2017. Louis Prunel (Arthur Media Group) a-t’il contribué illégalement au Cambridge Analytica français?
La location de fichiers est au cœur de l’acquisition clients, d’abonnés, des campagnes d’influence d’électeurs indécis. Arthur Media Group a été l’un des prestataires dynamiques de ce secteur où de nouveaux acteurs s’illustrent désormais. Hipto propose et fournit en quantité presque industrielle des leads intentionnistes, qualifiés, TagadaMedia crée des jeux pour générer des fichiers Opt-in. CM.com propose des campagnes SMS ou RCS.
Retour sur l’affaire Fillon, en 2017. Car les partis politiques savent désormais user de ces techniques, fichiers et ont le droit, comme le secteur du fundraising, de solliciter des citoyens par téléphone. Louer des fichiers peut paraitre anodin mais elle ne l'est pas. Selon la façon dont votre prestataire les a acquis, nettoyés, achetés et l'information qu'il a donnée à son lecteur, abonné, vous pouvez réitérer une sorte de Cambridge Analytica français.
Rappel des faits
Pendant la campagne pour la présidentielle de 2017, les équipes de François Fillon (via l’association A3F), ont loué des fichiers d’adresses e-mail à un prestataire spécialisé dénommé The Optin Machine (Arthur Media Group) afin de lancer des campagnes d’information, de sensibilisation des électeurs. La facture de location de ce fichier et de diffusion d’e-mailing dédiés, qui est désormais presque publique (puisqu’elle a été fournie à la Commission Nationale des Comptes des Campagnes et Financement Politique (CNCCFP)) est libellée de telle façon par son émetteur qu’un néophyte, non-expert en marketing, peut supposer que les bases d’abonnés ou de lecteurs actifs des titres listés ont été utilisées pour cette campagne.
Les journaux et radios, à l’exception de La Lettre A*, résument rapidement ceci en déclarant que le candidat a spammé, ciblé, etc. François Fillon, on le sait, serait un bandit. Pourquoi s’attarder à comprendre, à fact-checker ? Il le faut pourtant.
Les questions
Les partis politiques peuvent-ils louer des fichiers (adresses mail, numéro de téléphone) pour des campagnes d’information préalablement à des élections (par mail ou par téléphone) ?
OUI. Le président de la République actuel, Emmanuel Macron, a réalisé le même type d’opérations en émettant plus de 6 millions d’appels téléphoniques en 2017, après avoir loué des fichiers à un prestataire spécialisé. Son équipe y avait consacré 60 000 euros environ. La CNIL, sur ce point, n’émet que des recommandations, qui ne s’imposent donc pas et ne placent pas dans l’illégalité un candidat qui ne s’y conformerait pas.
Des éditeurs français de logiciels tels que LMP (Liegey Muller Pons) sont même devenus bankables grâce à leur logiciel de campagne politique, pudique façon d’appeler les capacités scientifiques et logicielles qui existent désormais pour identifier, dénicher, géo-localiser, les indécis, les convaincus, les sceptiques. Dans le domaine politique comme en matière de consommation.
Aux États-Unis, depuis très longtemps, ce type d’opérations est largement utilisé et industrialisé, avec talent, depuis Barack Obama et l’intervention de spécialistes tels que Harper Reed et d’autres.
Arthur Media, ou l’une de ses filiales, a-t-il loué des fichiers qu’il n’aurait pas dû louer ?
C’est la vraie question.
Deux options :
• Soit la facture TOM16-2201 correspond à la prestation faite et The Optin Machine a réalisé une opération légale mais qui dévoile son modèle économique, et toute la subtilité du marketing des datas : le prestataire a-t-il utilisé des bases confiées par ses clients, qu’il n’a pas le droit de louer, ou sollicité, comme la facture le mentionne, des adresses de « lecteurs actifs » ? Le fait d’être un ouvreur ou un lecteur d’un article digital, ce que l’on peut appeler un lecteur actif, ne caractérise pas ni ne justifie que ce lecteur est abonné du média. La façon même dont il a été recruté ou sollicité est la bonne question. On est là au coeur du réacteur de l’économie digitale et de son marketing débridé, le 2nd party data.
Prenons un seul exemple, si vous lisez demain l’article d’un des 200 titres de presse qui sont accessibles sur la plateforme média Cafeyn, dans le cadre de l’offre « Cdiscount à Volonté », lancée il y a peu de temps, êtes-vous certains d’avoir compris, intégré, accepté que vos données de lecteur et d’abonné sont cessibles, potentiellement égarées etc ?
• Deuxième option, la facture a été incorrectement libellée : la filiale The Optin Machine (Arthur Media Group) a loué des fichiers de profils correspondant aux lecteurs actifs et abonnés de La Croix, Courrier Cadre, Figaro éco, Les Échos, etc. Le fait-il avec l’accord explicite de ses clients ? Joint par nos soins le 25 avril 2018, Louis Prunel nous a indiqué qu’un communiqué officiel nous serait envoyé. On l’attend. Dans les deux cas, la société qu’il co-dirige est dans une situation commercialement compliquée, voire carrément litigieuse.
Les médias clients d’Arthur Media Group ou de ses filiales, qui se sont offusqués hier, doivent-ils balayer devant leur porte ?
OUI, trois fois oui, ainsi que certains de leurs partenaires technologiques et recruteurs d’abonnés. En Juin 2016, notre magazine révélait que la défaillance de l’un de leurs prestataires avait provoqué une perte temporaire et longue de leurs données abonnés.
GLI, ce gestionnaire des abonnements et hébergeurs des bases de données abonnés, dont les données de paiement, avait à l’époque mis plus de deux mois à solutionner le problème. Ceci indique que les bases d’abonnés, de lecteurs, véritables actifs de l’économie de l’abonnement, ne sont pas encore protégées; que la rentabilité économique de quantité d’acteurs, des médias, de la Pay TV (SVOD), de l’assurance affinitaire, dépend souvent d’une revente de ces données, plus ou moins connue, de leurs abonnés.
*Selon La Lettre A, et son dernier article, très précis, les cris d’orfraie des clients d’Arthur Media relèvent de la posture d’indignation : « Ces groupes de médias sont tous clients d’une autre solution commercialisée par AMG depuis 2017, ce qu’ils occultent dans leur démenti. Welcoming, marque spécialisée dans l’apport de trafic, gère 65 newsletters dont 45 produites par des médias, contenant les articles de ces différents titres. Ce broker de mails est rémunéré par les groupes de presse en fonction du trafic généré vers les articles. » © Copyright La Lettre A.
Article paru en 2018 dans En-Contact.
Qui est Louis Prunel ? Qui sont les acteurs et brokers efficaces de fichiers ? Les CDP, Customer Data Platform, sont-elles une nouvelle façon de soutirer du budget aux directions digitales, marketing, ou.. la réelle révolution du CRM ?
La suite à découvrir dans le numéro 130 d’En-Contact, sortie Décembre 2023. Photo de une: Edouard Jacquinet. DR.