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« Je n’imaginais pas cette détresse »

Publié le 22 décembre 2021 à 15:06 par Magazine En-Contact
« Je n’imaginais pas cette détresse »

Témoignage d’un de ces nombreux professionnels de santé qui ont découvert les possibilités de la visio ou téléconsultation et en ont déjà tiré quelques enseignements. 

Psychologue et psycho-sociologue, Éric Doazan reçoit ou recevait, avant le début de la crise sanitaire, des patients en cabinet et intervenait parallèlement dans des entreprises, telle Orange ou la BNF, pour travailler sur les risques psycho-sociaux. Son passé d’ingénieur lui a permis d’acquérir une connaissance assez intime du monde de l’entreprise, de ce qui s’y joue. Il a en sus, depuis, grâce aux appels qui parviennent au numéro vert mis en place à destination des, eu à gérer et répondre aux appels des entrepreneurs affectés par la crise. Témoignage d’un de ces nombreux professionnels de santé qui ont découvert les possibilités de la visio ou téléconsultation et en ont déjà tiré quelques enseignements.

A savoir

Éric Doazan, ingénieur de formation, est psychologue et psycho-sociologue. Domicilié en Seine et Marne, à Fontainebleau, il est psychologue installé depuis 1998. Et intervient pour l’Apesa et depuis 2020 pour répondre au Numéro vert : 0805 65 50 50 
Depuis la réalisation de cette interview, la situation tout comme la vision d’Éric Doazan sur quelques-uns des sujets évoqués ici ont changé : il est désormais installé près de Castelnaudary, plus à proximité d’amis et de sa famille. Il est désormais client et abonné à Doctolib, dont il est un client heureux : « Grâce à ceci, mon carnet de rendez-vous et de consultations se remplit vite et grâce à une option permise désormais, je planifie un 1er rendez-vous par téléphone avec les nouveaux patients, avant la prise de rendez-vous, ce qui me permet de les connaitre un peu déjà. 
La visio conférence et donc les téléconsultations m’ont permis de conserver la patientèle que j’avais en région parisienne, ce qui est très appréciable. »

En-Contact : Sur quels sujets et à quelle occasion intervenez-vous dans les entreprises ? 
Éric Doazan : Il s’agit d’interventions sur ce qu’on appelle les risques psycho-sociaux, soit à travers des formations ou des sensibilisations auprès des encadrants, soit lorsque des collectivités territoriales, par exemple, sont confrontées à des événements comme des tentatives de suicide ou des situations d’équipes en souffrance. C’est en présentiel d’habitude mais comme beaucoup de mes collègues, au moment du premier confinement, j’ai pratiquement basculé toutes mes consultations sous forme de visio-conférence.

Si on revient sur cet exercice particulier de votre profession, qu’avez-vous appris de cette période où tout se fait maintenant en grande partie fait à distance et en visio-conférence ? Est-ce un pis-aller, y a-t-il une courbe d’expérience dans ce type d’exercice de votre métier ?
J’allais vous dire que j’ai tout appris, parce qu’en fait au début j’étais plutôt réticent et puis j’ai rapidement compris que ce n’était pas possible de faire autrement. Par exemple, j’anime aussi ce qu’on appelle des groupes de supervision, c’est-à-dire des rencontres entre professionnels, qui se réunissent entre six et dix participants, tous les mois, au sujet de situations difficiles. Finalement, j’ai accepté, chemin faisant, de pratiquer cela également par visio-conférence. Avec l’expérience, je trouve que ça permet de faire du travail de qualité – sinon je ne le ferais pas de toute façon – que ce soit avec les consultations individuelles ou avec ces groupes de supervision. On parle des bénéfices de la présence, mais la présence est un terme qui reste encore à qualifier : il existe des patients qui préfèrent la présence en visio, à distance, mais sans masque, à une présence en cabinet avec des masques. Pour en revenir aux groupes de supervision, quand existe une confiance suffisamment grande entre participants, on arrive tout à fait à travailler, même sur des situations délicates et émotionnellement difficiles. Il est pourtant vrai également que toutes les relations informelles qui existent et se créent dans un groupe, par exemple lorsque on fait des pauses en demi-journée, manquent ; les choses qui se disent au cours de ces moments-là. 

Vous êtes-vous formé à cette nouvelle pratique, à ces nouveaux outils ? 
On m’a gentiment, dans un centre de formation qui avait lui aussi a basculé toutes ses formations à distance, proposé une formation Zoom, que j’ai acceptée. Ça me permet d’être un peu plus à l’aise avec l’outil, qui permet de faire pas mal de choses, en particulier, pour mon travail, de pouvoir créer des sous-sols – ce que j’appelle souvent des « ateliers » – c’est-à-dire des petites salles où les gens peuvent travailler en sous-groupe sans le support du psy. Et ensuite on se retrouve, en séance plénière ! Je trouve que c’est tout à fait précieux.

Que vous inspire l’exercice de ce que vous faites pour les chefs d’entreprise ? Avez-vous découvert des cas que vous n’imaginiez pas rencontrer ? Y a-t-il un stress particulier du petit entrepreneur ou de l’entrepreneur aujourd’hui ?
Je n’imaginais pas cette détresse. Non seulement, ces situations financières impactent la vie professionnelle, mais elles retentissent aussi forcément sur la vie personnelle, privée, les relations familiales. Les gens que j’ai au téléphone sont des gens qui passent au travers des mailles du filet de protection, du « quoi qu’il en coûte ». C’est-à-dire que soit ils ont mal rempli un dossier, mis une mauvaise date et finalement ils n’ont pas le droit au fonds de solidarité, soit leur entreprise a démarré courant 2020 ; ils n’ont pas de bilan à proposer sur l’année 2019 et n’ont pas le droit au fonds de solidarité. Ils se retrouvent confrontés à une incompréhension de l’administration.

Quel est le coût de votre intervention, de votre consultation ?
C’est très variable. Généralement, le coût est de 50 euros, sachant que ce n’est pas pris en charge pas la Sécurité Sociale. En revanche, certaines mutuelles, dès l’instant où le psychologue est enregistré auprès de l’Agence Régionale de Santé – ce qui est mon cas – peuvent rembourser un nombre limité de consultations.

Le fait de connaître le monde de l’entreprise permet-il une meilleure appropriation ou proximité avec les situations dont on vous parle ?
Oui, d’autant que j’ai connu une transition en tant que responsable en ressources humaines et que j’ai donc une bonne connaissance des organisations. Si je travaille beaucoup sur les risques psycho-sociaux, ce n’est pas un hasard. C’est précisément parce que je connais particulièrement bien le monde du travail où j’ai navigué tout d’abord comme salarié, puis comme responsable RH, puis comme consultant interne. Je pense que j’ai donc une plus grande compétence, une plus grande légitimité que les gens qui n’ont jamais travaillé dans les organisations et qui font pourtant du conseil parfois.

Utilisez-vous Doctolib ?
Non. Je suis souvent relancé par Doctolib, mais le coût d’abonnement est trop élevé par rapport à mon chiffre d’affaires lié aux consultations. Doctolib, c’est bien pour un médecin et moins adapté selon moi à un psychologue, parce que le premier contact par téléphone est tout à fait essentiel et Doctolib nous prive de ce contact. Je pense que les gens qui téléphonent pour consulter un psychologue ont besoin d’entendre une voix ; ils ont besoin d’un premier échange, même si celui-ci n’est pas long.

Le fait de pratiquer maintenant avec une forte fréquence des consultations à distance vous ouvre-t-il de nouvelles perspectives ? Votre patientèle, demain, pourrait très bien être située dans le Sud-ouest ou dans le Nord ?
J’aimerais bien que ça se passe comme ça et j’y suis complètement ouvert, je n’avais d’ailleurs pas tellement attendu le confinement : sur mon site, j’avais déjà proposé des consultations par visio, car je préfère le cas de quelqu’un que je vois régulièrement et dont une partie des consultations se fait en visio à quelqu’un qui me téléphone en me disant : « Cette fois-ci, je suis trop crevé ; j’ai eu un embouteillage. Je ne peux pas venir », et on saute de ce fait une semaine ou quinze jours.

Dans l’évolution des situations que l’on évoque avec vous, y a-t-il une trop grande psychologisation des difficultés dans le monde du travail ou constatez-vous que le monde contemporain du travail aujourd’hui génère effectivement des souffrances, des douleurs ?
Je lutte contre cette psychologisation, parce que c’est simple pour une entreprise de dire que telle ou telle tentative de suicide, tel ou tel burn-out est dû à la fragilité de la personne. En fait, clairement ça ne veut rien dire. Chaque fois que j’interviens quelque part, j’invite, à chaque fois qu’il y a un cas d’une personne qui est en souffrance, bien sûr à ce qu’on aide cette personne – et un service de psychologie est utile dans ce cas – mais à ce qu’on ne s’arrête pas là et qu’il y ait toujours un questionnement de l’organisation du travail. Il y a une métaphore qu’on m’a partagée un jour et que j’utilise souvent : les personnes qui sont fragiles et en souffrance peuvent être comparées aux canaris qu’emmenaient les mineurs dans les mines. Les canaris étaient sensibles au grisou. Le canari dans une cage qui se sentait mal révélait souvent la présence du grisou, non perçue encore par les mineurs.
Il était temps alors de remonter pour éviter de provoquer une explosion. Le grisou, c’est potentiellement l’organisation du travail. Il faut donc bien sûr soigner le canari, mais il faut aussi soigner le grisou.

Dans l’organisation du travail contemporaine que vous côtoyez, qu’est-ce qui génère aujourd’hui des difficultés selon vous : les relations interpersonnelles, la nécessité de l’urgence, de produire des résultats ?
Tout ce que vous dites, mais avec une nuance importante, c’est que les risques psycho-sociaux sont des risques qui sont subjectifs. Je m’explique : quand quelqu’un est soumis à un risque physique – électrocution, chute, produits toxiques etc. – le danger est à l’extérieur de l’immeuble, mais tout ce que vous avez dit – urgence, management mal adapté, manque de moyens, objectifs peu adaptés aux moyens – passe par le filtre de l’histoire de la personne, de ses valeurs. Et c’est donc la représentation et l’image qu’elle s’en fait qui est potentiellement à l’origine des troubles. Elle est forcément subjective. On ne peut donc pas faire de relation mécanique entre un certain nombre de conditions de travail et la santé des salariés.

Tentons de finir par une histoire heureuse : rencontrez-vous des entreprises ou des salariés qui vous disent que les choses se sont améliorées ?
Heureusement, parce que sinon j’aurais arrêté de travailler. Il existe des entreprises où des collectifs sont soumis à un management que je qualifierais de maltraitant et où l’entreprise, qui en a pris conscience, prend des mesures aussi bien pour protéger le collectif que pour identifier des pistes d’améliorations vis-à-vis de ce management. Ce sont des choses qui sont assez fréquentes.

Y a-t-il une grosse différence entre les petites et les grosses entreprises ?
J’interviens très peu dans les petites entreprises, même jamais d’ailleurs, probablement parce que l’intervention d’un psychologue représente un coût. J’interviens quasi exclusivement dans des grandes institutions, qui pêchent parfois par leur lourdeur, par leur verticalité, par un management qui se place et est à distance, là où il faudrait un management de proximité.

Par la rédaction d'En-Contact

Voir notre dossier Quand les canaris écoutent, sentent, assistent ou vendent, en visio-conférence…

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