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Paul Trommetter (KapitalBrand), "dealer" de pages Wikipédia

Publié le 20 avril 2022 à 14:22 par Magazine En-Contact
Paul Trommetter (KapitalBrand), "dealer" de pages Wikipédia

Paul Trommetter, directeur général de KapitalBrand, se présente comme un expert de la e-réputation. Il fait commerce, depuis des années, auprès d’entrepreneurs, de personnalités, de notices Wikipédia qu’il s’engage à faire rédiger et publier grâce à son savoir-faire. Mais son commerce est devenu plus compliqué depuis que l’encyclopédie en ligne a repéré ses pratiques commerciales assez agressives, son manque de rigueur et l’a exclu des contributeurs agréés. Paul Trommetter, et c’est là que le bât blesse, continue pourtant à vendre ses missions, à encaisser des acomptes et à ne pas réaliser le travail qu’il fait rémunérer. 

 

Qui est Paul Trommetter ?

Sur internet, il répond aux noms de Paul Trommetter ou Paul Metter et sur LinkedIn, il se présente comme directeur du Développement de KapitalBrand ou président de KapitalBrand ; il serait basé à Alfortville, à Casablanca-Settat ou à Bouskoura. Le spécialiste du capital immatériel – « confidentialité et résultats garantis » – affiche en photo de profil une balle et un club de golf en gros plan sur son compte Facebook. Le dernier post de l’intéressé, qui date du 9 décembre 2021, est une photo d’un manoir français environné d’un gazon parfaitement tondu et d’une nature idéalement bichonnée. Parmi les photos visibles, on aperçoit un homme aux cheveux grisonnants coiffés en arrière dans un café bling bling aux lumières tamisées, un cigare effilé dans une main et dans l’autre une flûte de champagne, toutes choses susceptibles de mettre en confiance le prospect crédule. La photo horodatée, postée en 2019, daterait de 2006… Si l’on continue à se fier à ce profil, il aurait fait son droit à Assas, serait passé chez Auchan, Bouygues, ABC Television et TF1, dans des postes de direction, avant de s’expatrier au Maroc pour y fonder la galaxie d’agences d’e-réputation : KapitalBrand, wiki-pro, be-wiki, PMC-International et WEBFORCES – la moitié répertoriée en signature de ses mails avec des liens vers les sites dédiés. Il couplerait ces activités avec une agence immobilière baptisée Luxury21 Maroc dont le site liste trois biens à l’achat et un studio de 59m2 en location. 

 

Ses pratiques commerciales 

Pour trouver ses clients, Paul Trommetter, qui opère maintenant comme directeur de l’entité WEBFORCES, démarche essentiellement des personnalités évoquées dans les médias. Il les sollicite sur LinkedIn en formulant des propositions tarifaires pour la rédaction d’une page Wikipédia. « Êtes-vous éligible pour figurer dans Wikipédia et bénéficier d’une forte notoriété ? Indiquez le nom personnel, associatif ou business pour votre article Wikipédia. www.be-wiki agence de relations publiques est contributeur rédacteur Wikipédia : [adresse mail, non recopiée] WhatsApp : [numéro, non recopié] ». Propositions tarifaires, qui, une fois que le contact a été noué, sont susceptibles de voir leur montant diminuer. Les signatures de mail sont censées là encore rassurer – « messagerie sécurisée : CITADEL - THALES » y lit-on. Après l’acompte encaissé auprès du poisson qui a été ferré, via un compte bancaire N26*, Paul Trommetter se met plus ou moins aux abonnés absents. Le client pense que les contributeurs et les rédacteurs travaillent et que sa fiche Wikipédia sera bientôt validée, acceptée par l’encyclopédie. Que nenni. Deux ou trois mois après le début de la mission, parfois il y a un couac et la fiche est refusée, avortée par les modérateurs de Wikipédia. La société et ses faux-nez, c’est-à-dire les rédacteurs chargés de rédiger des pages pour son compte, sont persona non grata depuis mars 2021, date à laquelle elle a été bannie de l’encyclopédie en ligne. Une page répertorie les nombreux démêlés de l’entreprise avec les administrateurs/modérateurs qui ont précédé cette mise au ban. Ces pratiques – création de contenus à des fins promotionnelles qui contreviennent aux règles d’une encyclopédie alimentée normalement par des contributeurs bénévoles – sont courantes sur Wikipédia et parfois difficiles à identifier. Les contributions rémunérées sont acceptées pourvu qu’elles soient déclarées comme telles et que l’affiliation soit renseignée. 

 

De quoi est-il passible ?

La myriade d’alias, la galaxie de sites, les acomptes encaissés pour des promesses qui sont en réalité intenables : tous les éléments caractérisant un délit d’escroquerie semblent bel et bien présents. Bien véniel, somme toute, puisqu’il ne s’agit que de pages Wikipédia et des zones franches de l’internet où les règles sont parfois nébuleuses. Il arrive également que des pages créées par KapitalBrand et des comptes affiliés aient été jugés conformes aux règles en vigueur sur le site et donc conservées et toujours en ligne. Le ratio est de 13 pages conservées pour 24 pages avortées ou supprimées. 

 

Qui travaille pour Paul Trommetter et KapitalBrand ? 

Wikipédia a dû établir au fil des années certains garde-fous pour se prémunir des manœuvres suspectes, canulars ou propagande et désinformation plus ou moins flagrante ou contenus qui contreviennent aux règles concernant les conflits d’intérêt ou la neutralité de point de vue. KapitalBrand fait donc appel à des contributeurs freelance : la page Wikipédia qui répertorie les agissements de la firme fait état de 8 sous-ensembles et 3 comptes de contributeurs ayant été identifiés comme opérant pour le compte de KapitalBrand et qui ont été bannis. Ils se subdivisent en une quarantaine de comptes différents.

 

La réponse de Paul Trommetter 

Sollicité par nos soins, Paul Trommetter évoque « des administrateurs qui sont sans doute animés d’une idéologie négative vis-à-vis des élites intellectuelles françaises. Ces courants de pensée plus proches d’une guerre de la communication que de l’éthique encyclopédique sont très fréquents actuellement sur les publications en Français. Nous allons transmettre un rapport à la Fondation Wikipédia. Nous n’avons pas ces problèmes sur les pages anglophones sans mieux supervisées par le US… » En résumé, du gros enfumage pour se dédouaner. KapitalBrand et WEBFORCES sont identifiés et bannis de Wikipédia depuis mars 2021 et Paul Trommetter le sait très bien lorsqu'il démarche des clients et s'engage par des lettres de mission.

 

La question subsidiaire : quels sont les critères d’admissibilité d’une page Wikipédia ?

Les articles propagandistes ou publicitaires sont prohibés et toute information publiée sur Wikipédia doit être la retranscription ou la synthèse de publications fiables sur le sujet considéré. D’où l’importance des sources secondaires indépendantes et vérifiables. La publication d’articles obéit également à un critère de notoriété. Celle-ci implique une couverture significative et durable, laquelle permet d’extraire l’information nécessaire à la rédaction de l’article, des sources, la fiabilité de celles-ci, l’absence de conflit d’intérêt et de proximité du contributeur avec le sujet, réglé par un consensus quant à la pertinence générale de l’article. Ces règles qui régissent l’encyclopédie en ligne, si elles sont d’une clarté limpide en théorie, le sont moins dans la pratique et la ténacité de ses administrateurs/limiers n’empêchent pas les erreurs ou une forme d’arbitraire. La page Wikipédia consacrée par exemple à l’Affaire du Bois Bleu (l’Affaire Monique Case), qui retrace une quasi-erreur judiciaire significative des années 60, dénomme le coupable Ernest Rodrigues alors qu’il s’appelle en réalité Rodric. Cette erreur se trouve reprise dans les articles récents mentionnant l’affaire à l’occasion de la sortie du film Deux Femmes. En cas d’admissibilité qui fait débat, les avis des personnes ayant un compte avec moins de 50 contributions ne sont pas pris en compte et un contributeur ayant 500 contributions peut choisir ultimement de clore ou non la page. On voit comment l’ancienneté et le nombre de contributions – qui consistent parfois à changer des virgules – peuvent se transformer en capital bien matériel. 

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La rédaction d’En-contact

Photo de Une tirée du film “Rendre la justice” de Robert Salis : © Eden Films

 

*On se souvient que N26, après avoir été condamnée par le régulateur bancaire allemand pour ne pas prêter assez attention aux manœuvres de blanchiment, avait quelques mois plus tard brusquement bloqué ou clôturé le compte de certains de ses clients en invoquant la lutte contre le blanchiment.

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