La directrice du centre d’appels exfiltrée par des gardes du corps
Ex-directrice d'un centre d'appels de Teleperformance en Martinique, Hélène Campourcy, raconte la vie parfois rocambolesque de DGA de filiales.
"En 2004, je prends la direction générale d’une entreprise dans les caraïbes, en Martinique, concernée par un transfert de personnel. 160 salariés sont concernés, sur un territoire que je ne connais pas car je n’y avais jamais vécu mais en même temps, l’endroit ne m’est pas totalement inconnu car mes origines paternelles sont antillaises. Les Antilles font donc un peu partie de ma culture.
Ces trois ans en Martinique ont été une fantastique expérience. Coté perso, week-end à la plage sous les cocotiers, baignades magnifiques en mer des Caraïbes; mon dernier garçon a vu le jour sur l’île de la Martinique.
Mais j’ai également connu l’envers du décor sur un territoire où la figure du patron peut raviver des souvenirs d’une autre époque. Je passe les deux premières années sans trop de difficultés même si l’emprise syndicale locale a une forte influence dans les entreprises.
Début 2007, les partenaires sociaux émettent des revendications qui vont au-delà du raisonnable. Plus les négociations avancent, plus ils révisent leurs demandes et augmentent le niveau de leurs exigences démontrant une volonté certaine d’aller à la rupture.
Après plusieurs semaines de discussion, en avril 2007, ils déclenchent une grève en bloquant l’activité des sites.
Au fil des jours, les tensions, palpables montent crescendo. Les locaux sont envahis.
Les menaces deviennent plus régulières et de plus en plus violentes. TP décide alors de renforcer ma sécurité. Me voilà dotée de deux gardes du corps, telle une star de cinéma ou une personnalité politique, à une seule différence : mes sbires ne portent pas le costume des Men in Black.
Les grèves quotidiennes continuent, les discussions également jusqu’au jour où je suis obligée de m’enfermer à clé dans mon bureau pour me protéger. Mes gardes du corps m’aident à quitter l’entreprise. Ayant dû tout laisser sur place, je suis obligée de retourner dans l’entreprise. Pour plus de sécurité, les gardes du corps me font passer hors des sentiers battus. Me voilà partie, en talons aiguilles et petite robe, à travers la bananeraie, pour rejoindre l’entreprise ! Un genre d’expédition que l’on ne peut pas oublier.
Le lendemain, les locaux sont définitivement envahis et occupés jour et nuit par une trentaine de salariés. Très rapidement, le DRH de TP France, Philippe Lemauff, me rejoint pour m’aider à faire front et m’accompagner dans le processus légal applicable à ce cadre.
Tous les matins, nous arrivons dans l’entreprise avec un huissier de justice pour faire des sommations aux grévistes qui occupaient les locaux. On y croise d’ailleurs leurs enfants. Les repas sont pris sur place, une TV est installée ainsi que des chaises longues…
Mon second rituel de la journée consiste à me rendre à la police pour porter plainte. Les policiers qui finissent par me connaître, m’accueillent d’un :
« Bonjour Madame Campourcy, alors on fait comme hier ? ». Puis très rapidement, tous les deux jours pratiquement, les audiences s’enchainent en référé au tribunal pour tenter de récupérer l’accès aux locaux de l’entreprise.
C’est à cette occasion que j’ai appris les méthodes d’exfiltration par mes gardes du corps et comment protéger mon corps en étant prise en sandwich entre deux « armoires à glace » !
Je prends l’habitude de sortir du tribunal en femme sandwich ; une voiture avec un troisième garde du corps au volant m’attend. Je suis poussée dans la voiture avec les méthodes que connaissent bien ces Security Guards.
Puis Sandrine Knellesen me rejoint, en remplacement de Philippe Lemauff. Lors d’un référé, nous obtenons l’obligation pour les organisations syndicales de se remettre autour de la table.
Commencent alors les discussions sous la présence d’un médiateur. Tous les soirs, Sandrine débriefe Patrick Dubreil de la situation et l’on revisite la stratégie du lendemain.
Deux jours après la reprise des discussions, nous sommes séquestrées et exfiltrées par les gardes du corps. Nous courrons toutes les deux jusqu’à ma voiture, située à proximité de la sortie pour évacuer les locaux. Mais les gardes du corps qui tentent de garder les portes fermées, tant bien que mal, lâchent sous la pression de trente personnes qui se mettent à nous courir après sur le parking de l’entreprise.
Je démarre la voiture, mais nous sommes très vite encerclées par les grévistes qui nous empêchent d’avancer. La violence est telle que les gardes du corps sortent les brassards de haute sécurité pour alerter les forces de l’ordre en cas d’intervention. À ce moment-là, je suis d’un calme olympien et d’un self control que je n’aurai jamais imaginé.
J’appelle la police pour leur demander d’intervenir en urgence expliquant toute la situation (où je suis, ce qui se passe…). Le policier m’explique très poliment que je suis sur un lieu privé et qu’il n’est pas possible pour eux d’intervenir. Mais que je peux lui envoyer un fax de demande. Alors, j’éclate de rire (nerveux sûrement) et lui dis, « Monsieur, j’ai une question pour vous. Avez-vous un fax dans votre voiture? Il me répond, « Euh, non ! », et je lui réponds, « Alors, Monsieur, vous comprendrez à quel point il m’est difficile de vous en envoyer un ! » La conversation finit par un « Je suis désolé, Madame, mais les équipes sont en intervention ». Seule dans la voiture, je décide d’appeler l’Huissier de justice. C’est elle au final elle qui nous sortira de cette situation, les grévistes ne voulant pas se faire prendre en infraction.
Les discussions n’avancent plus. Le tribunal finit après plusieurs audiences à demander aux occupants de quitter les locaux de l’entreprise. Le matin suivant, comme chaque matin, j’arrive à l’entreprise pour mon rituel de sommation matinale. Mais la situation a changé. Je trouve devant la grille de l’entreprise des quimbois (des objets déposés lorsque l’on vous jette des sorts) et un comité d’accueil, une quinzaine de Tontons Macoutes, venus en renfort de l’organisation syndicale locale, habillés de doudounes par plus de 35°C, doudounes sous lesquelles ils ont l’habitude d’avoir des « coupes-coupes» (machettes) ou des armes.
J’appelle l’huissier. Les grévistes et leurs amis sont avertis par des « sentinelles » organisées en avant-poste. En l’espace de 30 secondes, les Tontons Macoutes déposent leurs doudounes avec les matériels dans les coffres des voitures et s’éparpillent. Le site se plonge dans le calme comme s’il ne se passait rien…
Teleperformance décide de se retirer des Caraïbes. De mon côté, je rentre en métropole et m’installe à Toulouse, qui est à l’époque un foyer social important des salariés SFR transférés chez Infomobile, filiale de Teleperformance. Dès le premier jour, je suis accueillie par un comité d’accueil, des grèves à répétition sur le parvis et des discussions avec les organisations syndicales. Mais après ce que j’avais vécu, ça m’a semblé une barbecue party.
Depuis, à chaque fois que j’ai à négocier avec des partenaires sociaux, j’y vais en Stan Smith ! On ne sait jamais, autant être prévoyante !"
La première partie du portrait d'Hélène Campourcy, ici, dans la série: J'ai tant appris rue Firmin-Gillot.