A Bogota, Medellin, les raffineurs du web et de TikTok
Visite exclusive et non “supervisée” des centres de Teleperformance, en Colombie, où l’on « raffine » ou vérifie les contenus (dont ceux qui sont illégaux ou non conformes) qui circulent et arrivent par milliers, chaque minute, sur les plateformes, réseaux sociaux. Teleperformance est devenue en très peu de temps l’un des acteurs clés de cette nouvelle activité, dénommée Trust and Safety. Et parvient à recruter et fidéliser 4000 nouveaux collaborateurs, par mois ! L'entreprise du CAC 40 a notamment compris, avant les autres acteurs du BPO, qu’il fallait soigner préventivement the Guardians of Internet. Teleperformance, a Penny Stock, seriously ?
En Colombie, Pablo Escobar a été remplacé. Mais on continue de raffiner certains contenus. Digitaux, vidéo. Selon des process rigoureux.
TikTok, Meta, mais également V… ou S…. doivent vérifier quotidiennement la légalité de certaines opérations, paiements, la conformité des contenus qui arrivent sur leurs plateformes, afin d’éliminer au plus vite ceux qui sont illégaux ou dangereux. Une rapidité essentielle, comme le titrait The Washington Post, qui décrivait bien les enjeux de la modération, grâce à au titre de l’un de ses articles : Only 22 saw the Buffalo shooting live. Millions have seen it since.
Ces grandes entreprises font donc appel, pour ces activités qu'elles ont du mal à gérer seules, à des prestataires spécialisés, environ 25 à 30 entreprises dans le monde. Teleperformance est l’une d’elles, tout comme Accenture et emploie dans cette nouvelle LOB ( voir plus bas) des dizaines de milliers de jeunes colombiens, brésiliens, argentins. Qui nous ont indiqué être heureux de travailler sur ces sujets. Heureux parce qu’ils y exercent un legal job, sont bien considérés et extrêmement bien “soignés”, comme pourraient l’être des sportifs de haut niveau à l’INSEP ou une équipe de football partie faire un stage de préparation à Font-Romeu, avant le début d’une Coupe du Monde.
Une première mondiale.
En Juin, deux journalistes de notre magazine ont embarqué (sur Air France) atterri à Bogota et visité ces centres de modération qui sont parmi les plus modernes et secrets au monde.
A Medellin, Carthagène, Bogota, Teleperformance fait: vérifier les identités des clients de ses clients ou de leurs abonnés ; modérer des contenus. Y entraine les machines et les algorithmes, dopés à l’IA, afin que ces derniers puissent ensuite fonctionner en toute autonomie. Jamais à notre connaissance, un journaliste et un photographe n’avaient eu le droit de les visiter, en toute autonomie, et de dialoguer ( sans supervision des marques ou de PR ) avec les salariés de ces centres. C’est pourtant là que se joue la sécurité du web, la tranquillité des familles et des internautes, la santé des content moderators, le sujet qui fâche. Des ex-modérateurs de Facebook ont attaqué en justice leur ex-employeur, donneur d'ordre.
Contrairement à ce qui se fait chez d’autres spécialistes, le Numéro 1 mondial de l'expérience client externalisée a compris qu’il faudrait des « policiers » dans le métavers, que le métier était complexe et qu’il fallait donc doter les équipes dédiées des bons outils, de la meilleure formation possible. Et qu’il était vital de les accompagner et soigner avec la collaboration d'équipes dédiées et nombreuses, composées de psychiatres et psychologues. Ce afin de prévenir les PTSD, ces maladies (post traumatic stress disaster) qui surviennent lorsqu’on a été exposé au pire de la nature humaine, comme l’ont raconté Daniel Motaung et d’autres ex-salariés de Facebook ou de ces plate-formes.
Chez TP, ces modérateurs se dénomment The Guardians of the internet : the workforce who takes care of all connections across all channels
En Colombie, un Ministre qui parle un peu vite ? Et en France, des médias qui restent encalminés dans le passé ?
Forcément, si et lorsque vous dites que vous partez en reportage en Colombie, une cohorte de mots et de noms propres surgissent dans la bouche de presque tous vos interlocuteurs : cocaïne, violence, Pablo Escobar, cartel. Ce qu’on a vu et entendu, au contraire, c’était des voies routières rapides encombrées à cause des travaux et chantiers de construction d'infrastructure; des jeunes diplômés heureux de travailler chez l’employeur numéro 1 dans le pays (45 000 salariés et plus de 4000 nouveaux salariés chaque mois); heureux d’avoir et d’y exercer a legal job et de rendre service à la communauté. Plus d’un tiers des modérateurs avec lesquels nous avons échangé nous ont relaté que c’était la 1ère fois qu’ils exerçaient un métier pour lequel ils recevaient une paye et un bulletin de paye .. officiel. Plus de 85% d’entre eux sont diplômés d'un niveau équivalent à BAC+ 4, tous parlent l’anglais quasi couramment. Un pré-requis puisqu’ils servent, depuis LATAM, principalement les marchés anglophone et hispanophone.
Trust and Safety, la LOB ( line of business) qui explose.
Bien qu’il ait passé les soixante-dix ans et “carbure” à la tisane camomille plus qu’à la Bud Light, Daniel Julien est demeuré un patron visionnaire, impliqué. Qui a saisi, il y a longtemps déjà, que l’avenir des centres de contacts ne se résumerait pas -ou plus désormais-à répondre aux appels, à proposer le renouvellement d’un abonnement à Télérama ou SFR ; à aider un internaute qui a perdu son mot de passe chez Netflix.
Pour ce qui est de la télévente, c'est également du passé et ça a eu payé : les do-not-call list (c’est le nom de la liste d’opposition au démarchage téléphonique non sollicité, aux USA) et Bloctel l’ont tuée, ou peut-être aussi les abus. Pour ce qui est du service client, il sera de plus en plus automatisé, grâce aux FAQ, aux outils de RPA et à l’IA, qui permettent de répondre assez bien et de contextualiser les réponses, sans disparaitre du tout, par contre : il va devenir de plus en plus technique et premium.
Lui et son équipe, largement internationalisée, féminine, ont donc développé de nouveaux services, pour servir de nouveaux clients : de temps à autre du coup, ses équipes filent un sacré coup de main aux gouvernements, américains ou français, comme lorsque des centaines de milliers de citoyens désirent prendre rendez-vous pour un vaccin.
Installés depuis longtemps aux US, et collaborant avec de nombreuses compagnies américaines, dont celles de la nouvelle économie, les acteurs du BPO (dont par exemple Foundever, l’ex-Sitel) et notamment Teleperformance travaillent depuis des années avec les Booking, Expedia, Uber, Meta, Apple. La liste du top 10 des clients de Teleperformance est secrète mais, sans déflorer le sujet, l’entreprise membre du CAC 40 a imaginé pour ces nouveaux acteurs, à la croissance folle, de répondre correctement à de nouveaux services. Regroupés dans une line of business dénommée Trust and Safety, TP gère pour le compte de ceux-ci, des activités de contrôle des paiements, des fraudes (pour Visa, Stripe, Capital One), de l’animation de communautés (Social Media), des contrôles d’identité et de connaissance clients (KYC), du contrôle de copyright (unauthorized use of logo, copyright image, original video etc) et de la modération de contenus. Dans cette activité, les modérateurs contrôlent, modèrent ou font disparaitre des contenus illégaux, à caractère sexuel, des discours haineux, des sévices faits aux enfants (child abuse) et intégrés et filmés dans des vidéos.
Comment opèrent-ils ?
Voir la vidéo ci-après dans laquelle Paola Maggiorotto explique et résume le fonctionnement du service. L'italienne, passée par Microsoft et Meta, dirige et supervise en Colombie une partie des activités.
En attendant que les gouvernements légifèrent, s’ils le peuvent.
Et le problème, l’opportunité pour Teleperformance et les autres acteurs du BPO, est justement que ces contenus explosent en nombre, dans toutes les langues, chez TikTok, Snapchat, Tinder. Et que le grand public, les gouvernements, ou les familles de victimes supporteront de moins en moins que ces plateformes laissent proliférer longtemps ces contenus choquants. Les exemples récents ne manquent pas. Florilège.
Le harcèlement sur les réseaux sociaux d’une jeune adolescente, qui décide malheureusement de mettre fin à ses jours : insupportable, se dit-on. Qu'avait fait Meta pour supprimer ces contenus que fait le Ministre de l’Education, Pap Ndiaye ?
Des vidéos de commerces, lieux publics cassés, vandalisés, diffusées comme la preuve d’exploits, et dont les auteurs sont drogués au nombre de vues de leurs “créations” ? Insupportables, choquantes, comme on l'a vu récemment. On s’excite alors, on fait mine de convoquer des représentants de ces plateformes, à Matignon ou à l’Elysée pour leur demander d'être plus réactives, coercitives. Mais les « convoqués » polis et qui répondent à l’invitation ne sont souvent que des cadres managers, salariés. Or, la décision, la vraie, se prend et négocie en Californie, ou en Irlande parfois, au siège de ces sociétés et ce sera demain l’opinion publique qui sera le juge de paix. En attendant donc d’hypothétiques régulations, législations, les plateformes ont décidé de modérer et d'allouer les effectifs nécessaires. TikTok déclare employer ou faire collaborer pour son seul compte 40 000 techniciens affectés au contrôle de ce qui se dit chez elle. Il y aurait une trentaine de milliers de personnes affectées aux mêmes tâches chez Meta. Chez nous, sur la seule plateforme Le Bon Coin, une centaine de personnes gèrent les fraudes, la modération des annonces, avant leur publication. Au niveau mondial, la division Trust&Safety de Teleperformance salarie 21749 collaborateurs dont 18415 modérateurs de contenus. Et collabore avec 32 clients et dans 43 langues différentes.
Le reportage complet issu de ces visites sera publié dans le numéro 130 de notre magazine, en Septembre 2023. On a également demandé aux concurrents, Besedo, Webhelp, Sama ou bien encore Accenture, comment et où étaient gérées leurs activités. A Accenture notamment, qui est l'un des acteurs mondiaux du Trust and Safety, et opère depuis l'Inde et les Philippines. Les mauvaises langues expliquent que ces localisations seraient peut-être justifiées par un droit social plus souple. A suivre.
Ce qui a étonné notre reporter, à Bogota et dans ces centres, à lire ici.