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Jacob Abbou a quitté la piste : le monde de l’automobile, du contrôle technique, du déménagement, de la presse est en deuil

Publié le 09 septembre 2022 à 15:03 par Magazine En-Contact
Jacob Abbou a quitté la piste : le monde de l’automobile, du contrôle technique, du déménagement, de la presse est en deuil

« Un peu moins de tests, un peu plus de testicules », « un entrepreneur doit réfléchir en stratège et agir en sauvage… » Jacob Abbou avait le sens de la formule et la volonté de transmettre, en plus de celui des affaires. Les élèves qu’il fascinait ou qu’il a accompagnés après les avoir repérés à HEC Entrepreneurs sont un peu orphelins. « Chaque fois que je le voyais, je ressortais avec des nouvelles billes et une énergie décuplée » précise Julien Bardet, cofondateur de Nextories (marketplace pour les déménagements). 

 

L’homme de presse et l’afficheur

Né en 1943 à Oran en Algérie, Jacob Abbou restera pour beaucoup l’homme de presse qui a créé le Journal de l’Automobile en 1979 dont il négocia le titre, selon la légende, toute une nuit, avec Sergio Pininfarina. L’idée de ce magazine professionnel lui vient après un voyage à Chicago, effectué avec sa femme, durant lequel il découvre un magazine intitulé Automotive News. 

Comme le raconte son épouse, Martine Abbou, Jacob est alors un entrepreneur passionné par l’automobile, persuadé qu’un magazine dédié aurait du sens. « De retour en France, Martine et Jacob construisent un projet et le proposent au Président du Groupe Automotive News. Celui-ci répond par retour que le projet l’intéresse, qu’il se rend à Paris dans le mois suivant et qu’il recevra les Abbou à l’hôtel de Crillon quelques semaines plus tard. L’histoire du Journal de l’Automobile – on dit le J.A.- démarre ainsi ; mais le patron américain pose de telles conditions que Martine et Jacob préfèrent démarrer sans son appui ».

Le succès très vite rencontré par le magazine les incite dès 1981 à créer le prix de l’Homme de l’Année, récompensant les industriels du secteur. Luc Alexandre Ménard pour Renault, François Michelin, Bernard Dudot pour Renault Sport, de nombreuses figures du secteur se le verront décerner. Ainsi que Jean Todt, Louis Schweitzer, Carlos Ghosn… L’intérêt pour la presse ne se démentira jamais puisqu’avec sa holding Coprosa, ou à titre personnel, Jacob Abbou reprendra Le Nouvel Économiste, investira dans la reprise de L’Évènement du jeudi ; ses ambitions s’étaient également un temps portées sur BFM radio en 2002, sans succès. 

Slasheur avant l’heure

Serial entrepreneur comme il est décrit dans un podcast de Pauline Laigneau (cofondatrice de Gemmyo), Jacob Abbou aura créé ou participé à la création active de plus de cinquante entreprises, dans des secteurs très divers où son flair légendaire lui permettait de déceler le pain point ou l’ouverture qui pouvait transformer le projet en succès. Il a ainsi été afficheur (son premier métier, avec Billboard, concurrent de JC Decaux), déménageur (Les Déménageurs Bretons, Nortier), en plus d’homme de presse. Le contrôle technique automobile est également l’un des secteurs où il sera pionnier en y investissant et devenant premier président de Dekra Automobile France. Cette capacité de vision et d’intérêt à 360 degrés l’a amené à quelques constats : le B2B, selon lui, est plus intéressant et récurrent que le B2C. Comme nombre d’entrepreneurs autodidactes, qui ont rencontré le succès malgré un parcours peu académique, il sera professeur à HEC où ses formules tranchantes ont marqué de nombreux élèves. Au micro de Pauline Laigneau, il explique ainsi que « les règles étaient faites pour s’asseoir dessus ou passer en-dessous », un adage qu’il tenait d’un curé. Mais la fin de vie s’impose à tout le monde, une règle qu’il n’a pu contourner : Jacob Abbou est décédé le 6 septembre à 79 ans et a été inhumé dès le surlendemain au cimetière du Montparnasse en présence de sa famille et de nombreux entrepreneurs de tout âge. Dans la religion juive, le défunt doit être enterré le plus vite possible, au plus tard trois jours après le décès. 

« Dans la même pièce que vous, Jacob savait repérer le billet de 500 francs que vous-même ne distinguiez pas » Jean-Claude Duchange, ex-collaborateur de Jacob Abbou. 

De nombreux collaborateurs ou ex-collaborateurs qui ont travaillé avec l’éditeur à Meudon ou ailleurs se souviennent de la vélocité, et des méthodes de management parfois peu académiques mais très pragmatiques de Jacob Abbou. 

Avant même qu’on ne parle du concept d’expérience collaborateurs, lui la mettait en pratique. Dans les nombreux podcasts ou vidéos où il s’exprime, on retrouve la même conviction : quand vous vous associez avec quelqu’un ou quand vous recrutez un collaborateur, imaginez que peut-être un jour vous serez en conflit avec lui; essayez de les éviter, prévoyez dans les statuts les clauses de résolution de ces différends. Il formule même ceci à un moment donné « on n’est jamais assez riche pour acheter son passé. » En sous-texte : les collaborateurs avec lesquels vous avez travaillé toute votre vie ou au début de votre vie professionnelle raconteront un jour qui vous étiez. Certaines erreurs de management peuvent produire des effets radicaux.

La stratégie de l’hélicoptère, son motto

C’est sur les bancs d’HEC entrepreneurs que Julien Bardet, cofondateur et président de Nextories a fait la connaissance de Jacob Abbou. Il raconte : « On s’est rencontré à HEC, comme des dizaines d’étudiants qu’il a mentorés et accompagnés, et c’est lui qui m’a soufflé l’idée d’aller voir du côté du secteur du déménagement et de creuser l’idée de la marketplace. C’était clairement un visionnaire, c’est lui qui a mis en place le contrôle technique, un négociateur hors pair qui m’a appris à lire entre les lignes des contrats pour sécuriser tout business. Et il y a un mois, lors de notre dernière rencontre (il avait pris des actions dans la société, dès sa création)  il avait encore mille idées à la minute et la fraîcheur d’un homme de vingt ans. Il a été mon mentor dès le jour où je l’ai rencontré et jusqu’à aujourd’hui. Chaque fois que je le voyais, je ressortais avec des nouvelles billes et une énergie décuplée. Il parlait souvent de la stratégie hélicoptère : un entrepreneur doit avoir la vision haute d’un hélicoptère, savoir regarder vers l’horizon mais également être capable de redescendre à tout moment en piqué pour voir à la fois le macro et micro. » 

Nouvel économiste. Le cash est roi dans l'entreprise. Jacob le savait également, lui qui avait démarré avant l'avènement des start-up et des séries B où l'on parvient à lever 50 millions sur un draft, un taux de croissance ou un ARR séduisant. Un ancien directeur financier témoigne avec cette anecdote savoureuse : « Le Journal de l’Automobile avait parfois beaucoup de trésorerie dehors, les annonceurs payant en retard. Il était parti en vacances un été, sans valider le montant des payes. Fin juillet, je ne parviens pas à le joindre par téléphone et ne peux donc valider les ordres de virement : du coup, tous les salariés se retrouvent sans salaire perçu sur leur compte. J’essaie de le joindre, sans succès. Après deux jours de silence, Jacob m’appelle et me dit : on paie les salaires quand on aura rentré la moitié des factures qui nous sont dues. Tu demandes à tous les chefs de service de se mettre au téléphone pour relancer les clients. Il raccroche. On a découvert le phoning en mode recouvrement de créances, avec une sacrée motivation. Et ça a marché "

L'anecdote dit bien sa capacité d’invention de systèmes efficaces, parfois peu conventionnels, capacité qu'il avait encore vivace. Jacob Abbou a investi dans le Nouvel Economiste, en était un et va manquer à un grand nombre de ses amis, associés et élèves. A sa famille. Lui qui aimait partir au travail chaque matin avec l'expression: En piste  a quitté la sienne, marquante.

Manuel Jacquinet et Benoît Hocquet

Photo de une : Cockpit d'un avion avant l'atterrissage à Los Angeles - crédit © Edouard Jacquinet

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