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Spotlight n°9 – Du call center aux portes du pénitencier

Publié le 10 mai 2017 à 08:14 par Magazine En-Contact
Spotlight n°9 – Du call center aux portes du pénitencier

Les bricolos du dimanche, les Dalton du téléphone

Leurs domaines d’activités étaient variés, mais ils avaient trois points communs : leur téléphone était leur outil de travail, ils privilégiaient le contact direct et ils ont cru que ça fonctionnerait.
A la rentrée 2016, HBO a débuté la diffusion d’une nouvelle série télévisée, intitulée High Maintenance, qui racontait les pérégrinations d’un livreur de cannabis à vélo livrant ses clients après que ceux-ci aient passé commande par téléphone. En France, on pourra au moins dire que la réalité a rejoint la fiction, en tout cas le temps d’une affaire judiciaire. En effet, les habitants de Vitry-sur-Seine qui cherchaient à se fournir en drogue ont pu, jusqu’en décembre 2016 et son démantèlement par la Brigade de Sureté Territoriale, se fournir chez « Allô Coke », un call center spécialisé aux faux airs de « Take Drug Easy », qui livrait à domicile. Cette structure particulière respectait en tout cas le b.a.-ba du centre d’appels : tous les clients étaient satisfaits, les consommateurs comme les dealers.
Parfois, même lorsque le centre d’appel est légal, le client peut tomber de haut, surtout s’il est célèbre : confier autant d’informations personnelles à un prestataire ne peut-il pas se révéler dangereux ? C’est ce qu’a dû penser Nicolas Sarkozy en octobre 2008 en remarquant sur son relevé de compte des prélèvements fallacieux. De l’autre côté du fichier client, Bacar Nboh, un téléconseiller employé par le leader mondial des centres d’appels Teleperformance, prestataire de Canal+. Foulant au pied l’éthique nécessaire à toute personne ayant entre les mains des informations sensibles, Bacar Nboh avait récupéré un fichier comprenant les coordonnées bancaires d’une cinquantaine d’abonnés, et les cédait à des complices en banlieue parisienne. Ceux-ci les utilisaient pour ouvrir des abonnements téléphoniques à leur bénéfice, pour un gain total entre 30.000 et 50.000 euros.

Mais lorsque c’est le télémarketing lui-même qui constitue la fraude, il est parfois difficile pour la victime un peu perdue de s’y retrouver au milieu des palabres d’un interlocuteur éloquent et convaincant. En août 2006, une enquête du Bureau canadien a ainsi mis au jour deux opérations de télémarketing de Montréal qui avaient recours à des pratiques de vente douteuses, pour un bénéfice total de 840.000 $. L’« Agence Federal des Produits Medicales » (sic) contactait ainsi des entreprises en prétendant représenter une société qui entretenait déjà des relations d’affaires avec elles, ou au nom d’un service gouvernemental. Elle affirmait que certains produits ou services qu’elle vendait étaient exigés en vertu de nouvelles règles et normes, et les facturait. Finalement, on voit bien qu’au téléphone, on est susceptibles de se retrouver plus facilement en situation de vulnérabilité que lors d’une conversation en face à face, et ce y compris au sein d’une entreprise : il est donc parfois plus aisé de tomber dans le panneau. Ce ne sont pas les 1,7 millions de plaignants américains, victimes de centres d’appels indiens frauduleux qui se faisaient passer pour des centres du fisc américain, qui diront le contraire. De faux agents fédéraux plus vrais que nature travaillaient sous un faux nom et s’étaient entraînés à reproduire l’accent américain afin de mettre en confiance ceux qui tombaient dans le piège. Les 772 « employés » interrogés par la police jouaient notamment sur la peur que ressentaient leurs interlocuteurs envers l’Etat fédéral, ce qui est par exemple le cas de citoyens récemment naturalisés, dont les nouveaux droits se trouvaient soudainement menacés en raison de soi-disant arriérés d’impôts. Le préjudice global s’élèverait à près de 36 millions de dollars en un an, notamment payés en codes d’activation de cartes iTunes en ligne, afin d’éviter le plus possible le tracking. Le plus surprenant ? Les employés les plus méritants étaient récompensés par des bonus, et certains partaient même en vacances à Goa s’ils avaient atteint leur objectif. Il ne manquait plus qu’un comité d’entreprise pour avoir des réductions sur des évènements sportifs et des places de ciné.

Les champions du monde

Place maintenant aux vrais cadors du milieu : abus de biens sociaux, affaires emberlificotées sans vérité judiciaire satisfaisante, et scénarios de films.
On entend souvent dire que telle ou telle profession est « payée à rien faire », tant son niveau d’efficacité est faible, mais il est beaucoup plus rare que l’ensemble des salariés d’une entreprise n’aient effectivement été assignés à aucune mission. C’est pourtant ce qui s’est passé chez MG Call, le centre d’appel créé par Mohamed Guéday le 1er décembre 2014, dans la région de Tarbes : faute de prestataire s’étant attaché les services du centre, il était courant que les employés du 1er étage appellent ceux du 2ème en expliquant de faux problèmes, afin de donner le change et de prolonger l’illusion. Mohamed Guéday avait pourtant fait miroiter à l’intercommunalité du Grand Tarbes la création de 300 à 400 emplois, pour des personnes qu’il formerait au sein d’une deuxième entreprise, l’Institut de la Relation Client (IRC). Séduite, l’intercommunalité avait remis un neuf à bâtiment pour la coquette somme de 500.000 euros, en l’exonérant également des six premiers mois de loyer. Pôle Emploi avait par ailleurs subventionné ces embauches à hauteur de 600.000 euros, soit 2.000 euros par embauche, directement encaissés par IRC. L’illusion aura été de courte durée : dès le 8 août 2015, les salaires ne sont plus versés, et le 21 septembre de la même année, soit moins d’un an après la création des deux entreprises, elles sont placées en redressement judiciaire. Le contrat avec l’opérateur téléphonique qui devait faire vivre MG Call n’aura jamais été signé, et l’argent des organismes publics s’est donc envolé en même temps que le projet. Mohamed Guéday a finalement été condamné le 11 octobre 2016 à 12 mois avec sursis, 3.000 euros d’amende et l’interdiction de gérer pendant dix ans pour abus de biens sociaux.
Prenez le dirigeant d’une entreprise, par exemple Jean Suzanne et son entreprise Infinity, centre d’appel qui employait 600 personnes, rajoutez le non-paiement des salaires pour cause de dette ainsi qu’une accusation de détournements de fonds de la part des salariés. Si en plus il roule en Aston Martin, tout en accusant de blanchiment d’argent son directeur général, Gérald Bouillot, l’assistante de celui-ci, et le directeur du marketing, qui ont depuis ouvert un nouveau centre d’appel, Tilsys, en Tunisie, on pourrait presque se croire dans un Ocean’s Eleven des centres d’appels mauriciens. L’affaire est pourtant bien réelle, mais depuis le blanchiment de Jean Suzanne le 1er décembre 2015 l’enquête n’a pas été rouverte, et ce bien que des malversations financières aient effectivement été constatées. Jean Suzanne continue donc sa tentative de réhabilitation publique, en clamant qu’il a été la victime d’une opération qui aurait eu pour but d’attaquer le Premier Ministre, dont il était conseiller, à travers lui. En effet, les treize millions d’euros octroyés par divers organismes publics dès septembre 2009, alors que Jean Suzanne était conseiller spécial pour les technologies informatiques auprès du Premier Ministre ont de quoi interpeller. Il ne se laisse en tout cas pas déstabiliser, et semble prêt à tout pour prouver son innocence, y compris à s’introduire frauduleusement dans les locaux de ceux qu’il accuse afin de collecter des preuves confirmant les délits. Si la vérité judiciaire est établie, l’issue de l’affaire Infinity reste donc peu claire : pris la main dans le sac, ou victime de ses associés ?
 

Dans cette dernière affaire, pas de Ocean’s Eleven mais une affaire rocambolesque qui a séduit le cinéma, avec Je compte sur vous, avec Pascal Elbé dans le rôle principal, sorti le 30 décembre 2015 dans les salles. L’homme qui a inspiré ce film, Gilbert Chikli, est d’ailleurs lui-même un ancien élève du cours Florent, et ses talents d’acteurs lui ont permis de dérober entre 2005 et 2006 une somme qui reste toujours à l’heure actuelle inconnue, mais que l’on estime supérieure à 400 millions d’euros. Sa technique ? « L’arnaque au Président » : le (faux) président appelle un de ses cadres pour lui dire qu’un agent de la DGSE va téléphoner, et qu’il faudra lui verser de l’argent. L’objectif final, faut-il croire, est de repérer les éventuels terroristes qui vont se servir des sommes ainsi détournées. Et ça marche ! La Poste est sa première victime : Madame G., directrice d’une agence postale à Paris lui remet 358.000 euros en liquide dans un sac, déposé dans les toilettes pour femmes du restaurant Au Canon de la Nation. Grâce à sa tchatche, redoutable pour les appels sortants, à sa capacité d’adaptation à son interlocuteur et à sa compréhension rapide de l’esprit humain, plus d’une centaine d’entreprises tomberont finalement dans le piège, dont les Galeries Lafayette, Disneyland Paris ou encore la Caisse d’épargne et les Pages jaunes. Il réside aujourd’hui en Israël, pays qui n’extrade pas ses ressortissants, ce qui lui permets d’éviter les sept années de prisons auxquelles il a été condamné par contumace en France.

Par la rédaction d’En-Contact & Justine Ferry

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