Depuis vingt ans, il fréquente Elisabeth Borne
Une: Pierre Bédier, président du Conseil départemental des Yvelines, et Elisabeth Borne.
Il fallait s'armer de patience, ces derniers jours, pour parvenir à s'emparer et acheter La secrète, la biographie consacrée à Madame la première ministre, Elisabeth Borne, en rupture de stock dans de nombreuses librairies. Que vaut le livre de Bérengère Bonte, qu'y apprend-on de secret, qui justifierait l'action en justice intentée et est audiencée demain ?
L'ex-patronne de la RATP a assigné en justice l'éditeur du livre, l'Archipel, demandant à ce que des passages, a priori nombreux, et concernant “sa santé, son orientation sexuelle et sa sa vie familiale” soient ôtés dans toute nouvelle édition. On a sollicité Gilles Dansart pour comprendre et recueillir son point de vue sur le livre et cette requête: n'est-il pas l'un de ceux qui la fréquentent depuis longtemps, 20 ans?
J'ai lu le livre, l'ai trouvé rigoureux et intéressant. Et vous ?
Gilles Dansart : Je suis de votre avis: c'est un travail minutieux et qui n'a pas dû être simple car Elisabeth Borne, bien qu'elle occupe des fonctions importantes depuis 2015 déjà, ne se laisse pas approcher au point qu'aucun livre ne lui avait été jusque-là consacré. Or, elle est tout de même la première ministre. L'auteure est parvenue à décrire justement et sans oubli les cinq points qui me semblent marquants dans le personnage: son rapport au travail, sa puissance de travail, son évolution personnelle, ses réflexes de techno et son sens politique, que beaucoup lui contestaient.
Du fait de votre métier et de votre spécialisation dans les questions de transport, vous l'avez rencontrée il y a longtemps déjà, et êtes l'un des rares journalistes dans ce cas. Vous apparaissez d'ailleurs à de nombreuses reprises dans la biographie. Que discernez-vous derrière cette assignation, vous étonne-t-elle ?
GD: J'ai en effet commencé à la cotoyer et solliciter lorsqu'elle a pris le poste à la direction de la stratégie de la SNCF, en 2002. Je crois qu'Elisabeth Borne a toujours eu le désir de maitriser les évènements et les choses autour d'elle. Or, en acceptant de participer à ce livre, elle s'est un peu dévoilée et probablement découvre-t-elle qu'en ouvrant cette porte à l'auteure et celle-ci ayant fait son travail, apparaissent des faits, des paroles ou comportements qui sont désormais consignés et dont probablement elle n'a pas trop envie qu'on se souvienne. Si elle a eu un jour un compagnon, qu'elle a ensuite embauché à la RATP, lorsqu'elle la dirigeait, est-ce normal, répréhensible? Je ne le sais pas, je ne suis pas juriste mais ça peut troubler. Elle est par ailleurs très exigeante dans le travail et impressionnante par ses capacités intellectuelles, mais ceci s'accompagne aussi parfois de “blessures” infligées à ses collaborateurs. Tout ceci est décrit, ainsi que quantité de choses positives, mais elle n'a pas la maitrise de supprimer ce qui l'ennuie dans ce récit. Le piège s'est refermé. Voilà mon explication.
Vous l'avez souvent interviewée et parfois -et ça fait partie des moments passionnants du livre -au moment où sa carrière au plus haut niveau de l'Etat prend un nouveau tournant (lorsqu'elle reçoit l'appel d'Alexis Kohler, qui lui annonce sa prochaine nomination en tant que ministre). Ce sont des moments qui permettent probablement de cerner un peu mieux une personnalité. Que pensez-vous d'Elisabeth Borne ?
GD: J'ai du respect pour son itinéraire personnel, sa réussite au mérite, sa puissance d'analyse et son sens de l'Etat. Moins, je dois le dire, pour ce trait de sa personnalité relatif à son extrême dureté avec des collaborateurs qui ne sont pas sortis indemnes de quelques séquences humiliantes.
Ce qu'il est possible et légal de raconter sur la vie privée d'une personne, dans une biographie: Cette question est au coeur du débat puisque l'entourage de la cheffe du gouvernement a estimé que ces informations sur la vie privée “ne peuvent s'inscrire dans le périmètre d'une légitime liberté d'information du public”. Me Zylberstein, avocat et également responsable de collections dans l'édition, a partagé son point de vue en 1998, à l'annonce de l'interdiction du synopsis de la biographie d'Alain Delon par Bernard Violet.
“ Les juges sont-ils de plus en plus favorables au respect de la vie privée ? Jean-Claude Zylberstein: Le message implicite d'un certain nombre de décisions récentes montrent que les juges dénient aux éditeurs la possibilité de faire le moindre bénéfice sur l'image ou la vie privée des personnalités. Le danger de ce type de décision, c'est d'aboutir à la notion de biographie autorisée” (Libération, entretien accordé à Odile Benyahia-Kouider).
La biographie d'Elisabeth Borne est donc devant la justice trois semaines à peine après sa sortie, le 4 mai. Quelle que soit l'issue judiciaire, it's worth reading pour qui s'intéresse aux transports, aux jeunes femmes volontaires, aux traces que laisse l'enfance, aux vertus du shopping ! (Voir plus bas). 5 avis clients, disparates, sur Amazon, aucun sur Fnac. com, à date.
Propos recueillis par Manuel Jacquinet.
Gilles Dansart est journaliste spécialisé et éditeur de Mobilettre. Photo de une: avec Pierre Bédier, le 23 Juin 2016: signature de la convention de collaboration entre la RATP et le Conseil départemental des Yvelines. Crédit: Nicolas Duprey
“Allez, Elisabeth, viens on va zoner!” A presque quatre-vingts ans, Mariele Rogan adore lancer cette proposition à sa vieille copine de soixante et un ans. Première ministre ou pas, elle sait, depuis trente ans qu'elles se connaissent, que l'idée de faire les boutiques fait partie des activités qui détendent le plus la Secrète. C'est simple, elle adore ça. Le verbe un peu désuet, vieil argot de banlieue, ajoute à la délicieuse impression de s'encanailler avec la cheffe du gouvernement. “Zoner”, c'est traîner, déambuler et regarder les vitrines. Bref, faire du shopping (..). Le samedi, Hélène Hamelle reçoit parfois des textos de la Première ministre: “Redites-moi le nom de la boutique dont vous m'avez parlé? ”. Un jour, sortant d'une interview à la Maison de la Radio, à l'époque de la rue de Grenelle, la ministre et sa conseillère presse s'étaient arrêtées rue de Passy, dans ce 16ème arrondissement qu'elle exécrait adolescente. Elles étaient ressorties avec une robe qu'elle avait déjà, mais dans un autre couleur. Un joli moment de rigolade.
Extraits du livre, pages 191 et 193.