Dominique Decaestecker (Majorel) dans la lumière, malgré lui?
Le nordiste discret (ex-EY) a fait une grande partie de sa carrière chez Bertelsmann, Arvato, Majorel sans changer de métier : le BPO, l’exécution au bon prix du service client et de l’expérience externalisée. Alors que quantité de DG du secteur ont connu de nombreux employeurs, lui est resté fidèle à l’ex-Bertelsmann, qui a changé plusieurs fois de dénomination. Les ex-Arvato ont essaimé un peu partout, chez Webhelp, SoLocal, signe que le métier impose de plus en plus comme qualités essentielles la rigueur de gestion et la maitrise du risque. Les rock-stars venues de la télévente ont fait long feu. Les soirées sont plus tristes.
La fusion Majorel/ Teleperformance pourrait le mettre prochainement dans la lumière, à la tête du marché FSM (French Speaking Market) selon certaines sources. Discret, DD apprécie:
. les chiffres (surtout lorsqu’ils prouvent qu’on a délivré la prestation)
. Orthodidacte, parce que les téléconseillers doivent rédiger des mails sans faute d’orthographe.
. Et que la technologie reste au service de l’expérience client. En-Contact dressera son portrait dans le numéro 130, en décembre. On peut, en attendant, relire ci-après l’un des rares articles dans lequel il s’exprimait, dans nos colonnes, et qui date de 2011 !
Dominique Decaestecker, DG des activités centres de contacts de la division Arvato France
La demande des grands donneurs d'ordre qui sont vos clients évolue-t-elle ? Dans quel sens ?
Les demandes de nos partenaires évoluent au même rythme que celles des marchés sur lesquels ils sont présents et en fonction des attentes du consommateur. Le marché de l'outsourcing est dominé par les acteurs de la téléphonie et de l'énergie, qui représentent toujours environ 75% des volumes outsourcés. Pendant dix ans, il a fallu répondre à des besoins de masse en relation avec leur forte croissance, et mettre en place un fort degré de « processisation » pour faire face aux volumes. Désormais ces marchés sont plus matures, les consommateurs aussi, leurs questions sont désormais multiples et plus complexes. Les enjeux principaux pour nos clients et par voie de conséquence pour les outsourcers s'articulent maintenant autour de la fidélisation du consommateur et le développement du chiffre d'affaires par client au travers de nouvelles offres, ou nouveaux services. Pour y parvenir, nous devons continuer à faire évoluer notre métier vers plus de personnalisation dans la relation et créer de la confiance avec le consommateur en renforçant son lien à la marque. Cela passera par des investissements lourds en formation et un accompagnement de nos chargés de clientèle, ainsi qu'une vraie évolution dans l'approche de notre métier nous devons devenir un véritable service à la personne.
Après, il faut se demander si le périmètre du marché ne va pas lui-même évoluer. Depuis cinq ans, on parle beaucoup de l'ouverture de deux secteurs à fort potentiel : la banque et l'assurance d'une part, les marchés publics d'autre part. Je crois pour ma part que leur ouverture ne s'effectuera que très partiellement dans les deux à trois prochaines années. Ces relais de croissance seront donc faibles pendant encore un certain temps. Ainsi, quand on observe que la croissance du secteur, qui a été d'environ 10% par an pendant 10 ans, a connu une cassure en 2009, je pense que ce n'est pas que l'effet de la crise mais le signe que ce secteur, très fortement dépendant du développement de ses clients, a atteint un palier quand ses clients historiques ont atteint leur maturité. Le retour de la croissance à deux chiffres dépendra donc de l'ouverture de ces deux marchés.
Les grands outsourcers installés en France ont quasiment tous les mêmes caractéristiques : taille critique, positionnement de généraliste, capacités de productions avec un mix France offshore, ce qui n'était pas le cas voici quelques années. Y a-t-il des stratégies différentes à imaginer que la croissance en Europe ou par acquisition et croissance externe ? Quelle sera la vôtre pour les deux prochaines années à venir ?
Le succès de toute stratégie de croissance dépend de sa capacité à évoluer avec la demande, donc aujourd’hui, à offrir plus de personnalisation, plus de fidélisation : c’est pour cela que nos efforts de formation sont de plus en plus importants. La qualité des prestations offertes à nos clients est la clé de leur fidélité. En gardant cela à l'esprit, nous avons identifié trois axes de développement, sur lesquels nous fondons notre stratégie. Premièrement, densifier les relations avec nos clients actuels en répondant à leurs attentes d'évolution en terme d'offre, de technologie... ; c'est la question de la fidélisation. Nous n'avons jamais perdu un client depuis que nous gérons des centres de contacts ; à nous de continuer d'être exigeants avec nous-mêmes et de viser l'excellence opérationnelle.
Deuxièmement, en termes de croissance externe et au travers de notre positionnement actuel sur le marché, la taille pour la taille n'a aucun intérêt pour Arvato. Par contre, tous les dossiers de croissance externe, et il y en a beaucoup, ayant vocation à accroître notre chaîne de valeurs, à nous ouvrir les portes de nouveaux marchés au travers d'une offre ou d'un savoir-faire innovant sont étudiés de très Près. Au-delà, grâce à notre expertise en ingénierie sociale, nous "pouvons continuer à reprendre des centres d'appels internes (ndlr internalisés), qui offrent des gisements de croissance forts. Troisièmement, il faut capitaliser sur l'innovation technologique afin d'offrir à nos cliente une prestation à plus forte valeur et modifier notre business model extrêmement dépendant des salaires. Nous avons une chance énorme d'appartenir à un groupe aussi diversifié dans ses métiers qu'Arvato : ses métiers vont de l'impression au digital en passant par la logistique, le marketing direct et la relation client. La combinaison de ces métiers, au-delà d'être extrêmement différenciante par rapport à nos concurrents directs, est une source de croissance importante : à nous d'être capable de packager des offres qui ont du sens pour nos clients en combinant nos expertises. Nous avons ainsi intégré dans notre offre de relation client une solution d'archivage des documents à valeur probante. Contrairement à nos concurrents directs, nous pouvons ainsi proposer des solutions packagées sur énormément de domaines.
Si Arvato est positionné, en termes de prix, dans la fourchette haute du marché, c'est vrai, à nous de le justifier. C'est la bonne stratégie et j'observe d'ailleurs que ceux qui ont tout misé sur la guerre des prix ont peu avancé, ils ont même stagné. Et la révolution de la demande du client ne les arrangera pas.
Y a-t-il selon vous des révolutions technologiques encore devant nous susceptibles de changer la donne, le métier ou la façon de le pratiquer, lesquelles ? Quels éditeurs, constructeurs de solutions, de matériels identifiez-vous comme particulièrement innovants ?
Il y a à mon sens deux évolutions de fond sur notre marché ; la première liée à l’attente du consommateur en termes d'offre/ prix ; la deuxième liée à l'évolution de son comportement. Ces évolutions vont amener à scinder en deux le marché : d'un côté une offre low-cost, de l'autre un marché à haute valeur. La relation client va devoir s'adapter à cette tendance et faire évoluer son modèle pour y répondre de manière efficace en termes de canaux de communication et bien évidemment au travers de son business model. Dans une relation client a minima, se développe un modèle économique particulier avec le chat ou les réseaux sociaux plutôt qu'une relation personnalisée. L'écrit conversationnel grandit, la relation téléphonique marque le pas. Mais pour moi, la technologie reste de la quincaillerie, c'est l'usage du consommateur qu'il faut suivre. Nous n'avons pas vocation à racheter des éditeurs de logiciels, mais à développer nos propres offres à partir des boites à outils existantes sur le marché. Notre offre d'échanges de document sécurisé et d'archivage à valeur probante a, par exemple, été développée en interne. On fait de la veille technologique, on étudie ce qui se passe sur les marchés bien sûr ; par exemple, l'évolution technologique permettra demain de converser en visioconférence ; le téléphone ressemblera plus à un écran et permettra d'accentuer la personnalisation de la relation. Autre exemple : la relation client n'a pas encore investi le canal des réseaux sociaux, au-delà d'offres de mesures de e-réputation ; il s'agit pourtant d'un nouveau média, d'une nouvelle façon d'échanger, de s'informer, de questionner : cela va transformer dans les années à venir l'approche même de notre marché et la façon d'interagir des marques avec leur client. La relation client va donc continuer à évoluer : ce monde ne s'arrête jamais et c'est ce qui est passionnant.
Question subsidiaire : nous observons en tant que journalistes un intérêt croissant pour les entreprises du secteur de la part de plusieurs fonds d'investissement, est-ce une vraie tendance et vers quoi mène-t-elle selon vous ?
Si on regarde la structure capitalistique des dix plus grands outsourcers français, en dehors de Teleperformance et d'Arvato, tout le monde appartient aujourd'hui à des fonds. C'est une tendance forte et logique sur un marché qui a connu des taux de croissance à deux chiffres pendant dix ans, mais je pense qu'ils n'ont pas influencé fondamentalement le management de ces entreprises. Selon moi, les opérations ont été réalisées sur des valorisations extravagantes. Dans les années à venir, la croissance du marché ralentissant, quelques fonds risquent de déchanter.
Les ex-Arvato, le mercato.
Ludovic Lempire, qui avait succédé chez Arvato Services à Dominique Decaestecker en 2005, à un poste de gestion, vient de prendre la direction générale du marché FSM chez Webhelp, où il officie depuis quelques années déjà.
Hervé Milcent a quitté hier la direction générale de Solocal. Il a travaillé également chez Arvato, puis Teleperformance au cours d'une riche carrière.
Claude Briqué se préparerait à une retraite méritée, du moins à une diminution de ses activités dans le secteur, après avoir écrit quelques unes des plus belles pages de l'offshore en télévente et BPO.
Marcos Gallego a été présenté le 6 Novembre comme le nouveau DG du marché FSM de Konecta, comme nous l'avions annoncé.
Et chez Vocalcom, l'éditeur français qui a équipé une grande partie de ces prestataires, Nicolas Mestchersky, CEO depuis neuf mois, s'apprêterait à tout revoir du sol au plafond, grâce à un produit repensé Hermes Net V5. Nostalgie, quand tu nous tiens.
La vraie grande nouvelle de la semaine nous vient de chez Manifone, autre fournisseur devenu vital dans le secteur: les appels frauduleux sont reconnaissables grâce à leur “ADN”. On va pouvoir tracer les émetteurs qui pilotent des Scam Call Centers.
Je déplumais des poulets au marché d'Argenteuil. J'habitais Orgemont.
Save the date: quelques-uns des cadres et personnalités qui ont fait ce métier, y ont grandi, se retrouveront dans le livre J'ai tant appris rue Firmin-Gillot, qui sortira en Décembre 2023, consacré au parcours d'Alumni de Teleperformance. On a apprécié l'écrire, entendre la richesse et les confidences sincères des femmes et des hommes qui ont monté ces “call-centers” partout dans le monde, à une époque où l'activité était encore un peu un far-west. Déployer des T2 en Tunisie..
On y lira des entretiens inédits, comme celui de Fodoa Fache-Adkins qui devrait faire sourire et intriguer le lecteur : Je déplumais des poulets au marché d'Argenteuil. Ça sonne comme le début de Salammbô.
Propos recueillis par la rédaction d’En-Contact.