De Accenture à Teleperformance, les spécialistes de la modération de contenus ( pour Facebook, Meetic, TikTok, Twitter etc)
Les récentes déclarations d'Elon Musk, nouveau propriétaire de Twitter, sur la nouvelle politique de modération, allégée, que ce dernier désirerait mettre en place, constituent une bonne occasion de mettre le focus sur une industrie et des acteurs très secrets, nécessaires, dont les pratiques, les tarifs et les pratiques de management des personnels affectés sont peu connus.
Le magazine En-Contact consacrera un hors-série spécial à cette nouvelle industrie du BPO, où l'on trouve de nombreux acteurs issus des centres de contacts (Majorel, Teleperformance, Netino by Webhelp, Telus International) mais également des géants de l'outsourcing, tel Accenture.
En Colombie*, où Teleperformance opère notamment pour TikTok, les conditions de travail sont-elles dangereuses pour les collaborateurs, comme les syndicats, peu présents, les décrivent ou bien adaptées à “ ce métier difficile et nécessaire, comme le sont ceux de policier, d'infirmière ” comme nous l'a partagé le fondateur de Teleperformance, Daniel Julien, sollicité par nos soins, après qu'un article du Times a évoqué des conditions de travail dangereuses pour la santé ? Le numéro 1 mondial emploierait dans le pays plus de 45 000 personnes.
Lorsqu'on doit regarder 900 vidéos par jour, consacrer à chacune d'elles environ 15 secondes, qu'on peut être amené à voir, lire, scruter le pire de l'humanité (voir plus bas) pour les plus grandes entreprises ( Meta, Discord, YouTube), la responsabilité de ces métiers et fonctions complexes est-elle seulement à trouver chez les prestataires, ou bien au sein des groupes de médias et géants des réseaux sociaux ou .. dans la nature humaine ? Que valent alors les labels dont certains s'emparent ( Great Place To Work, RSE, fonds d'investissement éthiques) pour cacher que ce métier, comme celui d'équarisseur, d'employé des Pompes Funèbres, est nécessaire et qu'il a besoin d'être mieux connu et appréhendé et certainement pas aborrhé d'emblée de jeu.
Le hors-série spécial d'En-Contact sortira en Avril 2023. Les enquêtes et reportages sur site ont débuté en Octobre 2022 et vont mener l'équipe en charge de Barcelone à la Colombie, en passant par l'Afrique, ou les sites opérés par Accenture etc.
Mais on verra que certains home-workers collaborent sur ces activités parfois, que la technologie et des entreprises telles qu'Alcmeon, Callity, Jigsaw, Tay et d'autres bots intelligents vont probablement aider à faire disparaitre quelques aspects dangereux du métier. Peut-on analyser la toxicité d'une vidéo, d'une conversation téléphonique, d'un écrit et éviter ainsi l'exposition d'un être humain à l'horreur ?
Pour patienter : ils ont vu le pire de l’espèce humaine (the worst of humanity) et demandent à être mieux rémunérés, soignés.
Ils attaquent Youtube et Facebook ou demandent à leurs employeurs, tels Accenture, Majorel, Sama de mieux les rémunérer ou de prendre effectivement soin de leur santé mentale. Daniel Motaung, Chris Gray, Jane Doe, Thierry Breton, voici quelques-unes des personnes, connues ou non, dont les actions en justice, prises de parole ou décisions récentes vont favoriser ou compromettre le développement des sociétés spécialisées en modération de contenus: Accenture, Atchik, Collabera, Majorel, Outsourcia (via sa filiale Scemi), Sama, Teleperformance, Webhelp etc. De nombreux spécialistes des centres d’appels et de l’animation de communautés ont en effet créé des divisions spécialisées. Il le faut bien car une savante combinaison d’outils, de process et de mesures de protection des modérateurs est nécessaire pour aborder cette activité en forte croissance et complexe.
Petit rappel de ce qui s'est passé en 2021 et 2022:
Daniel Motaung, ex modérateur chez Sama (ex Samasource) un spécialiste kenyan en BPO qui collabore avec Meta, a attaqué en justice son employeur et le commanditaire de celui-ci, pour esclavage et traite d'humains. Sama, qui se décrit comme an “ethical AI company ” a licencié Daniel en 2019 après qu'il avait tenté de créer un syndicat pour obtenir de meilleurs salaires et conditions de travail. L'ex modérateur est défendu par Foxglove, un cabinet d'avocats basé à Londres. Dans l'une des accusations les plus marquantes, Daniel précise que Sama et Meta placent sur les réseaux sociaux des annonces mensongères ( misleading job ads ) où ne sont pas mentionnés et décrits la réelle nature du travail, le nom de l'employeur. Meta a tout fait jusque-là pour tenter de faire disparaitre son nom de la plainte déposée en justice. Sur le site de Sama, une compagnie basée à San Francisco, le dernier poste pour lequel l'entreprise embauche est un Wellbeing Coach, à Nairobi, au Kenya. La compagnie se présente comme une AI Platform, collaborant avec 25% du Fortune 50.
Julie Sweet, la CEO d'Accenture, a été interpellée par des modérateurs salariés eux aussi localisés en Afrique et qui lui ont demandé.. de mettre en accord ses prises de parole et ses actes. Dans un courrier qu'ils ont diffusé sur les réseaux sociaux, les signataires prennent la parole:"talk is cheap, action matters. Unfair pay is a problem you can fix today (..) Let there be change est le slogan et la base-line utilisé par la compagnie. Engagez le changement, lui écrivent ces content moderators rémunérés moins de 2 dollars par jour.
Majorel, qui a récemment renoncé à son intention de fusionner avec Sitel, et collabore avec TikTok, est également décrit dans la presse anglo-saxonne récemment comme un employeur peu regardant des conditions de travail proposées à ses modérateurs. "1000 vidéos souvent gore et violentes à visionner par jour, sous réserve d'être mal notés, des conditions de planification ( des shifts) qui priorisent les impératifs imposés par les clients plutôt que la vie personnelle, un salaire quotidien de 7 dollars tels sont quelques-uns des griefs exposés par des ex modérateurs, localisés à Barcelone ou au Maroc. Tous évoquent la culture du secret imposé par Majorel.
Dans de très nombreux cas, parallèlement, les modérateurs se plaignent de ne pas disposer des mêmes conditions de travail que celles obtenues et proposées aux collaborateurs de Facebook, Meta. Les prestataires en BPO évoquent de leur côté que l'AI permettrait de trier et modérer de façon automatique une grande quantité. Webhelp a décrit dans un récent article la vision de ce que les outils permettent ou permettront de faire demain ou dès aujourd'hui et son arrivée au Brésil.
Petit rappel du contexte et des faits marquants de 2020
Des ex-salariés de Facebook, de Youtube ou collaborateurs des spécialistes qui assurent, pour les comptes de ceux-ci, la modération des vidéos, contenus qui sont diffusés sur les plateformes, ont attaqué celles-ci en justice pour les troubles psychiques ou dégâts que la pratique de leur activité avait causés. Chris Gray, depuis l’Irlande, poursuit Facebook, tandis que Jane Doe a attaqué Youtube.inc, en septembre 2020, devant une juridiction américaine. Sous un pseudo qu’elle a préféré utiliser, l’ex-salariée de Collabera (le prestataire de Youtube) au Texas évoque les PTSD (symptômes et troubles post-traumatiques) nombreux que son métier de nettoyeur du web a occasionnés.
Plus récemment, le commissaire européen pour le Marché intérieur, Thierry Breton, a évoqué le désir de l’Europe, grâce aux DSA et DMA (deux nouvelles règlementations concernant les marchés numériques), de réguler les GAFA et de leur imposer notamment de sérieuses obligations en matière de modération des contenus.
De Toulouse aux Philippines, en passant par Madagascar ou l’Europe de l’est, de petites sociétés très spécialisées comme de grands spécialistes mondiaux de l’outsourcing surfent sur cette vague. De Gens de confiance à Miss France en passant par les éditeurs de presse ou Meetic, aucun acteur intervenant sur le web ne peut en effet laisser tout dire sur son site ou la plateforme qu’il anime.
Manuel Jacquinet.
Pour aller plus loin, relisez le dossier spécial que notre magazine a consacré cette année à ces métiers et acteurs.
Photo de Une : Chez Scemi, à Madagascar, on pratique depuis longtemps la mise en ligne de photos, de textes mais aussi l’animation et la modération des communautés. L’entreprise a rejoint le groupe Outsourcia. Les conditions de travail y sont de qualité. crédit © Edouard Jacquinet