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« Teleperformance n'est pas une entreprise. C'est une marque ! »

Publié le 19 décembre 2022 à 11:08 par Magazine En-Contact
« Teleperformance n'est pas une entreprise. C'est une marque ! »

Lorsqu’il arrive chez Teleperformance, en 2005, l’informaticien de formation Laurent Niquet a déjà quelques réalisations majeures à son actif, telle la conception du logiciel qui permet la production du bulletin météo pour Météo France. Il a ensuite goûté aux subtilités d’une drogue dont on ne se défait pas, le CRM, et à la difficulté de produire de l’assistance technique. 

Ce n’est donc pas un hasard de le retrouver chez TechCity Solutions, quasiment un centre de formation, puisque la filiale va fournir une grande partie de l’équipe de management actuelle, en Europe. L’analogie avec le foot n’est en fait pas celle qui lui vient à l’esprit, c’est de loups que Laurent parle. Le quotidien de cette meute de loups, pendant onze ans, par un archiviste qui a bonne mémoire.

 

Georges-Eric Lagrange, le sergent recruteur

Bien sûr le numéro un mondial de l’expérience client externalisée regroupe de très nombreuses nationalités et l’empreinte française à son plus haut niveau n’est plus si marquante, mais quiconque observe précisément la sociologie du groupe verra que TechCity Solutions a fourni quelques personnalités décisives en même temps qu’un métier devenu central : l’assistance technique. Laurent Niquet en est un bon exemple. 

 

Laurent Niquet. « Je suis entré chez TP via TechCity Solutions en septembre 2005, qui était alors mon fournisseur pour du support technique avancé et des solutions de diagnostic lorsque je travaillais chez Noos. Leur président, George-Eric Lagrange, recherchait quelqu’un pour l’aider à structurer, accélérer et diversifier son portefeuille. J’ai alors relevé le challenge et pris la direction des Assistances Techniques, sous forme de Business Unit, ce qui représentait 80% du CA de TechCity Solutions. Après trois ans de forte croissance réussie, en 2008 le groupe a décidé (à juste titre) de regrouper toutes les entités de TP en France en une seule entité : Teleperformance France. Cette période de transition a été très audacieuse et laborieuse et il aura fallu presque trois bonnes années avant de pouvoir considérer la chose faite. Alors, j’ai intégré une nouvelle structure consolidée en tant que Directeur des Grands Comptes – expert Assistance Technique (Horizontal) et expert Telco (Vertical) et participé ensuite à sa relance commerciale au côté de Cécile Grelot et du CCO Europe, Eric Dupuy, d’origine TechCity, lui également !

Cécile Grelot - crédit © Edouard Jacquinet

Et pourtant, vous quittez le groupe en 2016 ?

« Oui, j’estimais alors avoir fait le tour et on avait réussi. Alors je suis parti à la recherche d’autres aventures à l’extérieur, en dehors du BPO, car j’aurai passé onze ans chez le meilleur ».

 

Construire, déployer, re-challenger, sa passion. Ça tombe bien, le CRM est une science jamais achevée.

Quand il débarque chez son ex fournisseur, l'ex Noos a déjà quelques faits d’armes à son actif, mais en 1998, après dix ans en SSII notamment, une période durant laquelle il s’est intéressé à la météo, il tombe dans le CRM. 

 

LN : Ce que j’aime avant tout, c’est concevoir, construire, et déployer, puis tout re-challenger. Et je déteste maintenir, je trouve cela ennuyeux. Le kif, c’est quand même de partir d’une idée qui tient en une phrase, et d’en faire un business qui nourrit des gens, crée des jobs ! Je suis informaticien d’origine et absolument concentré sur la structuration du système d’information et la chaîne Order to Cash d’une entreprise. J’ai eu un parcours d’informaticien de gestion classique bac H / BTS info de gestion / MIAGE. En 1998 je démarre une mission avec un nom bizarre, Alizé – projet GRC, pour un établissement de crédit d’une très grande banque. Mon rôle était d’être le référent fonctionnel du module Tiers (Suspects/ Prospects/Clients/Apporteurs). En réalité, je suis tombé dans le CRM pour ne plus jamais en sortir. Passé ensuite chez Noos, j’ai goûté au monde très opérationnel de la relation client, j’y ai mis en place une structure transverse que j’ai appelée le SPMV (Support Process Marketing et Ventes). C’est durant cette période et notamment celle du déploiement terrain que je suis allé au contact de la « prod » et que j’ai rencontré TechCity Solutions en France et Teleperformance en Tunisie.  Le BPO en relation et service client est, je crois, l’un des plus complexes qui existe dans l’ère industrielle du 21ème siècle. C’est une industrie dont l’outil principal est l’homme et dont la mission essentielle est d’aider d’autres hommes. Et il n’y a rien de plus imprévisible que celui-ci, car d’une part, c’est un sac d’émotions et d’autre part parce que ses demandes ne se stockent pas. Si l’on y ajoute que les modèles économiques à tenir sont dingues, on perçoit vite la complexité : il faut aligner des compétences et donc des coûts certains à financer, au bon moment, mais seulement quand il y a des demandes ; et y répondre de la meilleure façon et dans les meilleurs délais. S’il y a les compétences sans les contacts, il y a des coûts sans revenus. S’il y a les contacts sans les compétences, il y a absence de revenus et des pénalités ! S’il y a les ressources et les contacts, il y a des revenus mais sans qualité, ce qui entraîne une absence de profitabilité, là encore liée aux pénalités ! C’est un univers très multi contraint. Or, pour avoir eu l’occasion de solliciter et/ou travailler avec d’autres acteurs de cette industrie, je n’ai retrouvé nulle part la pertinence qui irrigue l’ADN de Teleperformance. J’ai eu beau faire des bonnes études, j’ai vraiment tout appris chez Teleperformance, qui a elle-même grandi sans oublier le socle de ce qui la justifie. Tout d’abord, au niveau des relations humaines qui est le coeur du sujet. Un agent prend la charge opérationnelle et émotionnelle d’interactions de client qui ne sont pas satisfaits : personne ne contacte une marque simplement pour lui dire : bravo vous êtes super, je n’ai besoin de rien. L’entreprise l’a parfaitement compris qui déploie tout pour supporter cet agent, afin de lui permettre d’arriver à satisfaire le client. Concernant l’usage de la technologie : j’ai quitté TP au début des grands changements technologiques (bots, callbots, IA) car, jusqu’en 2016, tout le monde en parlait mais très peu s’en servait encore vraiment. Le confinement a constitué un accélérateur fort mais TP avait déjà lancé ses solutions bien auparavant, ce qui lui a permis de muter totalement et en très peu de temps. C’est là également que la machine s’avère incroyablement efficace car elle parvient à faire ceci avec une extrême rigueur dans le suivi des opérations. Chaque acteur impliqué dans le production est tenu de comprendre le business model de son programme et pilote un compte d’exploitation quasiment en temps réel. J’ai moi-même appris à le faire, avec un papier un crayon et une gomme et toutes les deux heures. Et cela n’a pas de prix ! Car c’est en pratiquant ainsi que l’on défend la valeur et non les volumes. D’expérience, à chaque fois que j’ai « killé » des volumes en proposant une solution à plus forte valeur ajoutée, la marque nous a confié d’autres flux à encadrer au coeur de la machine TP, BEST (Best Entreprise Standards of Teleperformance) cristallise ceci. Prenons l’exemple des feedbacks aux clients. Chez TP, l’enjeu d’un copil n’est pas de justifier ce qui a été produit, mais d’expliquer comment et pourquoi, de préconiser des améliorations, souvent dures à entendre par les Process Owners de la marque qui peuvent parfois n’avoir pas quitté leur tour d’ivoire depuis quelque temps, et s’engager sur un plan d’amélioration continue. Chez Teleperformance, Six Sigma n’est pas un argument marketing, c’est une réalité opérationnelle.



La durée de vie des calculatrices du boss se mesure en nombre de CODIRS (conserver sa place dans la meute, exigeante. Unie vis-à-vis des éléments extérieurs)

Après, pour tenir chez TP, mieux avoir un vrai caractère. Tout le monde y aime les gens car c’est la base pour travailler dans cette industrie. Mais quelquefois, on les aime trop ou pas comme il faut. Ça matche bien ou pas ou plus. Nous ne sommes que des hommes et des femmes en lutte contre une tendance déshumanisante de la relation client.

 

A quelles occasions l’avez-vous appris et au contact de qui ?

Une anecdote me revient, alors que je suis en codir chez TechCity Solutions, en revue opérationnelle et financière des programmes. J’étais arrivé depuis quelques semaines seulement. Un des programmes dévissait de quelques deux ou trois points de marge brute par rapport au deux semaines précédentes. Je ne savais pas vraiment l’expliquer et étais assez étonné de ce degré de précision requis. Le Boss, George-Eric Lagrange, s’est livré à un exercice de calcul en live débouchant sur la Root Cause (cause première) de la déviation, en l’occurrence une DMT (durée moyenne de traitement) qui s’envolait sur un type d’appels particuliers. Il propose alors un plan d’action d’ordre chirurgical, très pertinent. Mais ça ne s’arrête pas là et j’entends : « Ce n’est pas plus compliqué que cela, pourquoi tu n’y as pas pensé avant ? ». Tandis que la phrase s’achève, la calculatrice vole dans les airs et rencontre un mur. C’est aussi ça quand on travaille avec des personnages ! Chez Tech City, les calculatrices du boss avaient une durée de vie qui se mesurait en nombre de CODIR. Une autre histoire signifiante me revient à l’esprit, survenue lors de la réunification de Teleperformance en France en un seul Teleperformance France. Un des comptes telco, dont j’avais la direction et responsabilité du P/L, travaillait avec cinq des sept filiales en cours de fusion et donc avec cinq contrats différents, cinq modèles de prix différents, plus de cinq sites différents etc. Vous imaginez bien que ledit grand compte client s’attendait à avoir simplement un seul contrat, à savoir le plus évolué des cinq en termes de valeur ajoutée et le moins coûteux des cinq en termes de gamme de prix de service. Il m’aura fallu un bon semestre pour tout décortiquer avec les équipes de la production (Corinne Schamber notamment) et tout remettre à plat afin de reconstruire un seul contrat aligné avec tous les précédents mais aussi préserver le business. Nous nous sommes rendus compte ensuite que certaines activités n’étaient plus rentables à cause d’une évolution des process clients non répercutés dans les coûts opérationnels, par phénomène de surdité je suppose (sourires). J’ai consacré un bon semestre pour travailler avec le client à livres ouverts, afin de lister les solutions et actions à mettre en place de part et d’autre pour retrouver une compatibilité économique. Pour certaines activités, il n’était pas possible de rééquilibrer sans revoir le prix. Le client l’a compris mais n’avait pas prévu cela dans son budget. Nous avons alors décidé intelligemment de stopper ces activités car elles ne correspondaient plus à l’esprit de partenariat (partenariat = partage des gains et des pertes entre deux parties désirant collaborer ensemble au sein d’une relation commerciale profitable à chacun) et risquaient de polluer les autres activités qui nous étaient encore confiées et rentables. Et j’ai bénéficié à ce moment- là du support de mes deux CEO (car il y en a eu deux durant cette transformation, ça bougeait assez fréquemment à cette époque au niveau du codir). Nous avons arrêté, proprement et transféré à un autre acteur du secteur  A ce moment-là, je crois que nous avons regagné la confiance et surtout le respect du client. Car à chaque fois ensuite que j’expliquais qu’il y avait un souci et qu’il fallait revoir telle chose ou telle autre, j’étais entendu et quelquefois écouté. TP a repris environ trente pour cent de part de marché totale avec ce client dans les deux années qui ont suivi. Nous l’avons d’ailleurs amené pour la première fois (premier telco à franchir le pas) dans une démarche de near-shore, au Portugal. 

Laurent Niquet - crédit © Edouard Jacquinet

Pourquoi quitter une entreprise, qui vous fait progresser et dont on admire le savoir-faire ? 

Parce que c’est éreintant, parce que TP redevenait fréquentable sur le marché français, et qu’il n’était peut-être plus autant nécessaire d’y mettre ses tripes pour défendre la cause. Et je pense aussi que je suis moins masochiste qu’avant ! En réalité, j’y ai passé onze ans de ma vie professionnelle, un cycle long. J’y ai tout appris et je m’y suis amusé, malgré l’intensité décrite : on ne peut pas y rester sans qu’existent de vrais exutoires, et donc on s’y amuse beaucoup. Si je devais comparer l’entreprise, je dirais que c’est une meute de loups. Y tenir sa place est vital et exigeant, car d’autres poussent, mais dès lors que la meute est attaquée, elle fait front avec une incroyable cohésion et réactivité. Et s’il fallait utiliser une analogie plus corporate, je dirais que Teleperformance n’est pas une entreprise ; c’est une marque. En 2017, j’ai eu l’occasion de visiter un centre de relation client TP en Malaisie en tant que prospect : j’y ai retrouvé absolument tout, dans le détail : les standards de production et de management de TP. J’ai eu deux vies professionnelles depuis, toutes axées sur le pilotage opérationnel de la relation entre une marque et ses clients. Dans les télécoms sur deux business totalement différents et dans les deux cas à une échelle internationale. Tout d’abord chez Arkadin une entreprise internationale, créée en France, qui a été acquise par un géant du Telco : NTT. Et depuis trois ans maintenant, chez Eutelsat, un des plus grands opérateurs de télécommunications par satellite où je dirige les opérations clients (Supply Chain & Field engineering / Order-to-Cash). 

 

Que mettez-vous en pratique dans l’exercice de votre vie professionnelle aujourd’hui et que vous avez appris au sein de... la marque, je pourrais dire la Firme ? 

Tout ce qui est Tail Management (le pilotage par quartile, le pilotage avec loi de Pareto / Six Sigma), le pilotage opérationnel des coûts (combien le fait de dépenser X me permet d’augmenter la valeur de Y). La standardisation des opérations demeure une autre obsession car la folie selon Einstein, c’est de faire toujours la même chose et d’espérer obtenir un résultat différent. 

 

Ceux et celles qu’il a côtoyés: De 2005 à 2008 chez Techcity Solutions (Pantin/ Orléans/Lille) : Georges-Eric Lagrange, Laurent Mimault, Jean-Paul Delquigny, Eric Dupuy, Isabelle Garbett, Karine Jan. De 2008 à 2013, lors de l’ unification de TP France, rue Firmin-Gillot et sur tous les sites de production : Gwenaelle Roussel, Jean-Hervé Jenn, Peter Fergus O’Brien. De 2013 à 2016, c’est la période de consolidation et rebond avec Peter Fergus O’Brien, Brigitte Daubry, Lucio Appolonj. 

NB : Il existe une chose que Laurent, comme d’autres, a fréquentée : « le souci du détail et la capacité de deep diving en un fragment de seconde de Daniel Julien, ils sont absolument admirables »

Propos recueillis par Manuel Jacquinet 

 

Photo de une : Laurent Niquet - crédit © Edouard Jacquinet

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