“La vidéo, c’est comme l’appel enregistré dans les centres d’appels : indispensable et incontestable. Au Samu et ailleurs”
(La technologie ne prend pas de vacances, zut alors)
C’est au cinéma que l’été est en pente douce ou parfois meurtrier (deux films français qui ont marqué les esprits, lors de leur sortie). La saison oblige également les observateurs et les acteurs du secteur des centres d’appels à une vigilance accrue et à des attentions particulières et quelques acteurs français encore plus. Lesquelles et pourquoi ? Petites révisions… façon Maths Secours.
Nb : pour les impétrants, quelques expressions en anglais vous permettront de paraître plus vite crédibles.
Consolidations en cours sur le marché : sieste interdite !
Arvato, qui va « bider » (parier) sur Arvato, ce leader européen du BPO et des abonnements, en capacité de gérer de A à Z toute la relation client et le fullfilment de bases de données et qui est en vente ? De Londres à Milan, en passant par Paris, les data rooms se succèdent ainsi que les réunions de présentation du dossier de rachat auprès de nouveaux fonds d’investissements. Certains pourraient rejoindre les KKR, les Carlyle devenus les banquiers du marché : ils financent par exemple les acquisitions de Webhelp ou de Comdata. Mais E/Y (Ernst and Young) a multiplié les missions ces derniers temps. Le bureau de Paris connaît désormais bien le secteur puisque c’est Ernst and Young qui réalise, depuis deux ans l’étude sur marché de l’outsourcing que lui commande le SP2C (syndicat professionnel des centres d’appels). E/Y a pris la suite de Bearing Point. Les données disponibles sont donc… actualisées. Depuis l’acquisition, en plein été, il y a trois ans, de Sitel par les Français d’Acticall (celle-ci avait propulsé le groupe français dans le top 3 mondial), on sait que les français sont efficaces en défense (le service client), en attaque (télévente), qu’ils ont quelques buteurs…et que même les joueurs qu’on pouvait penser rassasiés ou en fin de carrière… n’ont pas raccroché les crampons :
En moins de dix jours et dans le seul dernier mois (celui de juin), deux grands acteurs animés ou fondés par des français, viennent de signer ou d’annoncer des achats de grande ampleur et confirment cette tendance. Il n’y aura donc pas de trève estivale ; avocats et fonds d’investissement impliqués dans cette industrie ne doivent pas s’éloigner trop longtemps.
Le 14 juin 2018, depuis Miami où il est basé, Daniel Julien annonçait l’acquisition par son groupe (Teleperformance) de Intelenet en Inde, pour une somme approchant le milliard de dollars. Il aurait emporté la décision face à Webhelp ou Conduent notamment, également intéressés par cette « cible ». Moins de cinq jours après, la société française, cofondée par Olivier Duha et Frédéric Jousset, annonçait la signature d’un accord l’autorisant à acquérir Sellbytel, un acteur allemand du marché (voir extraits du communiqué) de taille également significative.
Le BPO (business process outsourcing), un acronyme à découvrir : il génère la croissance. Qu’ils soient financés par le marché (Teleperformance est coté en bourse) ou soutenus par des fonds de taille mondiale, tels KKR (pour Webhelp), Apax (Vocalcom), HLD (Tessi), les acteurs majeurs, mondiaux ou français, du secteur élargissent avec ces acquisitions respectives tant leur couverture géographique que l’éventail de leurs prestations : c’est désormais dans le BPO que se niche une partie de la croissance. Derrière cet acronyme un peu obscur, la capacité à réaliser pour le compte d’une marque ou d’un grand donneur d’ordre, une prestation complète qu’il charge un sous-traitant d’effectuer pour son compte : recouvrement de factures (cash recovery), leads generation (génération de prospects ou d’opportunités commerciales), customer service ou help desk (service client) à forte composante technique. C’est ce même virage qu’a initié également depuis un an un acteur italien, Comdata qui a acquis en France le spécialiste B2S et plus récemment encore CCA International.
Stimulé par les exigences de souplesse, de recherche d’un coût maitrisé, le marché BPO est également adapté à des activités telles que la santé ou les services publics. L’Agence nationale des titres sécurisés gère depuis quelques mois la délivrance des cartes grises (voir notre article) en France et découvre les complexités du métier, à forte composante technologique. Au Royaume-Uni, Serco a connu quelques déboires dans la réalisation des missions qui lui furent confiées. L’externalisation est un métier, complexe, très complexe. Quiconque a sollicité récemment Oscaro pour un remboursement de sa commande, non conforme ou non livrée, a tenté de joindre la hotline de la Cipav ou celle de SFR ces derniers mois, fait et vit l’expérience du parcours client fluide ou pas ! (La fameuse seamless experience)
Parfaite exécution du parcours client chez Apple, dans la majorité des cas, sentiment plus mitigé si vous désirez résoudre un problème suite à un achat sur les places de marché qui ont fleuri chez les e-marchands : le service client de ces derniers, dans la grande majorité des cas, ne gère pas les incidents de ses partenaires.
Pourquoi les français sont-ils omniprésents et désormais en compétition avec d’autres acteurs ?
Les français, que des images d’Epinal déclarent souvent fâchés avec le service client, ont pourtant quelques représentants experts dans cette industrie, comme évoqué plus haut. Vous désirez assurer un service client de bout en bout, fluide et rapide comme l’ont fait Apple, Uber, Amazon, Kaspersky, Netflix ? Des prestataires français sont en capacité de vous satisfaire pour assurer ces missions complexes. Elles embarquent technologies, outils CRM évolués et des savoirs-faire encore plus particuliers comme celui de la planification (le workforce management).Mais, parallèlement, maîtrisant assez bien, eux aussi, ces technologies, rompus au dialogue et à la négociation avec les directions générales des grands groupes, disposant d’implantations dans des pays tels que Madagascar ou les Philippines, les acteurs du conseil ont parfois élargi, tels Accenture ou HP le panel des métiers proposés à leurs clients. La concurrence sur ce marché en croissance est donc vive « Nos concurrents ne sont plus désormais uniquement les acteurs de notre industrie, indique Maxime Didier (Comdata), mais les Logica, Alorica, Serco, Accenture. »
L’été ? Une période critique…
Personnel en vacances, flux d’appels ou de commandes atypiques, management sur les plateaux ou dans la supervision des livraisons moins présent, les mois de juillet et d’août sont généralement des périodes critiques pour les spécialistes du customer service ou de la sous-traitance. Erlang C (une loi mathématique qui permet notamment de prévoir les flux d’appels en simultané et donc de planifier les équipes en quantité suffisante) n’est parfois pas bien maitrisée par les superviseurs appelés en renfort. Le livreur, souvent un intérimaire en période estivale, connaît probablement très grossièrement la tournée du quartier ou secteur qui lui est confiée. Tous ces petits cailloux peuvent donc compromettre le parcours client qu’on a mis des années à peaufiner. Et la spirale s’enclenche, rarement vertueuse. Colis non livrés, appels au service client, succession de SVI (serveurs vocaux interactifs), la redondance des appels fait vite monter la pression, génère des incivilités, des cris. Le turn-over s’emballe et son corollaire : la dégradation de l’image du métier de téléconseiller, de hotliner. La sous-traitance, l’outsourcing comme on dit désormais, quel que soit le métier que l’on externalise, sont donc compliqués et la période estivale ajoute aux difficultés intrinsèques. Même dans un certain palais, parfois, la recrue embauchée, qu’on croyait fiable, qu’on avait bien équipée… s’écarte des process, ne respecte pas la hiérarchie ou veut trop en faire.
Vive l’usage pertinent et permanent des technologies !
Mais la vidéo, qui fige ce qui s’est passé, est comme un appel enregistré dans un centre de contacts (« votre conversation est susceptible d’être enregistrée à des fins de formation et d’amélioration de la qualité »). On pensait uniquement le pilotage des sous-traitants et l’amélioration de leur performance facilités par l’usage des vidéos ou l’enregistrement des appels enregistrés et leur débriefing. Mauvaise pioche.
En France cette année, une conversation assez terrible a été enregistrée et a marqué tout un pays. Celle tenue entre Naomi Musenga et une agente de régulation du Samu de Strasbourg.
Dans son récent rapport, terrible et complet, sur cette affaire, l’Igas a laissé de côté pourtant une question essentielle : pourquoi des technologies disponibles, assez peu onéreuses et des procédures (comme le quality monitoring) partout utilisées dans les centres d’appels où l’on traite de sujets souvent non vitaux, ne sont-elles pas connues ou adoptées par les professionnels du SAMU ? En ne sollicitant aucun professionnel du secteur, qui aurait pu les alerter, les informer précieusement, les auteurs de ce rapport commettent un grave impair. Continuer ou faire mine de ne pas savoir et donc ne prendre aucune mesure palliative pour l’avenir.
Cet été, on a constaté également que disposer de vidéos, dans leur totalité, pouvait être utile à la démocratie. Les entraineurs de foot, dans le ski, dans le golf en font un fréquent usage avec leurs champions, depuis longtemps.
Dans de nombreuses affaires policières, financières, qui impliquent des traders et des banques, on a découvert les concepts -et leur importance- d’intégralité d’une conversation téléphonique, on parle de conversations « non altérées ». On utilise depuis longtemps ces conversations enregistrées dans les salles de marché pour dealer et conclure des put et des call (conclure une option d’achat ou de vente dans le trading).
Aller, avec force caméras à Viva technology… pourquoi pas. Se rendre, avec force caméras, à Station F et créer de véritables pèlerinages, toujours largement filmés et relayés, qui relient tous les incubateurs de France et de Navarre… pourquoi pas.
Nous sommes quelques-uns à espérer également un usage non intermittent et utile à tous de la technologie. Les “sachants” sont disponibles.
*”Sachants” : dans et pour son rapport, l’Igas mentionne avoir entendu pour la rédaction 34 personnes. Aucun expert des centres d’appels ou des techniques de QM (quality monitoring) ne l’a été.
Mme La Ministre de la Santé, que les professionnels du secteur ont sollicitée (via le SP2C) à cet effet également, a répondu que “son agenda était très chargé”.
Par Manuel Jacquinet
Photo de une : sur un centre d’appels de l’un de ces prestataires, le portillon qui sépare la salle des téléconseillers dédiés au customer service d’Amazon des autres plateaux. Les sites doivent se conformer à des normes précises telles que PCI DSS ou sites sûrs (la terminologie utilisée par Engie pour valider que le site de l’un de ses prestataires est conforme à ses exigences). © Edouard Jacquinet