"Chez Euro-Assurance (Assu 2000), il faut toujours être prêt à accepter les nouvelles missions afin d'évoluer"
A Tanger comme en France, peut-on, et est-il aisé de dénoncer des comportements inappropriés de la part de son patron ou d’un collègue de travail ? De nombreux hubs de BPO (ce que les anglo-saxons dénomment les shared service centers) dans le secteur de l’assurance, des market-places ou des call-centers sont désormais localisés dans la région de Tanger-Tetouan-Al Hoceima et emploient quantités de jeunes femmes. Elles n'y sont pas toutes traitées comme chez Jacques Bouthier.
Youssra Ghzaoui, la directrice des standardistes d’Euro-Assurance, une filiale du groupe Assu 2000, rebaptisé Vilavi, s’exprimait il y a quelques semaines dans une interview corporate sur les pratiques de recrutement et d’évolutions de carrière au sein du groupe. Compte tenu des révélations sordides sur les pratiques de Jacques Bouthier, fondateur et ex-président d’Assu 2000, la relecture de cette interview prête moins à rire qu’à s’interroger sur deux points : à quel moment des cadres dirigeants, des collègues sont-ils tenus de signaler des pratiques déplacées ? Le deuxième interrogera les sémiologues ou les directeurs de la communication : la tentation de produire, rédiger et distribuer sur internet et sur les réseaux sociaux autant de contenus « promotionnels » pour améliorer son SEO/SEA doit-elle être modérée ? Petit reportage à Tanger, qui propose des exemples d’entreprises plus positifs sur l’expérience collaborateurs et ce qui y favorise la progression de carrière. On en a parlé lors du Tanger CX Forum qui s’est achevé le 16 mai.
L’interview de Youssra Ghzaoui, ex-standardiste chez Euro-Assurance
« Youssra Ghzaoui a intégré le Groupe VILAVI en octobre 2012 en tant que standardiste chez Euro-Assurance. En février dernier, elle a été promue formatrice des standardistes. Découvrez sa motivation et son parcours.
Peux-tu te présenter et nous parler de ton parcours ?
Je m’appelle Youssra Ghzaoui, j’ai intégré le groupe VILAVI le 15 octobre 2012 en tant que standardiste au sein de la filiale Euro-Assurance. En 2018, pour élargir mes compétences, j’ai fait ma première demande de changement de poste pour intégrer le front office. Mais j’ai vite senti que je n’étais faite pour le service commercial, j’ai donc décidé de revenir au standard.
Depuis mon retour, j’ai fait une proposition à mes supérieurs pour le poste de formatrice et après une année, mon ancienne responsable, Kaoutar Errouche, me l'a proposé.
Depuis février 2022, je suis formatrice des standardistes du groupe.
Comment s’est déroulé le recrutement pour ce nouveau poste ?
J’ai passé plusieurs entretiens, mais celui avec Mohammed Benadda, directeur du recrutement et de la formation, était diffèrent. Nous étions trois collaboratrices à postuler. Mon avantage, je pense, était ma fidélité au Groupe, je suis en effet plus ancienne que les deux autres personnes. Je me rappelle que Monsieur Benadda m’avait dit qu’il me donnerait une réponse sous 24h. Quand il est revenu vers moi, il m’a dit que son choix s’était porté sur une autre personne. En sortant de son bureau, toutes les standardistes se sont mises debout et m’ont applaudie. J’ai alors compris qu’on m’avait fait une blague, que j’avais réussi et que j’allais devenir formatrice des standardistes.
Quel est ton rôle en tant que formatrice standard ?
Aujourd’hui, mon rôle consiste à préparer les futures standardistes qui intègrent le groupe. Je partage avec elles mon expérience ainsi que les notions de base pour comprendre leurs missions ainsi que les règles de routage de chaque entité.
Pourquoi conseillerais-tu la mobilité à un/e collègue ?
Dans le groupe VILAVI, on n’en finit jamais d’apprendre, alors il faut toujours être prêt à accepter les nouvelles missions afin d’évoluer, grandir et développer ses compétences. Ici la formation ne s’arrête jamais !
Pourquoi as-tu choisi de faire carrière au sein du Groupe VILAVI ?
C’est le destin ! C’est une de mes amies qui m’a proposé de travailler chez Euro-Assurance. Elle m’a coopté, je croyais que ça allait durer un an maximum mais une fois ici, je n’ai pas pu partir. Il y a un truc magique… Peut-être parce que je considère VILAVI comme ma vraie deuxième famille. »
Une seconde interview, de même nature, sur le site de Vilavi, et datant du début de l’année, donne la parole à Soraya Ait-Ouaret (directrice administrative, PROFIRST Assurances). Extrait :
« Pourquoi conseillerais-tu la mobilité interne à un collaborateur ?
La mobilité interne, c’est avant tout l’opportunité de se perfectionner, s’améliorer et sortir de sa zone de confort. La promotion interne fait partie de l’ADN de notre groupe et permet d’évoluer avec moins d’appréhension, en toute confiance avec les équipes. Depuis que je suis arrivée au sein de PROFIRST, M. Moumene m’a toujours dit qu’on a le droit à l’erreur, cela m’a beaucoup aidé à évoluer et progresser. Finalement, chaque erreur nous donne l’opportunité d’apprendre. »
Rappeler un employeur à ses obligations
La question posée par les incidents répétés apparemment dans le groupe Assu 2000 ou Euro-Assurance est celle de la possibilité existant pour un collaborateur ou une collaboratrice de faire savoir, de façon anonyme, qu’il ou elle est harcelé ou que sa santé mentale est mise en péril par un comportement ou une organisation du travail. En France, comme l’explique et le confirme Benjamin Saviard, dirigeant du cabinet Icas France, le code du travail (article 41-21 selon lequel « l'employeur prend les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des travailleurs ») et deux articles du code pénal (article 222-33-2, article 222-33-2-2) encadrent ces situations. Pour toute entreprise de plus de 20 salariés, il est impératif de rappeler dans le règlement intérieur les dispositions du code du travail relatives au harcèlement moral et sexuel et aux agissements sexistes. L’employeur a ainsi « une obligation de sécurité et de prévention des risques » vis-à-vis de ses employés. Médecine du travail, inspection du travail, CSE peuvent être saisis par des salariés victimes de harcèlement sexuel.
Par ailleurs, l’article L1153-5- 1 impose dans toute entreprise employant d’au moins deux cent cinquante salariés la désignation d’un référent chargé d'orienter, d'informer et d'accompagner les salariés en matière de lutte contre le harcèlement sexuel et les agissements sexistes » sans que ses missions soient précisées. Le cadre légal est ainsi précisé, la mise en place d’un dispositif est laissé au bon gré de l’employeur. Explications de Benjamin Saviard : « au mieux, on met en place un process, comme une ligne d’écoute. On impose à l’employeur ce qu’il doit faire en matière de protection et de sécurité, mais on ne lui précise pas les outils. » La prise de conscience liée aux problèmes des risques psychosociaux a pu ainsi conduire de nombreux cabinets de conseils et experts à produire une ligne d’écoute psychologique qui se révèle assez peu efficace. C’est pourquoi Benjamin Saviard recommande un programme d’aide et soutien (EAP) : « un programme qui puisse répondre à toutes les problématiques, de la petite déconcentration à des problèmes beaucoup plus graves, en couvrant d’abord l’employé jusqu’aux membres de son foyer, tous les domaines de la vie privée et professionnelle et cela permet de répondre à des problématiques de management et de dynamiques collectives. »
Une dernière question se pose, celle du cadre légal imposé aux entreprises ayant fait le choix de l’externalisation nearshore. Le harcèlement sexuel recouvre un large éventail de situations, de la remarque sexiste au chantage sexuel. Ce dont se serait rendu coupable Jacques Bouthier, si l’on en croit le témoignage d’une ex-employée d’Euro-Assurance, Nour, livré sur BMFTV ce matin même.
Al Hoceima, plus beau centre d’appels et de télévente d’Afrique du Nord ? C’est à savoir.
Dans quelques semaines ouvrira officiellement, lors d’une inauguration à laquelle seront conviés les officiels marocains, un nouveau centre de contacts de l’entreprise Myopla, déjà très présent à Tanger et à Tetouan. Son architecture et les œuvres d’art de jeunes artistes qui décorent le site (les élèves sont notamment issus de l’Ecole des Beaux-Arts de la ville) l’ont déjà fait dénommer l’un des plus beaux centres de contacts d’Afrique du Nord par ceux qui l’ont visité. Car toutes les entreprises et ceux qui les dirigent à Tanger ne ressemblent pas forcément au fondateur de Assu 2000. On l’a constaté en les rencontrant, lors du premier Tanger CX Forum (voir le programme de ce dernier). Comme le précise d’ailleurs Youssef Chraibi, président de la FMES et lui-même fondateur d’Outsourcia : « la question du harcèlement sexuel est prise très au sérieux au Maroc et notamment depuis que des universités ont été le lieu de tels agissements. La destination Maroc n’est pas plus laxiste que la France sur ce sujet même s’il n’existe pas encore de lois sur l’installation de procédures d’alerte. » Convaincu d’ailleurs de l’avenir de la filière dans son pays natal, Outsourcia vient de faire entrer la société de capital investissement SPE Capital en son sein. SPE Capital y prend le relais d’Afrique Invest et injecte 33 millions de dollars pour réaliser cette prise de participation. Outsourcia, créé en 2003, est l’un des rares groupes indépendants spécialistes du BPO au Maroc, il a depuis investi à Madagascar.
“il venait faire son marché sur les plateaux téléphoniques, à Tanger ”
Euro-Assurance emploierait plusieurs centaines de salariés à Tanger via ses différentes filiales ou succursales dont 300 environ dans des plateformes téléphoniques pour ses différentes marques, dont le courtage d’assurances. De nouveaux témoignages recueillis depuis le début de l'affaire ont démontré que Jacques Bouthier venait “faire son marché sur les plateformes téléphoniques" gérées par son groupe, à Tanger. Des cadres y organisaient ensuite les détails pour rapprocher les élues de leur dirigeant. Celles qui résistaient étaient écartées ou licenciées. Un responsable de la sécurité de la banque Rothschild, à Paris (Christian Giroud) ex-membre du GIGN avait été sollicité pour récupérer la vidéo filmée qui a déclenché la mise en examen du patron indélicat. Sexe, mensonge et vidéo, opus 2. Pas de palme d'or ce coup-ci.
Photo de une: Au consulat de France à Tanger en 2020 - photo extraite du compte Facebook de Vilavi Maroc