Rien à perdre. S’équiper d’Aircall et lire le 1er livre de Jonathan Anguelov?
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De l'utilité de se démener.
L’homme qui valait un milliard, pas trois, c’est Jonathan Anguelov. Il a écrit un livre, Rien à perdre, qui sortira le 13 mars, édité chez Alisio. Préfacé par Frédéric Jousset. Les deux compères et entrepreneurs ont fait fortune dans les centres d’appels. Le premier en co-fondant Aircall, une plateforme de téléphonie pour les PME, qui voudrait équiper désormais les centres de contacts, le second en co-fondant Webhelp, devenu Concentrix. Les call-centers, ça ne fait rêver personne mais ça marche et les français y sont des champions.
S’équiper d’Aircall, choisir Concentrix, ex-Webhelp, comme prestataire de BPO ou pour de la modération, lire Rien à perdre ou d'autres livres et revues, sont-ils des choix risqués, pertinents. Une dépense ou un investissement ? On n’a presque rien à perdre à vous partager notre point de vue.
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Aircall, s’équiper d’Aircall ?
Le projet de départ, à la création d’Aircall, est raconté dans le livre
(…) Bref, même dans les centres d’appels, où la téléphonie était censée être le cœur du métier, elle n’était pas vraiment au niveau, ou alors il aurait fallu dépenser des fortunes pour qu’elle le soit. Ensemble, nous imaginons donc assez rapidement une solution en partant du principe que notre produit doit être simple à mettre en place : un gamin de 15 ans doit être capable de le faire. Rapide à déployer : moins d’une heure pour n’importe quelle société. Mondial : le logiciel doit pouvoir fonctionner dans le monde entier de la même manière. Connecté : notre logiciel doit communiquer avec les autres outils de l’entreprise (..)
Aircall a bien grandi, réaliserait environ 170 millions d’euros de CA selon les informations partagées récemment avec le management de l’entreprise. Pour remplacer un standard et permettre de faire de la prospection et du service client basique, Aircall fait le job. Pour équiper un call-center, la question mérite encore d’être débattue.
Une quarantaine d’éditeurs de solutions de téléphonie couplées à une plateforme de relation client existent en France, d'Axialys à Talkdesk en passant par Diabolocom, Ino Cx, Ringover, Genesys, Odigo, Kiamo.. Pas simple de faire un choix, entre le on-premise qui redevient d’actualité, les éditeurs pas chers, mais peu efficaces, et ceux qui nécessitent des intégrateurs. Et les Rolls ou bien encore le VW Touran, fonctionnel, 7 places, fiable, français.
En effet, comme Jonathan le raconte en page 113 de Rien à perdre, En-Contact est un magazine où l’on teste les produits, les logiciels, avant d’en parler.
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Mi-2016, un article dans un magazine spécialisé dans la relation client nous descend en flèche après un test effectué chez l’un de nos clients, à Madagascar. Ce dernier ne dispose malheureusement pas d’une très bonne connexion internet, et les résultats du test sont désastreux. L’article nous fait beaucoup de mal, et les nouveaux clients se montrent immédiatement plus frileux, car nos concurrents se font un plaisir de le partager. On doit réagir ! Nous ne pouvons plus nous voiler la face sur nos problèmes techniques et nous cacher derrière l’excuse de l’ultra croissance. Cette problématique commence à abimer sérieusement notre image.
L’article en question nous vaudra des échanges vifs avec le management d’Aircall, qui reconnaitra qu'il était fondé. L’entreprise va ensuite déployer de réels efforts pour améliorer son produit, ce qui est également raconté dans le livre.
nb: pour info, la mésaventure en question concerna à l'époque la société Vivetic, un spécialiste du BPO installé à Madagascar.
Lire Rien à perdre ?
On l’a lu. On a apprécié le ton sincère, le récit des étapes clés du parcours professionnel de l'élève turbulent et notamment l’histoire de Chalom, le commercial fou qui passe des appels de la mort qui tue, le récit du projet de départ et des aventures suivantes de Jonathan, y compris celle où l'envie de continuer sur le même rythme s'amenuise.
Chalom et les appels sortants (extraits du livre )
Je me souviens de Chalom, le tout premier commercial d’Aircall : entouré de toute l’équipe, il passe des dizaines de coups de fil. Il appelle tous ses prospects aux Etats-Unis et en particulier un qui est malheureusement injoignable. Mais Chalom ne lâche rien : il ne cesse de l’appeler (..) il lui explique la situation, lui dit qu’on peut lui faire une promotion exceptionnelle pour les fêtes de fin d’année et que s’il signe aujourd’hui, il gardera ce prix mensuel toute l’année à venir.
Il y a quelques jours, après sa lecture, j’avais indiqué à Jonathan que je ne ferais pas d’article sur son livre. Pourquoi ? Peut-être à cause de son “emballage”: en couverture et en quatrième, toutes ces punchlines sans lesquelles on pense qu'on ne va pas attirer le regard ou l'attention de l'auditoire : la valorisation de la société, le classement Choiseul etc. J’éprouve une forme de malaise avec cette auto célébration et glorification du monde des entrepreneurs qui ont "réussi” et y vont franco. Mais l'emballage ne dit rien ou pas tout du fond, parfois.
Parler de soi, rien à perdre, tout à gagner ?
La génération à laquelle Jonathan appartient a compris que parler de soi, faire parler de soi, habiller son équipe de tee-shirts verts (dans le cas d'Aircall) sur des salons, fait également partie du métier. Car, dans leur domaine, ces entrepreneurs se battent souvent contre des anglo-saxons, des éditeurs tels que Salesforce, Genesys, Twilio, etc, des as de la communication, aux poches profondes. C'est le jeu, quand on entreprend, de fabriquer des bons produits ET d'en faire parler. Quand on est parvenus à le faire et qu'on s'est rôdé à l'exercice, on conserve cette habitude. Faire parler de soi, sur Instagram, dans la presse, partout.
Alors, si vous avez un petit billet de 20 euros et l'envie de comprendre comment on peut monter une entreprise et réussir, Rien à perdre est un moment de lecture agréable et exhaustif, en même temps qu'un nouvel exemple d’une règle d’or de l’existence : rien n’est écrit d’avance. Grâce au travail, à la ténacité, on peut y arriver. Et 19,90 euros TTC, ce n'est même pas le prix de la location mensuelle d'un CRM moyen.
Rien à perdre est un livre vivant, bourré d’anecdotes comme celui d’un autre entrepreneur, qui a raconté aimer foutre le bordel: Xavier Niel. Ne cherchez dans aucun des deux une forme littéraire innovante mais une nouvelle illustration d’un truc oublié : le travail élève, le travail paye. Quand il est associé au talent, à l'audace, à l'obsession, il permet même d’aller loin. Comme Chalom, le premier vendeur d'Aircall, il faut continuer d’appeler !
Et surtout et d'abord, soixante-dix ans après un autre livre, Rien à perdre fait penser, dans quelques-unes de ses pages, à Albert Cohen et à son Livre de ma mère. Les pages que son auteur consacre à la sienne sont éclairantes. Guérit-on de l'amour, de l'absence d'amour, de la confrontation avec ce que la vieillesse et le temps infligent à nos parents ? Sur ces questions, le livre ne fait pas d'impasse, tant mieux.
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Concentrix, choisir Concentrix ?
Il y a plus d’un an, Webhelp fusionnait avec Concentrix, dans une opération qui ressemble plutôt à une absorption. Le numéro 2 mondial est l’un des très grands acteurs du BPO, devenu selon nous un peu moins agile qu’il ne l’a été à l'époque de Webhelp. C’est probablement normal, au regard de sa taille et d’un autre facteur : c’est une société cotée en Bourse, installée sur tous les continents et l’une des rares positionnées sur le marché du trust and safety, en forte croissance.
Frédéric Jousset en demeure l’un des actionnaires, même s’il n’y occupe plus de fonction de management, contrairement à Olivier Duha. Dirigé en France par Ludovic Lempire, le groupe “souffre”, comme son concurrent Teleperformance, d’une perte de valeur massive, car de nombreux analystes estiment que l’IA générative va permettre d’exécuter de nombreuses tâches gérées jusque-là dans les centres de contacts.
L’IA conversationnelle, les agents IA, une chance ou une menace pour les Teleperformance, Concentrix, Intelcia, Outsourcia, Tessi ? On consacre un grand sujet à cette question, dans le numéro 135. D'autres entrepreneurs français, aguerris, tentent de sortir le bon produit, de refaire fortune, une nouvelle fois.
Lisez, lisez sans cesse * mais quoi, en ce moment ?
Alors, lisez. Rien à perdre, Le Diable au corps ou Petite Brume, de Jean-Pierre Rochat, prix roman des romands 2019. J'évoque ce dernier livre, pourtant épuisé, parce qu'il a été écrit par un berger et paysan, suisse, qui lui aussi s'est démené. En une journée, dans la cour de sa ferme, la vie d'un paysan bascule. Tous ses biens ainsi que ses bêtes sont vendus aux enchères. “On peut dire que je me suis crevé le cul toute ma vie, j'ai bossé de bonne humeur, heureux de ce qui m'arrivait, j'ai tout misé sur ma bonne étoile et soudain, d'un coup, le petit train de mon bonheur déraille”. Le livre a été édité par les éditions d'autre part. Je me suis démené pour le dénicher et en acheter le dernier exemplaire disponible, dans une librairie de Bienne, en Suisse. J'en suis trop heureux.
Ou bien encore, si vous avez des lectures utiles, l'ouvrage de l'un des co-fondateurs de GDC, Gens de Confiance, Enguerrand Léger, sur la façon dont il a créé et amélioré son service client. Customer Happiness Manager, qu'on a bien apprécié.
Enfin, si vous désirez des informations fiables et vérifiées sur le CRM, le BPO, l'expérience client, lisez En-Contact. De temps à autre, c’est vital de disposer d’informations pas trop caviardées, trafiquées. En ce moment, elles pullulent !
Manuel Jacquinet.
*"Lisez attentivement et sans relâche. Le Littré, les articles de dernière heure, les insertions nécrologiques, le bulletin des menstrues de Queen Lisbeth. Lisez, lisez tout ce qui passe à votre portée. A moins que, comme ce fut souvent mon cas, vous n'ayez même pas de quoi vous acheter le journal du matin. Alors descendez dans le métro, asseyez-vous au chaud sur le banc poisseux-et lisez. Lisez les avis, les affiches, lisez les pancartes émaillées ou les papiers froissés dans la corbeille, lisez par-dessus l'épaule du voisin mais lisez !"
Louis Calaferte. Septentrion.