Les instituts de sondage agissent bien comme des call-centers selon le Conseil d’Etat
Les études et les sondages d'opinion sont encore souvent réalisés par téléphone, via des campagnes d'appels sortants, ce qui fait ressembler furieusement leur activité à celle des Armatis, Teleperformance, Concentrix et autres plateformes téléphoniques. Ariane études, basé à Madagascar , par exemple, est un spécialiste du sujet, des outils CATI, Askia etc. Dans ce cas, les robots d’appels utilisés parfois par les 2700 instituts de sondage français doivent respecter le plan de numérotation de l’Arcep, a indiqué le Conseil d’Etat dans sa décision, rendue le 6 juin. Ce dernier a retoqué le Syntec Conseil, qui entendait se prévaloir de la spécificité de son métier pour ne pas être contraint par les mêmes règles que les centres d’appels, notamment sur le plan de numérotation.
Lire ici le contenu et les fondements de la décision du Conseil d'Etat. Ainsi que son impact sur le secteur et ses pratiques en matière de production des études (les terrains)
L'argumentation du Syntec Conseil, tel que le syndicat l'avait développée, en appui de sa requête.
Depuis 2022, Syntec Conseil demandait l’exclusion des appels émis dans le cadre de la réalisation de sondages et études du dispositif prévu par l’ARCEP. Ou à défaut que cette exclusion soit explicitement appliquée à l’utilisation du « prédictif » d’appels avec numéro « classique appartenant au centre d’appel et joignable si rappel », par les professionnels des études et sondages adhérant à la Charte professionnelle relative à la réalisation d’études et de sondages par téléphone. Cette charte encadre les horaires, jours d’appel et le nombre d’appels par jour, limitant ainsi fortement les effets de dérangement éventuel des personnes contactées.
Le secteur des études et des sondages représente plus de 2700 entreprises en France, un peu plus de 2 milliards d’euros de chiffre d’affaires, de nombreuses PME, une vingtaine de groupes internationaux, français ou non. Le secteur emploie 30.000 personnes, dont 20.000 enquêteurs qui travaillent soit en face-à-face dans les régions, soit depuis des plates-formes téléphoniques centralisées pour recueillir des données (recherche des personnes à interroger et passation du questionnaire).
1. Les études et sondages : une réalité radicalement distincte de la prospection commerciale sous toutes ses formes
En application de l’article 1er de la loi n° 77-808 du 19 juillet 1977 relative à la publication et à la diffusion de certains sondages d’opinion, « un sondage est, quelle que soit sa dénomination, une enquête statistique visant à donner une indication quantitative, à une date déterminée, des opinions, souhaits, attitudes ou comportements d’une population par l’interrogation d’un échantillon. »
Les études de marché, sociales et d’opinion ont pour objectif de mesurer et d’analyser, sur la base d’outils statistiques et de méthodes issues des sciences sociales, le comportement des consommateurs et les opinions des citoyens sur des questions politiques, économiques et sociales ; elles contribuent à l’information des institutions publiques, des entreprises et de l’opinion publique et constituent un outil d’aide à la décision ; elles se distinguent du marketing direct, du marketing publicitaire ou de la qualification de fichiers, qui fournissent des informations individuelles à des fins commerciales.
Les études et sondages réalisés par téléphone ne s’apparentent en aucun cas à des prospections commerciales visant à la conclusion d’un contrat de vente de biens ou de prestations de services ou à la promotion de biens ou de prestations de services.
Les professionnels français des études et des sondages respectent depuis 1948 un code déontologique appliqué au niveau mondial via le code international ICC/ESOMAR, qui vise à garantir : - la transparence quant aux informations qu'ils comptent collecter, à la finalité pour laquelle
elles seront collectées, et avec qui elles peuvent être partagées et sous quelle forme ; - que les données personnelles utilisées dans la recherche sont soigneusement protégées contre tout accès non autorisé et ne sont pas divulguées sans le consentement de la personne concernée ;
- que les chercheurs se comportent de manière éthique et ne font rien qui puisse causer un préjudice à une personne concernée, ou nuire à la réputation des études de marché, sociales et d’opinion.
2. Le téléphone est nécessaire à la réalisation de certaines enquêtes
Malgré l’essor des panels onlines et de l’analyse des réseaux sociaux, l’utilisation du téléphone reste nécessaire dans un certain nombre de cas spécifiques, notamment pour sa capacité à répondre aux exigences de la statistique publique en termes de joignabilité. Parmi ces cas spécifiques :
- des études sur des sujets sensibles nécessitant l’interaction avec un enquêteur (opinion sur des sujets particuliers, études sur la santé ou sur certaines pratiques de type addiction) pour garantir l’anonymat des réponses et veiller à la bonne compréhension des questions et l’honnêteté des réponses : par exemple le baromètre Santé de Santé Publique France (25 000 interviewés à partir de numéros fixes et mobiles générés) ;
- des études visant à interroger l’exhaustivité d’une population, de type recensement, où les personnes réticentes à répondre à un questionnaire en ligne sont invitées à le faire par téléphone : par exemple le Recensement Général Agricole réalisé pour le compte du ministère de l’Agriculture, 340 000 personnes à interroger, dont 60% le sont par téléphone ;
- des études sur des cibles de population peu enclines à répondre à des questionnaires en ligne (ex : les 75 ans et +) ; ces études sont souvent le fait d’acteurs publics dans le cadre d’évaluation de projets ou de politiques mises en place sur ces populations particulières ;
- certaines commandes publiques pour lesquelles des méthodologies d’enquête par téléphone sont imposées par les services statistiques de l’administration ; selon les règles de fonctionnement édictées par le Code des Marchés Publics, il n’est pas possible aux instituts de déroger à cette contrainte au risque de voir leurs offres considérées comme non recevables ;
- les études visant des populations particulières pour lesquelles le téléphone offre une garantie de joignabilité incontournable : cohortes Pôle Emploi pour le suivi des chômeurs, relances et interviews d’allocataires de la Caisse d’Allocations Familiales,
- les études de cadrage de certains marchés, en particulier du marché de la téléphonie : il est nécessaire de joindre un échantillon représentatif des abonnés au téléphone basé sur des méthodes aléatoires d’extraction de numéros de téléphone dans les annuaires publics, démarche techniquement non réalisable par une enquête en ligne (il n’existe pas de répertoire exhaustif d’adresses mail).
3. La qualité des sondages réalisés par téléphone impose d’optimiser la joignabilité
La qualité statistique des échantillons téléphoniques bien gérés impose des règles et contraintes fortes, notamment sur l’optimisation de la joignabilité des numéros de téléphone : il faut donner à tout numéro de téléphone la même probabilité d’inclusion dans l’échantillon final. Pour cette raison, les appels d’offres concernant la grande majorité des études sur la statistique publique intègrent des règles de diversification des horaires d’appels et souvent des taux d’insistance élevés (nombre de tentatives).
Au cours des années, en collaboration avec les principaux instituts, ces règles sont devenues un standard reconnu par les statisticiens des ministères ou organismes donneurs d’ordre. Elles sont systématiquement validées pour chaque étude par le comité du Label afin d’obtenir le caractère d’Intérêt Général et pour certaines ont même un caractère obligatoire. Elles respectent bien entendu toutes les règles Esomar /Syntec et le RGPD.
Pour les mêmes raisons, ces méthodes sont utilisées pour des études de la sphère privée, études d’audience média (TV, Internet, radio, presse, affichage), étude de satisfaction clientèle, études d’opinion.
4. La loi a donc prévu un statut et un cadre propres aux sondages, distinct de celui applicable au démarchage téléphonique sous toutes ses formes
Pour toutes les raisons évoquées plus haut, la loi n° 2020-901 du 24 juillet 2020 visant à encadrer le démarchage téléphonique et à lutter contre les appels frauduleux prévoit, en son article 3, un régime différent pour les appels émis à des fins de réalisation d’études et sondages. Selon ce régime particulier, « tout professionnel qui contacte par téléphone une personne en vue de la réalisation d'une étude ou d'un sondage doit respecter les règles déontologiques élaborées et rendues publiques par les professionnels opérant dans le secteur des études et sondages. Ces règles précisent notamment les jours et horaires ainsi que la fréquence auxquels les appels téléphoniques aux fins de réalisation d'études ou sondages sont autorisés. »
Ces règles font l’objet d’une charte professionnelle relative à la réalisation d’études et de sondages par téléphone, dont l’élaboration en coordination avec la DGCCRF est sur le point d’aboutir en février 2022.
5. Syntec Conseil demande l’exclusion des appels émis au titres des études et sondages du dispositif prévu par l’ARCEP
Syntec Conseil demande donc qu’en cohérence avec toutes les mesures prises jusqu’ici pour protéger les consommateurs du démarchage téléphonique abusif (Bloctel, loi du 24 juillet 2020…), les appels émis dans le cadre de la réalisation de sondages et études soient exclus des dispositifs en consultation.
En effet, les mesures mises en consultation, applicables sans aucune distinction aux études et sondages comme au démarchage téléphonique, nuiront à la réception des appels émis au titres des études et sondages, donc à leur fiabilité et à la qualité de certaines statistiques publiques.
Est notamment prévue l’interdiction de l’utilisation de numéros territorialisés pour les appels ou messages émis par des systèmes automatisés, étant précisé « que l’assistance d’une machine à composition de numéros de téléphone, utilisée notamment en centre d’appels, peut ne pas être considérée comme relevant d’un système automatisé d’appels si ladite assistance n’émet les appels qu’individuellement, sans parallélisation possible, et sur la commande explicite d’un humain pour chaque appel ». Autrement dit :
- si le système d’appels est un « progressif » (l’enquêteur ne dispose d’aucune information sur l’interviewé avant le lancement de l’appel, la fiche de renseignement apparaît au moment du décroché), l’utilisation d’un numéro localisé serait possible ;
- si le système d’appels est un « prédictif » (le système compose plus de numéros de téléphone que d’enquêteurs présents, et grâce à un algorithme statistique s’adapter en fonction du nombre de décrochés, du temps moyens des interviews et du nombre d’enquêteurs disponibles pour recevoir des appels), l’utilisation d’un numéro localisé serait interdite.
Syntec Conseil souligne la complexité de mise en œuvre de cette distinction et s’interroge sur la capacité des opérateurs à vérifier la nature des systèmes d’appel. Une application sans distinction pour la réalisation de sondages serait injustifiée sur le fond (confusion entre les études et sondages et la prospection commerciale) et négative à plusieurs titres :
- les études en « prédictif » seraient identifiées comme du démarchage, ce qui se traduira par un taux de décroché inférieur et un renchérissement des coûts de production des études pour les donneurs d’ordre qui, rappelons-le, sont souvent publics pour ces études ;
- les méthodologies d’appel imposées par les cahiers des charges des appels d’offres, notamment publics, seront plus difficiles voire impossibles à tenir alors que l’objet même de l’étude peut l’imposer ;
- cette perte de compétitivité induit des risques de délocalisation et donc de pertes d’emplois pour compenser les surcoûts induits, d’autant plus dans un contexte de fragilité globale du secteur des études, tel que décrit par l’étude INSEE de janvier 2022 ;
- seules les études en « progressif » pourraient se faire en numéro territorialisé, mais elles induisent par leur nature même une perte de productivité, avec les mêmes conséquences, liée cette fois au temps d’attente entre les appels décrochés.
Pour autant :
- les consommateurs ne seront en rien protégés des fraudes et des abus, sachant que les acteurs malveillants continueront à insister sur les appels non décrochés ;
- l’impact environnemental, dont l’ARCEP est désormais en charge du suivi, sera globalement accru par l’allongement des temps de production des études et du temps passé sur les centres d’appel.
En une, Bernard Sananes ( Elabe) sondeur comme ses collègues et confrères de BVA, d'Ipsos, de l'Ifop, Kantar, Médiamétrie, Opinion Way..
Le Syntec Conseil, joint par nos soins n'a pas désiré commenter la décision.
Manuel jacquinet.