Un passage à l'hôpital est une expérience marquante pour un patient.
« Selon le parcours de soins suivi, on ne mesure pas l’expérience patient de la même façon », Anne-Sophie de Lima Lopes, Directrice d’Hôpital au CHU de Nantes en charge des usagers, services aux patients et partenariats innovants.
Données de santé, parcours patients et mesure de la qualité et de la conformité de celui-ci, du parcours de soins, irruption de logiciels qui vont aider à ceci et notamment à la personnalisation de l'accueil, les mêmes concepts et items que ceux qui sont embarqués dans le Retail ou le e-commerce s'exportent désormais dans l'univers du soin. On a bien vu d'ailleurs que des acteurs tels qu'Amazon, Hoppen ont saisi cette rupture et évolution et fourbissent leurs armes, stratégie. Ci-après, l'entretien exclusif mené avec une femme passionnée par le sujet et impliquée à Nantes, au CHU.
Lorsqu’elle a participé, en 2017, presque en voisine, à son 1er Forum de l’expérience client (une manifestation qui se tient chaque année à La Baule et qui fêtera cette année sa 7ème édition), la jeune directrice des usagers, services aux patients et partenariats innovants du CHU de Nantes avait été l’une des participantes les plus studieuses du Forum : prenant des notes, osant parfois quelques questions après avoir pris le soin d’excuser la candeur ou le caractère insolite de ses interrogations, pourtant pertinentes, du fait des différences du secteur public. On n’imagine pas d’emblée que des hôpitaux commencent à embarquer des concepts, initier des réflexions autour de l’expérience de leurs patients, comme des parcours de ceux-ci. On a tort : les acteurs publics de santé ont entamé de vraies réflexions pour s’occuper mieux et bien de leurs patients, tout au long de leur court ou long séjour. Qui peut commencer par une tentative de prise de rendez-vous avec un praticien. Et là déjà, tout ne coule pas de source.
Entretien avec une directrice passionnée et fort occupée par tous ces projets, dans l’un des hôpitaux de France qui n’a pas l’intention de faire de la figuration sur ces thématiques.
En-Contact : Pourquoi s’occupe-t-on désormais de l’expérience patient, dans des hôpitaux comme celui où vous officiez ?
Anne-Sophie de Lima Lopes : Parce que nous avons à cœur d’offrir le meilleur service public hospitalier possible aux usagers ! Après avoir longtemps travaillé sur la qualité des soins, nécessité première pour sécuriser les prises en charge, les retours d’expérience des usagers nous obligent à porter de plus en plus attention à la qualité ressentie. Clairement, un passage à l’hôpital est une expérience marquante pour un patient. Il a besoin d’être rassuré, accompagné et écouté tout au long de son séjour. Il est donc très important que les hôpitaux portent attention au ressenti de leurs patients pour améliorer leur appréciation de la qualité du service. Nos concurrents, notamment les cliniques privées, ont parfois plus investi ce champ. Nous devons donc nous y engager pour renforcer l’attractivité de nos hôpitaux. L’offre de soins, la qualité de celle-ci n’est pas le seul critère d’autant qu’on ne la connait pas avant de s’y être rendu, et il n’est pas toujours facile de l’évaluer pour le patient, sans connaissance technique ou médicale.
Sur quoi faut-il agir, et quelle mesure faites-vous, pratiquez-vous sur les items identifiés ? Avec quelles difficultés ?
Nous sommes confrontés, lorsque nous voulons agir sur l’expérience patient, à différentes difficultés notamment la diversité des intervenants à coordonner ; à des organisations pensées de manière parallèle, souvent insuffisamment imbriquées. A titre d’exemple, le parcours administratif du patient n’est pas toujours pensé au même endroit, ni par les mêmes intervenants, que son parcours de soins, encore moins exécuté par les mêmes personnels. L’usager voit l’hôpital comme un ensemble alors qu’il a souvent été pensé en interne, secteur par secteur, selon les étapes du parcours du patient (admission administrative, accueil médical, unité de soin…). Nous négligeons souvent les interstices ou les lieux partagés comme les entrées de nos locaux, les halls d’accueil ou les espaces de circulation. Il faut donc avoir ceci en tête quand on aborde ces questions. Le parcours patient va souvent débuter par une prise de rendez-vous, le plus souvent par téléphone. Néanmoins, les lignes sont souvent encombrées, avec des horaires variables et de multiples numéros. Il est difficile pour l’usager de s’y retrouver. En effet, les organisations sont pensées au niveau de chaque secrétariat (il y a plus de 150 services au sein du CHU de Nantes). Cela ne correspond plus aux attentes des usagers, qui veulent pouvoir prendre rendez-vous facilement, à toute heure, depuis leur ordinateur ou smartphone, ou qui souhaitent plus de réactivité lorsqu’ils contactent nos services. Nous travaillons à ces organisations, pour plus de transversalité et une meilleure réponse aux usagers en la matière. De même, nous développons actuellement la prise de rendez-vous en ligne avec Doctolib. Pour l’expérience patient, liée à son parcours de soins dans son ensemble, la mesure est évidemment délicate puisqu’il faut déterminer ce qu’on va mesurer, ce qui définit la qualité des soins pour le patient. On peut au moins s’attacher à la facilité relationnelle avec les personnels soignants, comme aux petites attentions facilitant le parcours, ou aux services mis en place pour l’usager pour faciliter son quotidien.
Où en est l’établissement dans lequel vous travaillez ?
A des niveaux différents selon les sujets. Nous avons fortement sensibilisé nos professionnels à cette question. Nous mesurons la satisfaction des patients quant à l’expérience qu’ils ont vécue, sachant que les questionnaires sont différents selon le parcours de soins concerné : hospitalisation, consultation, ambulatoire, maternité, pédiatrie, psychiatrie ou encore médecine physique et réadaptation. Nous tentons de mesurer le taux de satisfaction générale, comme le NPS (Net Promoter Score). L’un des enjeux véritables est de construire ces questionnaires avec les personnes impliquées et participant au parcours de soins, afin de leur fournir régulièrement des indicateurs objectifs, comme autant de leviers d’actions et d’amélioration en proximité. Sinon, ça risque fort de ne pas servir à grand-chose ! En parallèle de ces questionnaires que nous adressons aux patients, nous souhaiterions développer d’autres techniques telles que les focus group, le testing notamment sur les process d’accueil physique ou téléphonique ou encore le shadowing : nous suivons en doublure une ou plusieurs étapes du parcours pour voir ce que ressent le patient. Un des autres chantiers consiste à mesurer l’expérience du professionnel de santé, au même titre que celle du patient, pour croiser les regards et identifier les marqueurs positifs et négatifs croisés afin de définir des actions améliorant l’expérience des patients, comme celle des professionnels. Je dirais donc, en résumé, qu’on a bien conscience des enjeux, des questions qu’ils recouvrent et que nous nous sommes fortement engagés dans la démarche pour embarquer tous ceux qui sont impliqués, notamment les professionnels de terrain. Nous portons ainsi une réflexion de fond sur la nature de la qualité du service public hospitalier que nous souhaitons offrir, sur le ressenti du patient et pas seulement sur la qualité médicale.
Le CHU de Nantes – © DR
Tous les hôpitaux en sont-ils au même stade d’avancement, de réflexion ?
Non, cela est variable selon les établissements en fonction de leur réalité territoriale, de leur gestion de la relation usagers ou de leurs priorités stratégiques. Nous avons cependant en commun de défendre toujours le service public hospitalier, de vouloir le faire progresser, en sécurité et en qualité mais avec différents outils. Certains établissements, essentiellement des CHU, ont pris de l’avance sur ces questions : celui de Lille dispose d’une délégation marketing étoffée depuis plusieurs années et pratique déjà une écoute des usagers assez régulière et poussée. Le CHU de Strasbourg a créé la fabrique de l’hospitalité, en s’appuyant sur une démarche « design thinking ». Enfin, l’AP-HP (Assistance Publique Hôpitaux de Paris) a mis en place le Label Hospitalité pour mettre en valeur les initiatives des équipes pour une meilleure expérience patient, ce dans une logique différenciante incitative. Ce ne sont que des exemples ; en sus, au-delà de la dimension patient, nous réfléchissons aux moyens d’agir en faveur de la qualité de vie au travail des professionnels. Car c’est dans tous les cas un cercle vertueux : un professionnel bien dans son établissement sera forcément plus à l’aise dans sa relation aux patients.
Pour ce qui nous concerne, nous sommes parfaitement conscients des enjeux et des contraintes. Partout je crois, identifier les bons indicateurs, les mesurer semble la première étape, pour mettre en place ensuite des plans d’actions construits avec les différents personnels, en adéquation avec ce qu’attendent réellement les usagers. Cela me semble être une bonne méthode.
Le CHU de Nantes a été l’objet d’une plainte voici deux ans, pour le cas d’un patient qui a estimé que le SAMU n’avait pas pris en charge suffisamment vite l’appel et la demande du patient, qui a souffert de plusieurs séquelles. Cela a-t-il constitué un facteur déclencheur sur la nécessité de revoir les gestions de prise d’appels ?
Le SAMU, comme l’ensemble des services du CHU de Nantes, est dans une démarche déterminée d’amélioration continue de la qualité et de la sécurité des prises en charge, depuis de nombreuses années, en cohérence avec les exigences de qualité de la Haute Autorité de Santé. Cette situation, comme chaque dysfonctionnement repéré, a été analysée pour en tirer des actions d’amélioration, sur tous les plans (organisationnel, relationnel usagers, droits des patients, médical, soignant, administratif, etc…).
Au regard de son activité (plus de 550 000 appels par an pour le Centre 15 de Nantes) et de la complexité de la régulation médicale téléphonique, des dysfonctionnements sont toujours possibles. En parallèle, l’important est de pouvoir apporter des réponses aux usagers concernant leur prise en charge et de pouvoir les accompagner dans la défense de leurs droits. En tant que directrice d’hôpital, c’est mon rôle et ma responsabilité. Cela se fait toujours dans une logique d’écoute et de transparence, mais surtout d’amélioration continue de la qualité de nos services. Celle-ci repose, il ne faut jamais l’oublier, sur l’engagement de professionnels qui s’impliquent chaque jour pour assurer la continuité des soins 24h/24 et 7j/7 !
Quelques faits marquants :
• Les protocoles interactifs de dialogue avec les patients sont identifiés comme perfectibles, par exemple : les modalités de décroché du téléphone, l’existence d’un message téléphonique pour chaque secrétariat en cas d’absence ; la capacité à faciliter la prise de rdv par téléphone, la prévenance systématique de l’annulation du rdv par le médecin lorsque le rdv doit être annulé afin que le patient ne vienne pas au rdv inutilement.
• Les questionnaires de recueil de la satisfaction sont différents selon le secteur qu’a visité l’usager et le type de parcours de soins effectué.
• Un poste de community manager existe au sein du CHU, pour interagir avec les usagers via les réseaux sociaux ; elle répond aux avis et commentaires laissés sur les médias sociaux, qu’ils soient positifs ou négatifs, en proposant un premier niveau de réponse et en orientant vers le service adapté. De même, tous les verbatim sont repris et analysés, comme ceux recueillis via les questionnaires de satisfaction.
• L’APHP a créé un Label Hospitalité, au sein de ses établissements.
Par Manuel Jacquinet