Des centres d’appels de la MAIF à la finance islamique, Ezzedine Ghlamallah

New Biz Forum, 2ème édition. Pour se développer, vendre à des communautés bien identifiées. Exemple d'un courtier en assurance original, qui a appris son métier à la MAIF, sur un CATS, un centre d'accueil téléphonique sociétaire.
Parcours et “coming out” d’un ex-employé des CATS, désormais courtier en assurances Takaful. Que fait-on des hauts potentiels à la MAIF, sur les plateformes téléphoniques ?
Il y a presque dix ans, on avait fait un crochet par les CATS, (les Centres d’Accueil Téléphonique Sociétaires) de la MAIF et on y avait fait la connaissance d’un jeune à la tête bien faite. Il s’est depuis coupé les cheveux, a fait tomber les lunettes, endossé le costard, sorti un livre, entamé une thèse et multiplie les plateaux télé ou internet, interviews. Pour négocier son départ des plateaux de l’assureur militant, LG avait fait fort: dans un rapport remis à son management, une analogie entre les troupes coloniales, envoyées au casse-pipe et les salariés chéris et choyés par Christine Mathé-Cathala. Parfois les courtiers ont de la suite dans les idées. Parce qu’ils sont assureurs ou qu’ils habitent et chérissent Marseille?

« Je me souviens du passage de votre Rédacteur en Chef dans notre centre d’appels. Il m’avait désarçonné en posant la question à mon supérieur en ma présence et en me désignant : « Vous n’avez pas un programme pour les hauts potentiels ? » Je ne me suis jamais considéré comme un haut potentiel, mais l’idée m’a trotté dans la tête et d’ailleurs, je me suis barré pas longtemps après ». On prend langue avec Ezzedine Ghlamallah alors qu’il est sur le chemin du bureau et qu’il fait étape à la boulangerie : « Deux sacristains s’il vous plaît » On est à Marseille. Il s’étonne qu’on s’enquiert de ce qu’il devienne « J’ai été surpris que vous veniez vers moi, en quoi mon parcours et mon profil peuvent-ils intéresser vos lecteurs ? » On lui répond qu’on dispose d’une rubrique intitulée « Plus belle la vie dans les centres d’appels », Marseille, les centres d’appels, son parcours original, que demander de plus ? « D’autant que mes bureaux se situent juste à côté des studios où a été tournée Plus Belle La Vie. » Le temps file et les pages se tournent, et pour Ezzedine Ghlamallah, l’actualité c’est une thèse portant « sur la performance des fonds d’investissement islamiques et pas seulement la performance financière mais aussi ESG. » Il cite l’exemple de Karama en France pour les néophytes. A cela s’ajoute une activité de courtage en assurances, initiée en 2014. A l’époque, un article de l’Argus de L’Assurance mentionnait une quinzaine de clients, il en a aujourd’hui 1500. Pour ce faire, deux employés l'épaulent ainsi que sept associés. « Pour ne pas grever la société, je ne me suis jamais salarié, et en parallèle, j’ai toujours eu des activités d’enseignement et de conseil, une stratégie entrepreneuriale courante pour ne pas ajouter des charges à la société. » La MAIF, où il a passé six ans lui a donc ouvert les portes du monde de l’assurance, mais il n'est pas sans avoir auparavant écumé les centres d’appels, de la Banque Populaire Provençale et Corse, de la Caisse d’Epargne, et de Teleperformance dont le nom ne lui revient plus et dont il ignorait que c’est le numéro mondial. Le monde du BPO reste un secteur méconnu, même chez ses anciens acteurs. Alors la MAIF, c’était comment ? « Si ça avait été impossible, je n’y serais pas resté aussi longtemps. Le téléphone n’était qu’un moyen pour exercer une activité d’assurance, et cette expérience m’a permis de m’y intéresser. J’y suis entré par un concours de circonstances, le téléphone n’est qu’un outil, même les traders travaillent au téléphone. » Il notait quand même, à l’époque de son départ, des points susceptibles d’être améliorés, nous en avions discuté il y a dix ans : « J’étais élu au CHSCT, et j’avais fait un mémo sur les risques psychosociaux. J’y étais allé très fort. C’est d’ailleurs probablement pour cette raison que j’ai pu négocier mon départ assez facilement. J’étais devenu un caillou dans la chaussette du management à un moment où il déployait une ré-organisation » A la lecture de quelques lignes de ce rapport, où est développée une analogie entre les salariés des CATS et les troupes coloniales envoyées en première ligne pendant la guerre, les plus enclines à subir des pertes, qui se signalent en le cas présent par de l’absentéisme, des maladies professionnels, un fort taux de turnover, on comprend ce qui a pu être reçu froidement de la part de ses managers. Mais ce qui entrave le plus cette première ligne, de manière cruciale, c’est la difficulté, voire l’impossibilité d’accéder à une promotion. Ludovic, alias Ezzedine, ne se fait donc pas de vieux os : « Je me suis barré car je n’arrivais pas à m’exprimer pleinement dans les tâches trop restreintes qui m’étaient confiées. Dix ans plus tard, je me dis que j’ai bien fait et que je n’aurais pas fait le dixième du quart ce que j’aurais pu faire en restant. ». On lui demande pourquoi on l’avait croisé sous le nom de Ludovic et on le retrouve sous celui d’Ezzedine : « J’ai fait mon coming out. (Rires). »

« Ezzedine est mon deuxième prénom à l’état civil. Quand je me suis mis à mon compte, j’ai utilisé ce prénom là. » Quand on lui fait remarquer que c’est plutôt l’inverse qui se produit habituellement dans les centres d’appels, il nous répond : « Je fais toujours l’inverse de ce qu’on me demande, je suis un poisson qui nage à contre-courant. C’était mon prénom qui n’était pas forcément apparent et j’ai fait le choix de le rendre apparent ». Il multiplie les apparitions sur les médias, comme sur France 2, pour évoquer la finance islamique, qu’il a étudiée lors d’un MBA à Strasbourg : « « Il n'y a pas grand-monde sur ce domaine, et donc forcément, pour qui s’intéresse à ce sujet, il y a de la visibilité. En France, tout ce qui touche à l’islam reste un sujet un peu touchy donc il y a un risque d’image. Beaucoup de principes de la finance islamique sont des principes universels au départ, communs aux juifs, aux chrétiens et aux musulmans. Il existe des liens avec certaines revendications altermondialistes ou quant à l’annulation de la dette. Plus de soixante-milliards d’intérêts sont payés chaque année par les Français, donc voilà qui les concerne aussi. ». L’entretien nous semble un peu décousu, peu importe, ça marche, nous confirme Ezzedine : « en sciences de gestion, on utilise la technique de l’entretien semi-directif; et j’habite Marseille qui est multiple, protéiforme, une mosaïque. Ici tout dépend du point sur lequel on choisit de se concentrer, Marseille reflète ce que l’on y projette. »
Photo de une : Mars Marketing - crédit © Edouard Jacquinet