un maximum de clients en promettant des tarifs avantageux, puis de les faire partir, ceci en augmentant fortement les prix quand ceux du marché s'envolent. Ohm peut alors revendre le surplus d'électricité, acheté initialement à un tarif fixe et bas, sur les marchés, à un prix très élevé. L’année 2022 sera particulièrement fructueuse en raison de la guerre en Ukraine, le prix du mégawattheure (MWh) explose jusqu’à atteindre 1600 euros en août 2022. Pour comparaison, EDF est contraint par la loi de vendre son électricité aux concurrents à hauteur de 42 euros/MWh pour un volume global maximal de 100 TWh/an.
Seuls quelques cadres sont informés des détails du « plan churn ». Les autres employés reçoivent des instructions précises sans en connaître la finalité réelle. Dès l'été 2022, Ohm augmente massivement ses tarifs, provoquant le départ d'environ 80 000 clients sur 200 000. Malgré les plaintes, l'entreprise maintient le cap. Elle se retrouve en possession d’un surplus d’électricité qu’elle peut alors remettre sur les marchés. À partir d'octobre, elle commence donc à revendre en quantité ce surplus via un intermédiaire suisse, Axpo. Au total, Ohm engrange ainsi plus de 130 millions d'euros de trésorerie sur l'hiver 2022-2023. Jusque-là, l’entreprise peinait à atteindre l’équilibre financier et « n’avait jamais réalisé de bénéfice jusqu’à présent, on avait fait au maximum 700 000 euros. Et encore, c’était en jouant sur les règles comptables pour afficher un bénéfice », témoigne Adrien Barral, le directeur financier en poste à l’époque.
La manœuvre pourrait prêter à sourire par son originalité si d’autres acteurs n’en avaient pas pâti. EDF, contrainte d'accepter les clients “fuyards” d’Ohm Energie (et d’autres entreprises ayant opéré le même système), a dû racheter de l'électricité au prix fort sur le marché pour pallier cette demande soudaine, subissant plus d’un milliard d'euros de surcoûts.
Le scénario et la chronologie des évènements peuvent laisser penser à une belle entourloupe, pas réellement éthique. Mais qui pouvait prévoir la hausse du prix de l'énergie, dans de telles proportions ? D'autres fournisseurs d'énergie tels Leclerc ont incité également leurs clients, 110 000, à les quitter.
Et si Francois Joubert avait, comme en son temps les vrais escrocs de la taxe carbone, mis le doigt et permis d'identifier un vide juridique, un angle mort dans le rétroviseur de la régulation des prix de l'énergie?
Leclerc Energies et d'autres ont également poussé des clients à la résiliation de leurs contrats. Du danger de la tarification dynamique ?
La CLCV, les associations de consommateurs, les médias qui se sont emparés de cette affaire ont jusque là lancé leur flèche de façon unanime sur l'entreprise de Francois Joubert. Pourtant, Ohm Energie n'est pas, et loin de là, le seul fournisseur à avoir incité ses clients à l'abandonner. Leclerc Energies, dirigé par Philippe Amann, riche d'un portefeuille de 110 000 abonnés, a également, sur la même période, augmenté ses prix, pour s'adapter aux nouvelles conditions de marché, et s'est délesté de milliers de clients.
Ce qui est à l'oeuvre dans cette histoire est ce qu'on appelle la tarification dynamique et ses impacts, sa régulation, le yield management. Le même produit, service, n'est pas vendu au même prix selon le moment où vous l'achetez. Ceci vaut à la SNCF, dans le transport aérien, sur certains moteurs de recherche ou marketplaces.
La question est de savoir:
- s'il était illégal d'en profiter, si le bon connaisseur de tous ces dispositifs qu'est indéniablement François Joubert, du fait de son parcours, avait en droit la possibilité de gagner de l'argent en revendant plus cher de l'électricité, à un instant T, sur le marché ?
- S'il l'a fait intentionnellement, avec un plan imaginé qu'il était possible d'imaginer une année plus tôt ? Dans les récits qui sont faits ça et là de l'aventure, on constate qu'aucun écrit n'existe, qu'aucune preuve matérielle n'a été récupérée, rédigée de la part du fondateur de l'entreprise. Des réunions ont eu lieu, en visio conférence.. c'est tout.
Pour comparer avec un exemple récent issu de l'actualité, va t'on mettre en prison ou condamner Cédric O, l'ex-ministre qui a investi une modeste somme dans Mistral AI: 176, 10 euros ? Ses 17610 actions vaudraient pourtant désormais 23 millions d'euros, si l'on se base sur la récente valorisation de l'entreprise, au capital de laquelle on trouve également, en tant qu'actionnaires du début, Jean-Charles Samuelian (de Alan) ou Charles Gorintin.
Dans quantité de secteurs régulés, disposer d'informations privilégiées et s'en saisir pour faire des profits est interdit, condamnable. Pas dans tous. Le 1er Juillet, on lira avec intérêt les fondements de la décision du CoRDiS, sachant que le directeur de celle-ci a déjà vu critiquer un de ses précédents rapports*.
La conformité des ventes réalisées par téléphone. Ce que Ohm Energie s'emploie à faire de façon très légale
Dans un domaine en tout cas, Ohm Energie réalise des ventes à distance.. parfaitement conformes ! Pilotée par Brice Granaud, la direction de la relation client et de la télévente est parfaitement structurée, entre l'Ile Maurice, Madagascar et la Tour Montparnasse, où travaille la direction de l'entreprise.
Depuis quelques semaines, le fournisseur s'est en effet équipé de Callity, un logiciel de speech analytics et de supervision de la conformité des ventes dont on a déjà parlé. “ Nous désirons pouvoir être informés, quasi en temps réel, de la conformité des ventes. Lorsqu'un doute existe, qu'une séquence de conversation semble contenir un argument ou une expression prohibés, nous sommes alertés. Le logiciel est très bien conçu car il nous renvoie automatiquement au moment de la conversation et de l'entretien de vente qui fait débat, précise Brice Granaud. C'est à ce type de détails qu'on observe que l'outil a réellement de l'avance sur les autres solutions du marché”
Manuel Jacquinet.
NB:* La décision évoquée sera suivie pour une autre raison. La personnalité et les précédents écrits et rapports du conseiller d'Etat, Thierry Tuot, avaient en leur temps provoqué quelques controverses. Notamment son rapport de 2013, consacré à la politique d'immigration suivie en France.