ils redonnent le sourire aux téléconseillers et aux agents d'accueil
Ces français qui redonnent le sourire aux téléconseillers, philippins, anglophones, francophones.
Episode 2 : Geoffroy Morgan de Rivery, CEO et fondateur de LiveWell
Comme évoqué dans l’épisode 1, le sourire, devenu une denrée rare, lorsqu’il est franc, non feint, peut se créer, se reproduire ou être facilité. Dans tous les métiers de contacts et d’accueil, il est même l’arme qui tue, aussi efficace que le Smith and Wesson 44 Magnum de l’Inspecteur Harry. L’ambiance de travail, la qualité du management contribuent au wellbeing dont sa société s’est faite une spécialité.
« Et les Philippins sont assez sympas, ils ont une résilience admirable, ils gardent le sourire même quand ils se font engueuler toute la journée au téléphone, à parler de services pour Américains qu’ils n’ont jamais utilisés eux-mêmes, comme le service client d’American Airlines alors qu’on n’est jamais monté dans un avion... »
Si les Philippines, faute de ressources, auront bien du mal à détrôner les pays du Maghreb comme destination phare de l’outsourcing français, il y a pour autant beaucoup de Français qui comptent dans le secteur, sur place.
Evidemment, les noms de Teleperformance ou d’Atos sont ici particulièrement respectés, tant ils sont liés à la croissance du secteur aux Philippines, depuis de longues années. Mais on y croise aujourd’hui finalement peu de Français. Geoffroy Morgan de Rivery a lui décidé d’apporter sa pierre au développement du BPO d’une façon plus modeste, mais certainement pas moins utile : en rendant le sourire aux Philippins. Car ce sourire qui a fait leur réputation au bout du fil, ils risquent de le perdre tant les conditions du métier de téleconseiller, avec une vie nocturne, des trajets éreintants, peu d’exercice et une alimentation de mauvaise qualité, nuisent à leur bien être et à leur motivation.
Avec Live Well, Morgan de Rivery a commencé à faire changer les choses. Et pour les donneurs d’ordres, ce qu’apporte son service innovant est très concret.
Que faites-vous avec LiveWell, et depuis quand ?
Nous répondons à un problème auquel sont confrontées les entreprises, surtout aux Philippines : celui de la « corporate wellness » ou du « wellbeing », le bien-être au travail. Pour traiter ce problème, les entreprises essayent beaucoup de choses différentes, les résultats sont mauvais, la productivité en baisse, le taux d’engagement faible, les turnovers élevés. Dans les centres d’appels philippins, les taux de turnover sont de 60 à 120%, ce qui veut dire que certaines entreprises perdent 10% de leurs ressources humaines par mois. L’absentéisme est énorme : chaque jour, de 5% à 15% des salariés ne viennent pas au bureau. Les conditions de travail provoquent une augmentation coûts de santé, répercutée sur le tarif des assurances que les centres d’appels prennent chaque année, qui augmentent souvent de 5% par an car l’utilisation est énorme. Cela est lié au fait que ce métier est essentiellement fait la nuit – ainsi, le turnover est beaucoup plus bas sur les opérations en Australie. La nuit, les seuls endroits ouverts pour manger sont les fastfoods. Si l’on ajoute à cela le fait qu’il faut souvent aux salariés deux heures pour rentrer chez eux, et mal dormir puisque le jour se lève, l’hygiène de vie est déplorable. En conséquence, au niveau médical, une grosse partie des salariés de call centers ont des problèmes médicaux – on rencontre souvent des cas de diabète, et 50% d’entre eux sont en surpoids.
Quelle est votre méthode ?
Notre méthode repose sur 3 piliers : l’aspect social avec la constitution d’équipes, le challenge, avec par exemple marcher pendant un mois marcher la distance entre Manille et Tokyo, dans une démarche de gamification, et enfin la récompense car ces épreuves permettent de gagner des « kudos », une monnaie virtuelle, utilisable sur notre site internet.
Notre programme intègre les aspect physique, médical, éducatif mais aussi le « lifestyle ».
Pour la nutrition, nous mettons en place du coaching, des programmes nutritionnels personnalisés, que nous essayons de fournir avec notre filiale Eatwell Catering. On essaye d’avoir des subventions de la part des centres d’appels, un peu comme avec un système de tickets restaurant. Nous donnons aussi des cours de fitness dans l’entreprise. Quand on travaille la nuit on ne veut pas faire l’effort d’aller deux immeubles plus loin, et les rares entreprises du secteur veulent vendre des abonnements. Nous, nous offrons des cours de fitness gratuits dans l’entreprise, cardio, kickboxing, de yoga ou de zumba. Nous vendons le logiciel de supervision des parcours avec une vue employé et une vue administrateur utilisée par le médecin superviseur. Nous vendons aussi les cours « professionnal services » de fitness ou de catering, on fait ça à la carte. Beaucoup d’entreprises ont déjà des initiatives mais ne le mesurent pas : avec notre plate-forme ils peuvent tout suivre, tout évaluer. Nous vendons enfin la partie management du programme, en ligne.
Qui sont aujourd’hui vos clients ?
Task Us, qui compte 5 000 employés, est s’est spécialisé dans le service aux startups comme Uber, Tinder etc. C3 ou Customer Contact Channel, pour qui nous discutons d’offrir nos services à Salt Lake City, et VXI.
Avez-vous des concurrents ?
Je connais deux autres entreprises dans le monde qui proposent des services comparables : Virgin Pulse, qui a acheté Shape Up, et Keys, l’ex-Google Health. Sinon, ici aux Philippines, il y a plusieurs petits commerces de proximité, et pas vraiment d’entreprises de Catering.
Quel a été l’accueil des entreprises ?
C’est sûr qu’il y avait un gros travail d’évangélisation à faire, c’est assez difficile de convaincre de l’importance de la « corporate wellness ». Mais aujourd’hui nous pouvons mettre des résultats en avant. La première société qui nous a fait confiance, avec 2500 utilisateurs sur le même site, économise grâce à nous entre 100 000 et 200 000 dollars par mois avec la baisse de l’absentéisme et du turnover, entre autres bénéfices comme la diminution de l’utilisation de l’assurance. Pour la première fois, ils n’ont pas subi d’augmentation des tarifs, ce qui représente 60 000 dollars d’économies.
Quel a été votre parcours aux Philippines, et auparavant ? Qu’est ce qui vous a amené à travailler dans le secteur des centres d’appels ?
J’ai fait l’école hôtelière de Lausanne, j’ai monté mon entreprise de traiteur, et puis j’ai quitté la Suisse. Je travaillais pour des PME de 400 employés dans la région, dans l’import de produits de nutrition aux Philippines, en 2010. Je voulais aller en Asie, et le bureau des Philippines m’a appelé en premier. C’est un bon endroit où être, je ne regrette pas d’y être venu. Les call centers, j’ai été confronté à eux, j’ai essayé de faire business avec eux, de leur vendre des produits chimiques, du café… ça a toujours été un peur top cher pour eux. Oui, j’allais voir Teleperformance, entre autres.
Il y a beaucoup d’entreprises américaines qui font sous-traiter plusieurs opérations par des filiales internes lancées sur place. Mais il y a beaucoup plus d’outsourceurs. Je dirais qu’ 1 500 000 Philippins travaillent dans les call centers dont 400 000 pour centres internes comme ceux de Chevron, Accenture avec 60 000 personnes ou JP Morgan avec 12 000 personnes.
Avec mes deux associés, un copain américain qui a travaillé 14 ans dans le secteur des call centers aux Philippines, et un Danois, qui a développé la plate-forme informatique, je voulais développer un service proposant une alternative à la nourriture lamentable qui est servie dans les entreprise. Notre produit n’est pas fait spécifiquement pour les call centers, mais ce sont eux qui en ont le plus besoin. Rendez-vous compte : le turnover leur coûte 4,5 million de dollars par an et l’absentéisme 1 million.
Qui sont les autres Français actifs aux Philippines dans ce secteur ?
Teleperformance et Atos sont présents, mais n’ont pas énormément de Français dans leurs équipes. La communauté française ici, c’est 3 000 personnes.
Des services de centres d’appels en français sont-ils aujourd’hui disponible sur place ? Quelles sont les sociétés qui les assurent ?
La plupart des programmes supportent les US et le Canada, dont le Québec, et il y a donc quelques francophones dans les programmes. J’en ai recruté pour mes clients, soit des Africains, soit des Haïtiens. Mon premier client compte 5 francophones sur une équipe de 2 500 collaborateurs.
Sinon, est-ce envisageable à court ou moyen terme ?
De plus en plus de choses peuvent être faites ici, dans le BPO mais pas forcément dans le call center. Je pense au développement web, à la compta, à la gestion des ressources humaines. Le gouvernement investit beaucoup, il y a beaucoup d’actions spécifiques aux call centers. Mais cela n’a pas beaucoup d’intérêt de faire un centre d’appels francophone ici.
A votre avis, quelles sont les raisons qui ont fait des Philippines la destination numéro 1 de l’outsourcing en centre d’appels et pour le BPO.
Leur bon accent en anglais, par rapport aux Indiens. L’explosion démographique aussi, qui a fait naître une main d’œuvre de 20, 30 ans bien formée à bas coût. Et les Philippins sont assez sympas, ils ont une résilience admirable, ils gardent le sourire même quand ils se font engueuler toute la journée au téléphone, à parler de services pour Américains qu’ils n’ont jamais utilisés eux-mêmes, comme le service client d’American Airlines alors qu’on n’est jamais monté dans un avion...
Geoffroy Morgan de Rivery est parallèlement Director of IT Operations chez Castelis, une entreprise française.
photo de Une : Sitel Philippines - © crédit Edouard Jacquinet
l’interview publiée ci-dessus a été publiée en Mai 2016, dans le numéro 91 du Magazine