Quand les canaris écoutent, sentent, assistent ou vendent, en visio-conférence…
Psychologues et psychiatres, écoutants de tout type n’ont pas chômé depuis mars 2020. Nombre d’entre eux ont viré leur cuti quant à la téléconsultation, à l’usage de la visio-conférence. Focus sur quelques associations, professionnels de l’écoute et premiers bilans, pour ceux qui se vivent parfois comme des canaris. En situation de sentir ce qui sera perçu par d’autres, plus tard, comme les oiseaux jaunes y étaient invités, dans les mines.
SOS Crise, la méta-plateforme qui répond vite et n’a rien de virtuel
Pendant et au sortir de la crise, les Transmetteurs ont créé une méta-plateforme d’écoute et Facebook Metaverse, chacun ses priorités.
L’expérience sans précédent qu'a vécue et vit encore l'humanité, avec la crise de la COVID-19, a généré, pour beaucoup, isolement, mise à l'écart du monde. Il a fallu trouver comment aider, accompagner et informer les personnes fragilisées, parfois naufragées et à l'abandon. L’équipe de SOS Crise, portée par l'association Les Transmetteurs et Salesforce, a mis en service une plateforme d'écoute téléphonique gratuite, "SOS confinement", destinée aux personnes les plus périphériques, les moins visibles des dispositifs d'aide et d'assistance habituels - autrement dit, les exclus.
Au 0 800 19 00 00 répond une équipe de 100 bénévoles - acteurs sociaux, psychologues et médecins – dans le respect d’un mode d’emploi qui constitue l’une des spécificités de la plateforme : répondre vite et orienter vers les services existants dont un mapping rigoureux a été établi.
Mode d'emploi
L'appel arrive sur le 0 800 19 00 00, la réponse y est immédiate. Le régulateur oriente vers un écoutant qualifié, la durée d'écoute se situe en moyenne entre 15 et 60 min. L'écoutant oriente ou non vers une plateforme-relais et signale les situations à risque. Bien en avance sur ses objectifs (SOS Crise reçoit de nombreux appels), la plateforme recherche de nouveaux partenaires. Découvrez plus loin dans le dossier son mode d’intervention et le témoignage d’une psychologue bénévole (Anna Held).
SOS Crise, la méta-plateforme qui veut perdurer
Entretien avec deux des chevilles ouvrières : Constance Lenoir et le Dr Suzanne Tartière.
Né dès le début du confinement, SOS Confinement a changé de dénomination mais pas d’ambition : répondre vite et de façon adaptée aux appels des personnes en crise, rassurer, aider à exprimer son besoin et orienter si nécessaire vers les dispositifs existants. Cette méta-plateforme recherche ses partenaires d’avenir après avoir été soutenue par Salesforce, Orange et d’autres.
En-Contact : Que vous disent finalement les appelants qui contactent SOS Crise ? Qu'ils ont besoin d'écoute, de parler, de raconter, voire re-raconter leur histoire, que le fait de parler à une personne leur a fait du bien ?
Constance Lenoir : Les appelants qui contactent SOS Crise recherchent la pluridisciplinarité des écoutants qui ne se contentent pas de reformuler mais bien d’être dans une écoute active afin de les aider dans la formulation de leur besoin. Il n’y a pas que de l’écoute à SOS Crise mais également de l’information et si nécessaire une réorientation vers des acteurs locaux pour un suivi. Ils apprécient le décroché rapide (moins d’une minute) car l’attente est toujours anxiogène.
Les écoutants semblent heureux de partager avec leur « superviseur » les cas, les situations qu'ils ont rencontrées. Que font-ils des conclusions de ces échanges ?
Il ne s’agit pas simplement d’être heureux mais d’avoir la possibilité de disposer d’un espace de parole varié (débriefing, réunion d’équipe, discussions) afin de ne pas rester avec une situation qui a pu mettre un écoutant en difficulté. Les “discussions”, encadrées deux fois par semaine par Olivier Douville, psychanalyste, permettent en tout premier lieu et sur le plan individuel un allègement de l’inquiétude. Ce partage permet à chacun de mieux comprendre les problèmes exposés, de faire part de leurs difficultés et angoisses et de savoir jusqu'où ils peuvent aller. La mise en commun des expériences d’un même cas permet in fine d’optimiser la prise en charge. Pouvoir écouter de manière active nécessite de prendre soin de soi et ces espaces de parole y contribuent de même que les formations proposées sur des thèmes demandés par les écoutants.
La technologie semble apportée par des partenaires, a-t-il été facile de les trouver, en recherchez-vous d'autres et dans quels domaines et à quelle échéance ?
Il y a eu depuis notre démarrage en avril 2019 plusieurs temps avec les partenaires. C'est en effet grâce au soutien de Salesforce - tant pro bono que financier - que la plateforme a vu le jour. Un cadre dirigeant de Salesforce, un ami de longue date, était venu voir Suzanne Tartière au SAMU pour comprendre la gestion des appels au début de la crise au moment même où Xavier Emmanuelli a eu l’intuition de la création de notre plateforme. Nous avions conscience qu’il fallait apporter une réponse à l’angoisse grandissante. Il avait ou disposait de la solution technique. Au plus fort de la crise, de nombreux acteurs ont souhaité s’impliquer. Des partenariats se sont mis en place mais ceux-ci correspondaient à la réponse "urgence-covid" et n’avaient pas pour vocation à être pérenne. Nous cherchons aujourd’hui des soutiens financiers pour permettre notre développement, convaincus que nous répondons à un besoin spécifique ainsi qu’un accompagnement technique afin d’améliorer l’utilisation des outils que nous avons à disposition.
N'y a-t-il pas trop de numéros dédiés à l'écoute et pas assez de convergence ou de pilotage global de ceux-ci. Qu'est ce qui justifie cette forêt de numéros ?
Cette « forêt » de numéros existe pour faire face à des publics spécifiques (pathologie ou besoin particulier). Il y a aussi les numéros historiques. Un pilotage global de ces numéros serait difficile. Il existe cependant un Collectif de la téléphonie sociale et en santé (TeSS), qui regroupe plus de dix plateformes signataires d’une charte.
Nous allons là où les autres ne vont pas et surtout SOS Crise est une méta-plateforme généraliste nationale qui sait orienter. Il y a dans notre travail une attention extrêmement poussée à la signification personnelle des difficultés de chacun : une sorte de nécessité de savoir accueillir et de construire avec l’appelant. Nous construisons une stratégie d’orientation en prenant le temps de sortir de l’urgence si nécessaire. Il faudra dans l'avenir savoir capitaliser cette expérience.
Les co-pilotes et les rallyes sur lesquels elles ont déjà couru
• Suzanne Tartière, Médecin anesthésiste réanimateur, régulateur au SAMU de Paris depuis plus de 30 ans.
« Est passionnée par cette médecine qui peut s’exercer par téléphone, cet outil si simple que chacun d’entre nous possède et qui permet d’entendre une détresse respiratoire, de deviner une angoisse, d’évaluer une douleur et même à présent de voir le patient et ses lésions et si nécessaire de déclencher tout un éventail d’effecteurs afin de placer le patient dans un parcours de soin optimal. Les simples conseils donnés, qui sont la réponse la plus fréquente, permettent pratiquement toujours d’éviter un passage aux urgences. La Covid a ainsi mis en lumière cette activité médicale mal connue et les consultations de télémédecine médicales explosent à présent. »
Suzanne a publié chez Albin Michel En cas d’urgence faites le 15, avec Xavier Emmanuelli, où elle relate son expérience de médecin régulateur au SAMU de Paris.
Elle gère actuellement les appels complexes médico-sociaux témoins de l’extrême solitude des personnes les plus âgées, lesquelles par méconnaissance des structures dédiées appellent le 15 par défaut. L’urgence médicale masque alors l’urgence sociale.
• Constance Lenoir, Juriste - Docteur en Droit et littérature.
« J'ai travaillé dix ans dans la protection de l'enfance et la protection judiciaire et de la jeunesse afin d'accompagner les professionnels de terrain dans la prise en charge des mineurs. J'ai poursuivi mon envie d'aider les publics les plus fragiles en créant un collège alternatif L'Autre Collège pour accueillir des jeunes qui ne trouvent pas leur place dans le système éducatif classique. Mon engagement se poursuit avec le monde du médico-psychosocial où, en tant que coordinatrice de SOS Crise, je veille à ce que les bénévoles disposent du meilleur cadre possible pour qu'ils puissent offrir une écoute de qualité. »
Nous tentons de comprendre
Bien orienter après avoir pris le temps d’écouter, de cerner ce qui motive l’appel et la conversation est un des différenciateurs forts de SOS Crise, portée par une association bien nommée : les Transmetteurs. Rencontre avec Anna Held, psychologue bénévole au sein de cette plateforme unique en son genre.
Nous ne faisons pas qu'écouter, nous tentons de comprendre pour quelle raison notre interlocuteur appelle et parfois même pour quelle raison, il appelle ce jour-là précisément. Psychologue de formation et exerçant toujours en cabinet, Anna Held est l’une des 100 écoutants qui collaborent avec SOS Crise, auprès de laquelle elle s’est engagée dès le début du confinement. Elle assure 1 permanence de 3 heures par semaine, durant laquelle le nombre d'appels peut varier considérablement.
Orienter après avoir écouté et rassuré
« Une grande majorité des appelants a besoin d'évoquer une histoire ou un souvenir douloureux ou de partager quelque chose (les émotions qui les submergent, les souvenirs de traumas passés) qui les assaille même si certains sont déjà suivis par des acteurs de la santé mentale. La grande spécificité de SOS Crise provient du fait que nous ne faisons pas qu'écouter : on tente d'identifier ce qui motive l'appel et ce qui fait souffrir afin de pouvoir orienter ensuite si nécessaire vers la bonne structure ou un professionnel. Nous pouvons également rassurer et aider à passer un moment de crise, d'affolement, un sentiment de découragement, une impression d’impossibilité d’agir, de perdre pied. Nous essayons d’accompagner l’appelant, vers, peut-être un petit changement de perception sur sa situation et mise en évidence de son potentiel d’action. » Ce rôle d'aiguilleur, de conseiller reflète bien le nom de l'association qui porte SOS Crise et se dénomme : Les Transmetteurs. « Grâce à un mapping rigoureux d'une grande partie des structures d'accueil et de prise en charge, nous pouvons orienter ensuite vers l'interlocuteur qui nous semble adapté », précise Constance Lenoir, la coordinatrice de la plateforme.
Début d'un appel : « voilà, je suis toute seule dans la maison, mon mari va me quitter. Je ne peux pas supporter ça, je ne peux plus vivre me dit l’appelant ». Anna, psychologue, entame alors son questionnement, s'intéresse et rentre un peu plus dans l’histoire de vie personnelle et professionnelle de cette femme qui appelle et qui lui dit : « il y a la femme d'un collègue de mon mari qui m'a appelé pour me dire que mon mari me trompe ». Derrière ces mots, un autre détail interpelle Anna : « J'entends que c'est l'anniversaire d'une autre date marquante dans la vie de cette femme et qu'elle va me raconter quelque chose qu'elle n'a jamais raconté à savoir l'histoire d'un accident d'une personne de son entourage pour lequel les gendarmes sont venus ». C'est un échange qui m'a énormément marquée parce que, du coup, elle ne pleure plus, elle raconte : c'est un récit d’une scène figée depuis des années. Tout le monde s'est écroulé ce jour-là autour d'elle, sauf elle, me dit-elle. Je me dis alors qu'elle est drôlement forte d’avoir pu accompagner son mari et son fils dans le deuil qui les a frappé tous, mais en route, elle s’est oubliée. Je commence alors à en discuter avec elle. Elle m'apprend sa reconversion professionnelle, me raconte qu'elle a mal au dos parce que le cheval de sa fille lui a donné un coup de sabot. On commence à faire des liens, elle se souvient qu’elle est aussi une battante voire conquérante. Elle fait des liens et commence à reprendre le fil de ses projets, de sa capacité d’autonomie. Je sais que je ne vais pas l’accompagner en tant que psychologue. Nous ne faisons pas de suivi à SOS Crise. Mais il se passe quelque chose qui est de l'ordre de la confiance. Mon interlocutrice se met en mouvement, se pense autrement, un avenir est possible à nouveau. Elle décide de se faire accompagner par un autre professionnel. Elle prend la décision de se remettre en route.
Habituée des consultations et du suivi un cabinet, Anna reconnait que l'exercice de l'écoute par téléphone est spécifique et qu'elle apprécie de la pratiquer sans protocole rigide : « une partie du corps disparaît mais la voix de l’appelant nous guide au travers de son cheminement. On développe une sensibilité à différentes modulations, comme les mères qui entendent les cris de leur enfant. Elles parviennent à savoir quand les enfants crient et que c'est normal ou bien les cris qui surviennent quand il y a trop d'émotion donc il faut la partager, s'en décharger. Je travaille sans procédures mais avec mon savoir-faire, mon vécu car j'ai plus de 50 ans et en sachant que la semaine prochaine c'est peut-être Michel, un autre écoutant, qui échangera avec la femme qui vient de m'appeler. »
« Un autre exemple d’appel : un père appelle via SOS Crise et dit « voilà mon fils est en train de se déscolariser. Qu'est-ce que je peux faire ? » Je relativise un peu la problématique et je lui dis que je vais en parler à l'équipe. Après une recherche collective pour être au plus près de sa demande, je le rappelle afin de l'orienter vers les institutions qui sont habituées de ces situations et peuvent l'accompagner. Ce qui est génial c'est qu'on ne laisse pas les gens sans réponse, sans dire sur ce qu’ils les amènent vers SOS Crise. Nous sommes une équipe des écoutants avec des expériences diverses, les débriefings avec la coordinatrice nous aident à nous ressourcer auprès des autres écoutants professionnels.
Quant aux appelants, qui n’ont jamais rencontré de psychologues, nous pouvons leur expliquer les différentes approches thérapeutiques et l’importance de la rencontre avec un professionnel qui leur convient.
Mais c'est peut-être de les avoir aidés à comprendre pourquoi ils appelaient ce jour-là qui peut aider. »
Par la rédaction d'En-Contact
Une petite centaine de bénévoles œuvrent pour SOS Crise, accessible au 0800 19 00 00.
[email protected] - 06 26 97 48 48