Spotlight N°13 – Israël & les centres d’appels
Archive : En-Contact, septembre 2017
Des histoires des bad boys dans les centres d’appels, qui ont parfois confondu « insistance dans le cadre d’une démarche commerciale de démarchage » et « harcèlement pouvant virer à l’extorsion », c’était l’objet du Spotlight du numéro 97. Mais les parcours de Jean Suzanne, Mohamed Gueday et Bacar Nboh semblent avoir inspiré de brillants élèves, qui ont pour beaucoup élu domicile entre Jaffa et Tel-Aviv. L'Afrique n'est pas en reste. Et si l'on désire vraiment réduire le démarchage téléphonique illégal, il convient de s'intéresser à une autre question: quels opérateurs télécom font transiter ces milliards d'appels, qu'ils savent illégaux et y trouvent un intérêt ? L'Arcep avait-elle posé une bonne question, il y a trois ans ?
Focus aujourd’hui sur deux affaires marquantes du mois d’avril 2017, et qui ont eu lieu à l’ombre des orangers de Jaffa, en Israël. Entre organisation hiérarchisée et crime rémunéré, on peut dire que le pays s’est fait remarquer : Israël attire-t-elle plus que les autres des télévendeurs borderline ?
Quand le démarchage publicitaire vire au harcèlement
L’affaire concerne 28 membres de la direction et rédacteurs du quotidien ultra-orthodoxe Hapeles, interpellés dans une opération coup de filet nationale, après une enquête de 6 mois. Que leur est-il reproché ? D’avoir largement dépassé les limites de leur activité et d’avoir utilisé leurs talents téléphoniques (habituellement réservés à l’investigation) pour harceler des prospects en les incitant à acheter des espaces publicitaires. Parmi eux, notamment des représentants israéliens de Coca-Cola mais également de Shufersal, Materna ou encore Optica Halperin. D’après les éléments de l’enquête, les suspects avaient mis en place et utilisaient un centre d’appels, surnommé la « ligne de front ». Sans parler de CRM, comme M. Jourdain ils le pratiquaient puisqu’ils décidaient quelles entreprises seraient harcelées et à quel niveau : ils auraient passé des centaines d’appels, et envoyé fax et e-mails aux dirigeants des entreprises mais aussi dans certains cas à leur famille.
C’est dans un contexte politique tendu qu’a eu lieu cette première affaire : les juifs ultra-orthodoxes pouvaient jusqu’à présent échapper au service militaire obligatoire en Israël en allant étudier dans une école religieuse, il semblerait qu’à l’heure actuelle ce droit soit remis en cause par la majorité politique, ce qui est à l’origine de nombreux mouvements de protestation. Certains, dont le rabbin David Zicherman, soulignent donc que ces arrestations pourraient être perçus comme une tentative du gouvernement de mettre fin à ces manifestations.
Quand le canular tourne au crime
Le 24 avril, la justice israélienne a inculpé un jeune israélo-américain, suspecté d’être l’auteur de 2 000 fausses alertes à la bombe dans le monde. Ses victimes ? Américaines pour la plupart, mais pas que : il visait majoritairement des écoles, des hôpitaux, des compagnies aériennes mais aussi des institutions juives ou des personnes privées comme le sénateur de l’État du Delaware, Ernesto Lopez. Au-delà de la blague téléphonique potache, ces impostures ont toujours été préparées dans un univers fictionnel sordide : dans certains cas, il aurait menacé d’assassiner des enfants qu’il prétendait retenir en otage, dans d’autres ses dénonciations fallacieuses ont conduit à des largages de carburant pour des atterrissages d’urgence, et des avions des armées de l’air française et suisse à escorter un appareil de la compagnie israélienne El Al à bord duquel se trouvait prétendument une bombe censée exploser au-dessus du territoire suisse.
Outre ces terribles exploits personnels, le jeune homme savait partager ses talents avec son prochain, surtout quand celui-ci possédait des BitCoins (monnaie cryptographique et système de paiement peer to peer). Pour 40 dollars versés sur un compte en banque en ligne, il lançait des alertes sur « le massacre d’un logement particulier », pour le double il s’agissait du « massacre d’une école », et pour une alerte à la bombe contre un avion il fallait s’acquitter de 500 dollars. Ces différentes commandes lui ont rapporté la modique somme de 250 000 dollars, mais elles risquent de lui coûter plusieurs années de sa vie. Aujourd’hui emprisonné en Israël, il devrait y être jugé bientôt pour répondre de ses actes.
Israël, terre d’accueil des escrocs téléphoniques ?
Ces affaires évoquent forcément le cas d’un des escrocs téléphoniques les plus célèbres des dernières années : Gilbert Chikli. Son parcours romanesque a d’ailleurs inspiré un film, Je compte sur vous, avec Vincent Elbaz dans le rôle principal, sorti le 30 décembre 2015 dans les salles. Gilbert Chikli, est d’ailleurs lui-même un ancien élève du cours Florent, et ses talents d’acteurs lui ont permis de dérober entre 2005 et 2006 une somme qui reste toujours à l’heure actuelle inconnue, mais que l’on estime supérieure à 400 millions d’euros.
Sa technique ? « L’arnaque au Président » : le (faux) président appelle un de ses cadres pour lui dire qu’un agent de la DGSE va téléphoner, et qu’il faudra lui verser de l’argent. L’objectif final, faut-il croire, est de repérer les éventuels terroristes qui vont se servir des sommes ainsi détournées. Et ça marche ! La Poste est sa première victime : Madame G., directrice d’une agence postale à Paris lui remet 358 000 euros en liquide dans un sac, déposé dans les toilettes pour femmes du restaurant Au Canon de la Nation. Grâce à sa tchatche, à sa capacité d’adaptation à son interlocuteur et à sa compréhension rapide de l’esprit humain, plus d’une centaine d’entreprises tomberont finalement dans le piège, dont les Galeries Lafayette, Disneyland Paris ou encore la Caisse d’épargne et les Pages Jaunes. Il réside aujourd’hui en Israël, pays qui n’extrade pas ses ressortissants, ce qui lui permet d’éviter les sept années de prisons auxquelles il a été condamné par contumace en France.
Par Justine Ferry
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