Ils ne payaient pas, on les enfermait. Ils ne payent pas, on les appelle
Ce qui a évolué en France, dans le recouvrement de créances, depuis le Moyen Âge. Les entretiens de Rambouillet, avec Xavier Monmarché de Recocash, épisode 1. Et ce qu'il faut faire parfois, sur des réseaux tel Linkedin, pour interpeller au vu et au su de tous, sur le non paiement d'une facture ancienne, chez Onepoint par exemple.
A la Banque de France hier*, d’éminents hommes cravatés ont échangé sur les délais de paiement, un sujet aride mais vital, quand les dettes sont nombreuses et anciennes. Avant qu’il ne revienne à Rambouillet, on a interviewé l’un de ceux qui étaient présents, a pris la parole dans une vidéo mais n’a pas tout dévoilé. Ce que ses équipes concoctent n’a pas vocation à être complètement détaillé, mais mis en pratique.
Un peu d’histoire. Mis en prison parce qu’on n’a pas payé ses dettes, ses emprunts, ses crédits
Du 12ème siècle environ jusqu’à 1867, la contrainte par corps a existé en France. Le crédit est massif et diffus dans la France médiévale et n’est pas le monopole de professionnels marginaux. Marchands, artisans, paysans empruntent et prêtent fréquemment. Les pouvoirs publics créent les lettres d’obligation et nomment les institutions qui garantissent leur exécution. A partir de 1303, la prison est donc le mode de coercition normal à l’encontre des débiteurs. On va en prison.. lorsqu’on n’a pas payé ses dettes.
En 1566, l’ordonnance de Moulins autorise l’emprisonnement pour tout type de dettes, dont celles qui ne procèdent pas d’un emprunt. En moyenne, en France, bien que les statistiques soient peu nombreuses, on estime que 10 à 20% de la population carcérale est à l’époque emprisonnée pour dettes non soldées. A Paris, les registres du Châtelet de 1488 et 1489 font état de 3 écrous par jour, un tiers de la totalité. Et ça fonctionne: en moyenne, la moitié des levées d’écrou interviennent sous quarante-huit heures, les trois quarts avant une semaine.
En-Contact : Xavier Monmarché, est-ce qu’on va encore en prison parce qu’on n’a pas réglé des dettes commerciales ?
XM : Non, peut-être dans des cas très rares, lorsque l’argent est dû à l’Etat ou qu’il s’est combiné à d’autres crimes ou délits. On fait plutôt appel à des sociétés comme Recocash, pour mettre en place des actions de recouvrement.
EC : Et qu’est-ce-qu’on fait et s’avère efficace ?
XM : On appelle les débiteurs prioritairement, en tout cas on prend contact, parfois avant l’échéance car la clé est la rapidité de relance et la prévention. Et en amont, on trie les dettes, on s’intéresse à ce que les professionnels dénomment la balance âgée. En très résumé, on va distinguer les créances selon leur nature, leur ancienneté et la nature des débiteurs. Se rappeler au bon souvenir et poliment à un débiteur avant l’échéance est une première sensibilisation, parfois utile.
Certains de nos clients nous confient de ce fait des pré-relances, quelques jours avant la date d’échéance de la facture, en leur nom, pour s’assurer que la facture est bien prise en compte par les services de règlement fournisseurs.
Un autre critère joue : le fait de « monitorer » sa base client B2B, en intégrant des alertes sur des événements impactant la santé financière de l’entreprise. Ces alertes doivent être intégrées aux fiches clients pour dynamiser la relance et adapter les process, c’est-à-dire anticiper un recours au pré-contentieux pour éviter d’être confronté à une procédure collective.
Dans le recouvrement auprès d’acteurs publics, une autre démarche est nécessaire : le point clé est la recevabilité de la facture lors de son dépôt sur la plateforme Chorus.
EC : Pourquoi le laps de temps entre le retard de règlement et l'efficacité de la campagne est-il clé ?
XM : La santé financière d’une entreprise peut se dégrader rapidement. Si votre facture n’est pas payée en temps et en heure, d’autres fournisseurs doivent être dans le même cas. C’est une course de vitesse et de persuasion afin de faire monter votre facture sur le haut de la pile.
EC : Pour appeler, il faut donc de bons fichiers, des numéros de téléphone, portable souvent ?
XM : La base de contacts est clé, le CRM, c’est-à-dire la base clients enrichie des données pertinentes et actualisées. Disposer d’une base qualifiée nous permet d’intervenir plus rapidement sur le fond de notre prestation. Mais bien souvent, nous devons intervenir pour l’enrichir, l’actualiser, la redresser, sachant que nous pouvons avoir accès aux ERP ou CRM de nos clients afin de partager avec eux le maximum d’informations recueillies dans le cadre de nos interactions avec leurs clients. C’est cette vision de business partner qui permet de progresser dans les objectifs que nous nous fixons.
Nous avons modélisé et prototypé, avec un partenaire une méthode unique, CDCR (CRM Dynamic Cash Recovery ) qui permet d’enrichir, d’unifier des fichiers téléphoniques de débiteurs et de rendre actionnable une méthode de relance multicanale et légale. Elle sera lancée au premier trimestre 2024. Lorsqu’elle est utilisée et déployée, nous recouvrons plus d’argent, plus vite, avec une performance accrue de 25 % en moyenne, d’après nos tests et expérimentations. Soit sur le montant finalement recouvré, soit sur le délai de recouvrement, le DSO ( Days Sales Outstanding).
EC : Pourquoi avoir développé cette méthode et consacré des investissements à son prototypage ?
XM : La performance est au cœur de notre métier, de sa pérennité : nous ne sommes payés qu’au pourcentage des sommes recouvrées. C’est dire si nous avons intérêt à envisager et nous ouvrir à toutes les méthodes, technologies qui développent la performance. Notre expertise consiste à créer, pour le compte de chaque client au nom duquel nous agissons, des plateaux back et front office, pour renseigner le débiteur et obtenir son règlement. Une grande partie de ceci s'effectue par téléphone.
Le partenaire qui nous a proposé CDCR est issu du CRM et des call-centers : pendant vingt ans, il a œuvré dans tous les pays du monde, a testé tout ce qui peut contribuer à la performance des campagnes outbound, d’appels et de sollicitations sortantes : le morphing vocal ( la transformation de la voix, de sa prosodie, de l’intonation), le recrutement de certains profils d’agents, les horaires les plus adéquats pour appeler, les techniques de formation, les parcours clients. Son savoir-faire est incroyablement opérationnel. Et il pense que l’appliquer au Cash Recovery est un sujet d’actualité.
Lorsque vous agissez sur ces différents leviers, l’efficacité d’un plateau de télévendeurs est plus performant, jusqu’à 45%. Or le recouvrement d’une dette est un acte de vente.
EC : Lorsqu’on visite votre entreprise, à Rambouillet, on pourrait croire qu’il s’agit d’un plateau téléphonique classique. On entend des agentes argumenter, des équipes préparer des fichiers de campagnes, des scripts..
XM : Le fundraising et le cash recovery sont deux des plus anciens métiers dans l’industrie du BPO, de l’appel sortant. Le recouvrement de créances leur emprunte de nombreux outils, savoir-faire et surtout une méthode. Une grande partie de l’efficacité réside dans le comment faire et l'expertise acquise par nos équipes. A chaque secteur d'activité correspondent des particularités métier. Les chargées de recouvrement et leur management expliquent 60% de l’efficacité. Nous avons donc quelques secrets pour les recruter, fidéliser.
EC : Savez-vous qu’au Moyen Age, la contrainte par corps s’avérait très efficace. Les gens sortaient de prison en 48 heures ?
XM : Oui (sourires) mais pour deux autres raisons. La procédure de contrainte par corps avait un coût raisonnable, de 15% environ du montant de la créance. Et elle était à la charge du créancier !
Qui pouvait cependant en récupérer une partie sur le débiteur, via un arrangement négocié.
Le débiteur avait donc envie de sortir de prison et le créancier intérêt à ce que ce dernier en sorte. Parfois pour retravailler et disposer donc des moyens de régler. La levée d’écrou n’impliquait pas forcément extinction de la dette, qui était souvent rééchelonnée ou transférée sur une nouvelle obligation. Tout ceci n’a pas foncièrement changé, quand on y songe.
Si vous engagez le dialogue avec le débiteur, comme nous le faisons, on va :
- comprendre pour quelles raisons il n’a pas réglé, et celles-ci sont parfois réelles et légitimes. 15 à 20% des règlements tardifs chez un professionnel sont liés à l'un ou l'autre ou plusieurs des motifs suivants: formalisme de la facture, absence de validation, produit livré, prestation, l'absence de celle-ci, sa mauvaise exécution ou une incompréhension. Plus vite vous comprenez et solutionnez ce qui s’oppose au paiement, mieux c’est. The sooner the better, comme disent les anglo-saxons.
- ou mettre en place un plan de règlement échelonné. Et dans de très nombreux autres cas, parvenir à recouvrer les sommes dues.
Rappelez-vous, il y a deux secrets : ils ne payent pas, on les appelle, on prend contact, vite. Et l'on écoute !
Chez Onepoint, l'histoire de la mise en règlement d'une facture ancienne.
Hier sur Linkedin, un PDG médiatisé (notamment en raison de ses volontés de prendre le contrôle d'Atos), David Layani, prend la parole pour relayer une anecdote sur un concurrent, Stanwell, qui recrute astucieusement devant ses bureaux. Un prestataire, Couthaïer Farfra, coach agile, profite courageusement de cette prise de parole pour rappeler à David Layani que ce serait bien… de soigner aussi l'arrière boutique : les pratiques de règlement de factures, chez Onepoint. Celle qu'il a émise est ancienne et non réglée malgré les relances dont une récente, adressée directement au PDG. (Pour information, le groupe n'en est pas à sa première relance sur des forums, liée à des prestations non réglées. On trouve sur Google My Business des patrons de bar, des organisateurs de séminaires qui désespèrent de voir leur factures de location, de cocktails et autres réglées. Et ils affichent leur nom). Couther a eu droit ce coup-ci à une réponse rapide: sa facture est mise en règlement.
Au Moyen Age, de nombreux PDG auraient donc fait un passage en prison. Ceux de Veolia, Showroomprivé, L'Oréal, GIFI, SFR Fibre, M6 etc, récemment nommés dans sa liste des payeurs négligents par la DGCCRF, dans la dernière liste communiquée.
Couthaïer Farfra a fait des émules: un autre prestataire a “menacé” de nommer lui aussi son client, une autre ESN, de 28 000 salariés, qui règlerait mal ses prestataires. Le bad buzz digital fait désormais plus peur que la mise sous écrou.
NB: Les entretiens de Rambouillet sont constitués d'une série de contributions sur le métier, les techniques, les logiciels dans le métier du recouvrement. Et leur efficacité.
Propos recueillis par Manuel Jacquinet.
Qui est Recocash ?
Sources historiques :
Dans les geôles du Roi. L’emprisonnement pour dette à Paris, à la fin du Moyen Age.
Julie Claustre, livre issu de sa thèse de Doctorat. Commentée par Romain Telliez.
*Assises des délais de paiement.