“Les salariés dans les centres d’appels, ce sont les ouvriers du XXIe siècle. C’est un métier horrible. Le job qu’ils font, c’est le pire des jobs.”
Dans quelques mois, grâce à l’argent de cet homme là, le plus gros incubateur de start-ups d’Europe verra le jour à Paris : la Halle Freyssinet. Il aime donc les start-ups, les couver, y placer accessoirement un peu d’argent.
Il y a trois ans, avec une partie de sa fortune, cet homme là a créé une école innovante pour apprendre à coder : 42. Il croit donc aux vertus de la formation, quelle que soit la forme pour dispenser celle-ci et à la nécessité de former rapidement les « ouvriers technologiques » dont nos sociétés auront de plus en besoin.
L’entreprise que cet homme là a créée ne fonctionnerait pas sans services clients et la dame qui les dirige (plus de 6000 personnes) s’est retrouvée en tête du classement Choiseul qui recense en France les personnalités les plus prometteuses de moins de 40 ans. Elle s’appelle Gérard, Angélique Gérard. Son patron considère qu’il faut un vrai patron pour gérer ces services.
Pourtant, comme l’indique sans ambigüité l’extrait de l’interview suivante, Xavier Niel n’aime pas le métier de téléconseiller, il considère même que c’est le « pire job du monde ». 80 ans après le Front Populaire et l’été 36, on a considéré à la rédaction d’En-Contact que l’extrait de cette interview qu’il a accordée à nos confrères de Society valait son pesant de cacahuètes. Elle est un miroir de notre société, de laquelle on voudrait bien faire disparaître les ouvriers. Certains en tous cas.
Codeur est-ce mieux que téléconseiller ? Aux Etats-Unis Erica Costa, téléconseillère déclare à Cosmopolitan qu’elle apprend beaucoup de choses dans son métier. Et vous, qu’en pensez-vous ? A vous de réagir !
Quand on vous entend parler des jeunes geeks, on a l’impression qu’en fait, ce ne sont pas les élites les élites que vous ne supportez pas, c’est simplement que l’élite, dans votre esprit, est différente. Pour vous, l’élite, ce sont des geeks capables de concrétiser leurs idées, et vous pensez la société pour eux, alors que la masse laborieuse, par exemple employée dans les centres d’appels Free, vous n’en avez rien à foutre. C’est ça, non ?
Premièrement, on est le dernier opérateur en France à avoir des centres internalisés. Deuxièmement, les salaires chez Free sont meilleurs que chez n’importe lequel de nos concurrents. Ce sont des chiffres publics. Troisièmement, ce n’est pas moi qui gère les centres d’appels dans cette entreprise. Je ne suis que directeur de la stratégie. Si je voulais m’occuper de ces choses au quotidien, je serais chairman. Il ne s’agit pas de se défausser, il s’agit juste pour moi de faire ce qui me plaît. Et les centres d’appels, ça ne me plaît pas. Les salariés dans les centres d’appels, ce sont les ouvriers du XXIe siècle. C’est un métier horrible. Le job qu’ils font, c’est le pire des jobs. Je m’intéresse aux activités qui m’intéressent. Est-ce que les centres d’appels de chez Free sont une activité qui me passionne ? Non.
Preuve que vous détestez avoir à gérer des problématiques de ressources humaines, vous avez déclaré : «La gestion salariale est exécrable. J’ai tenté d’éviter ça par le surintéressement des salariés avec lesquels on travaillait. C’était un mode non courageux d’affronter le débat social, mais malheureusement, quand on arrive à devenir une structure plus grande, ça devient plus dur de gérer, et on devient une entreprise comme les autres, avec un débat social que l’on ne peut éviter».
C’est quoi la première phrase ?
«La gestion salariale est exécrable»
Parfait, ce n’est pas moi qui m’en occupe. Je ne vais pas vous dire que je suis mauvais, j’ai encore un peu d’ego. Mais je n’ai jamais géré des questions de ressources humaines ici. Je connais la DRH de cette maison, j’ai dû la croiser deux fois cette année. Je connais des syndicalistes, je vais tchatcher avec eux, écouter et essayer de comprendre, mais je n’ai pas de vision sur le sujet. Le centre d’appels de Marseille, j’y suis allé une fois dans ma vie. Je vais vous donner un autre exemple : est-ce que vous m’avez déjà vu parler dans une conférence de presse des chiffres et des résultats de Free ? Je n’y vais même plus. Ce n’est pas mon truc. Vous faites référence à l’article de Politis qui est sorti il y a peu sur le centre d’appels de Marseille et des histoires de licenciements… Ce sont des éléments qui datent de 2009. Ça a sept ans. Si j’apprends que mon fils qui a 15 ans a volé un billet de 50 euros dans mon portefeuille quand il avait 8 ans, je vais aller le voir, lui dire qu’il a déconné, mais je suis un peu plus «à la mode», si vous voyez ce que je veux dire. En 2009, on était 1 500 salariés dans l’entreprise. On est 9 000 aujourd’hui.
Il n’empêche : les syndicats, ce n’est pas dans la culture Free. Négliger à ce point le social et les ressources humaines…
Si vous allez demander à des gens s’ils sont contents de leurs conditions de travail, la nature humaine fait qu’ils vont vous répondre non. Maintenant, je serais ravi de les rencontrer pour parler de tout ça avec eux. Mais ils ne demandent jamais à me voir. Manifestement, ils pensent que ce n’est pas moi leur vrai patron. Ou alors vous pensez que mon image est tellement forte qu’ils n’osent pas me parler en face ? J’accepte le point.
Vous avez perdu l’esprit de famille du début ?
On est 9 000.
Mais aujourd’hui, une partie de vos employés racontent qu’à l’embauche, on leur dit : «On est une grande famille, on est le Petit Poucet, c’est une aventure». Et ensuite, ils se rendent compte que c’est comme ailleurs.
Eh bien ils s’en vont.
C’est vrai, il y a un gros taux de démission.
Et pourtant, en centre d’appels, on a le turnover le plus faible de tous les centres d’appels de ce pays.
Tous les témoignages que l’on a recueillis sont concordants sur le fait qu’il y a une vraie coupure entre les développeurs, qui ont vos faveurs, d’un côté, et les centres d’appels, dont vous vous foutez, de l’autre…
Ce que vous êtes en train de dire, c’est que c’est une erreur d’avoir des centres d’appels en propre en France. C’est-à-dire qu’on ferait mieux de licencier les 5 000 personnes dans nos centres d’appels parce qu’on se ferait moins emmerder…
Ce n’est pas ce qu’on dit. Ni ce que dit Politis, d’ailleurs, qui explique plutôt comment vous vous débarrassez d’un problème en le confiant à d’autres qui liquident…
Vous partez d’un constat que j’accepte pour arriver à une conclusion que je n’accepte pas. Mais vous avez le droit d’avoir un avis. Toutefois, ce que nous reproche fondamentalement Politis, c’est d’avoir, en 2009, dans un centre d’appels de Marseille, viré des gens de manière potentiellement illégale pour faire des économies. Ce que je vous dis, c’est que ça a sept ans, et on ne nous reproche pas les conditions sociales et familiales. Vous revenez avec un grief qui est autre, alors je vous invite à appeler des syndicalistes dans n’importe quelle entreprise du monde, en tout cas en France, ils vous diront que c’est horrible. Par essence. Sauf si vous avez une structure de 50 personnes. Dès que vous allez dépasser les 500, on va vous dire ça. Ce que je peux vous dire, c’est que je ne pense pas que cette situation soit horrible. Après, les centres d’appels, ce n’est pas la partie fun de l’entreprise, on a pris la décision de continuer à les avoir en interne et de continuer à les salarier. Parce qu’on pense que c’est une responsabilité sociale. Maintenant, si à un moment ou à un autre, franchement, c’est trop de problèmes et de galères, on fera ce que font les autres. Ce n’est pas du chantage ni une menace. Juste, on a toujours tout internalisé, et même nos centres d’appels au Maroc, ce sont des salariés Free. Ce ne sont pas des salariés externalisés, ce qui nous coûterait moins cher. On a des concurrents qui sont en train d’externaliser leurs centres d’appels à Madagascar. Le coût des salariés à Madagascar, ça va être 200 euros par mois. On est quinze fois plus chers ici. Maintenant, si vous dites qu’on n’est pas parfaits… Mais qu’est-ce qu’on serait chiants si on était parfaits !”
Avec l’aimable autorisation de Society
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