PNIJ. Ecoutes judiciaires. ChapsVision ou Thalès le bon choix pour la France ?

Une bagarre technique, d'argent et de lobbying se joue entre Thalès et ChapsVision, deux prestataires et éditeurs concurrents et français pour équiper la PNIJ, la Plateforme Nationale d'Interceptions Judiciaires. La mise en place et le fonctionnement de celle-ci aurait coûté plus de 385 millions d'euros, à fin 2024, bien plus que le montant initialement prévu.
Selon Olivier Dellenbach, le PDG de ChapsVision, son logiciel Deveryware est efficace et apprécié des policiers, habitués et familiers avec son utilisation. Selon le Ministère de la Justice, il serait plus onéreux que Thalès, qui opère actuellement et maintient la PNIJ. Olivier Dellenbach, (qui apparait en page 2 de notre liste des 100 Best Problem Solvers en France) va-t-il se payer un stage accéléré de lobbying auprès de Elon Musk, pour apprendre à gagner les marchés publics et très rentables liés à la sécurité, et dont l'attribution se décide au plus haut niveau de l'Etat ?

L'affaire n'est pas anodine puisque c'est grâce à ces outils et ces interceptions judiciaires que de nombreux trafiquants de drogues, délinquants, sont écoutés, pistés, géo-localisés. Le magazine Challenges, qui relaie fréquemment les actualités liées à ChapsVision, évoque le cas de Mohamed Amra, dont la cavale a été stoppée récemment. L'affaire intéressera, devrait intéresser les spécialistes du BPO et des call-centers, qui doivent également s'équiper d'outils de QM et d'analyse des conversations pour écouter, de façon exhaustive, les conversations et appels de vente ou de service client auxquels s'affairent les agents.
Au SAMU et dans les centres de contacts, de l’intérêt du real-time conversational speech recognition
Les techniques de speech-to-text, de conservation des données d’enregistrement, de biométrie vocale ou d’authentification de la voix sont au cœur des enquêtes judiciaires, des opérations de trading ou de la qualité des performances des SAMU.
Au terme du mandat qui a vu l’Etat confier, en 2005, à un seul prestataire privé, Thalès, la responsabilité d’intercepter et d’enregistrer les conversations liées aux enquêtes, et dont le coût global de la mission approchera les 385 millions d’euros, en 2024, il est instructif de mieux connaitre les techniques d’enregistrement, de reconnaissance vocale, d’indexation des conversations et… d’authentification vocale. Lipsadon n’est plus, cette petite entreprise qui était passée experte dans l’authentification des conversations, mais il existe en France des spécialistes de ces sujets, qui ont en sus embarqué le meilleur de l’IA : Uh-Live, Zaion, ViaDialog, Deep Transcript, Cross CRM. Dans de très nombreux cas, leurs performances égalent ou dépassent voire surclassent celles de leurs concurrentes anglo-saxonnes. Uhlive (ex Allo Média) Zaion, Callity, chacune dans son domaine ont publié des études ou benchmarks scientifiques éloquents.
La PNIJ de Thalès
« L’État a longtemps délégué la mission d’interception à des prestataires privés (Elektron, Azur Integration, Foretec, Midi System, Amecs ou SGME), dont le rôle était de fournir le matériel nécessaire aux enquêteurs et de les aider à l’utiliser. Les lacunes de ce système étaient évidentes : hétérogénéité des pratiques selon les prestataires, risques en termes de confidentialité des données et de garantie du secret de l’instruction, coûts importants pour les finances publiques (les interceptions ont coûté environ 122,55 millions d’euros à l’État en 2015 selon un rapport de la Cour des comptes de 2016). Pensée dès 2005 pour résoudre ces difficultés, la Plateforme Nationale des Interceptions Judiciaires (PNIJ) devait être la solution miracle pour rationaliser et centraliser le recours aux interceptions au sein d’une plateforme unique, renforcer la sécurité et la traçabilité de ces mesures, replacer les magistrats au cœur de leur mission de direction et de contrôle d’enquête et permettre des économies budgétaires substantielles.
Quinze ans plus tard, force est de constater que la plateforme n’est toujours pas pleinement opérationnelle et est constamment l’objet de critiques, que ce soit pour dénoncer le coût exorbitant de sa mise en place, les innombrables bugs et dysfonctionnements ou les risques en termes de sécurité et de protection des données privées. Dans un avis du 25 avril 2016, la Cour des comptes pointait que la PNIJ devait initialement coûter 17 millions d’euros pour une mise en service courant 2008. Elle ne le sera finalement qu’en 2015, pour un coût dix fois supérieur de 102,7 millions d’euros et ne sera pleinement opérationnelle qu’à l’horizon 2024 pour un coût final de 385 millions d’euros ! Alors même que la PNIJ dispose de ressources et d’une puissance considérable pour pénétrer dans la vie privée des individus, peu de renseignements sont disponibles sur son fonctionnement concret, les modalités d’accès, de conservation et d’exploitation des données recueillies. Si cette plateforme a été pensée pour faciliter le travail des enquêteurs et des magistrats, elle ne l’a manifestement pas été pour l’exercice des droits de la défense.
La PNIJ, mystérieuse inconnue, un sujet très technique
Peu d’informations sont disponibles sur le fonctionnement de la PNIJ. Instituée aux termes d’un décret laconique composé de cinq articles, cette plateforme est censée assurer une meilleure centralisation des interceptions judiciaires. La simplification des actes nécessaires à la mise en place d’une interception. La PNIJ a pour ambition de replacer les magistrats au cœur de la direction d’enquête en simplifiant, centralisant et en assurant un meilleur suivi des commissions rogatoires techniques et des réquisitions à opérateurs. Concrètement, cela signifie que le magistrat instructeur rédige et signe directement dans la plateforme les commissions rogatoires prises en application des articles 100 à 100-5 du code de procédure pénale, ainsi que les réquisitions aux opérateurs de communications sans nécessairement passer par les officiers de police judiciaire (OPJ). Il en va de même des interceptions réalisées au cours de l’enquête préliminaire ou de flagrance sur autorisation du juge des libertés et de la détention à la requête du procureur de la République (C. pr. pén., art. 74-2, al. 8, et 706-95).
La simplification de l’accès aux interceptions
Seul l’OPJ saisi sur commission rogatoire technique (C. pr. pén., art. 100 à 100-2) afin de procéder aux interceptions avait accès aux interceptions judiciaires en cours. Il retranscrivait ensuite sur procès-verbal classique les communications interceptées qu’il jugeait utiles à la manifestation de la vérité. Le magistrat instructeur ou le procureur de la République ne pouvait accéder aux écoutes directement qu’en se déplaçant au service de l’OPJ ou en lui demandant une copie de travail. La PNIJ simplifie cette procédure en permettant aux magistrats d’avoir directement accès aux écoutes depuis la plateforme et de pouvoir les consulter en direct. L’OPJ rédige par ailleurs directement ces procès-verbaux de retranscription dans la plateforme. En cas de conversation dans une langue étrangère, l’article R. 40-47 du code de procédure pénale prévoit que les interprètes-traducteurs puissent avoir accès, sur autorisation de l’OPJ et pour une durée limitée, aux communications électroniques désignées par ce dernier.

Les données de reconnaissance vocale. L’article R. 40-46 du code de procédure pénale prévoit ainsi la possibilité d’enregistrer les données de reconnaissance vocale de l’utilisateur et de les conserver jusqu’à la date de clôture des investigations en matière de communications électroniques et transmission de la procédure à l’autorité compétente (C. pr. pén., art. R. 40-49). La PNIJ entérine le recours aux méthodes d’authentification vocale comme élément de preuve dans le cadre de la procédure pénale, et ce alors même que les spécialistes considèrent que la voix ne peut être considérée comme une donnée biométrique comme les autres en l’état des techniques actuelles, Au procès du meurtre d’Elodie Kulik, entre effroi et incertitudes, France Inter, 29 nov. 2019).
Alors que la PNIJ est toujours en développement depuis sa mise en service en 2015, le ministère de la justice, via l’Agence nationale des techniques d’enquêtes numériques judiciaires (ANTENJ), a déjà lancé un appel d’offres afin de préparer le système qui remplacera la PNIJ à l’horizon 2024, baptisé système d’information des techniques d’enquêtes numériques judiciaires (SITENJ). Un rebondissement de plus pour un fiasco judiciaire qui a tout du scandale d’État »
Sources utilisées pour une partie de l'article: Dalloz. Me Clarisse Serre et Charles Evrard.
Photo de Une : A l'ANTS, l'Agence Nationale des Titres Sécurisés, à Charleville-Mézières, ou l'on pratique le “quality monitoring” © crédit Edouard Jacquinet. L'ANTS collabore avec Intelcia pour sa relation clients et usagers.
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