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Sans superviseurs, les centres de contacts sont plus efficaces. Fnac et Intelcia le confirment

Publié le 07 juin 2023 à 08:34 par Magazine En-Contact
Sans superviseurs, les centres de contacts sont plus efficaces. Fnac et Intelcia le confirment

La Dean’s good idea. Dean Groman, ex-dirigeant de Sitel (Foundever) en France a inspiré un spécialiste du BPO (Intelcia) et Fnac-Darty qui ont mené tous deux une expérience inédite mais fructueuse : supprimer les superviseurs sur les plateaux téléphoniques et permettre à des équipes d’agent de s’auto-gérer. Les résultats ont été marquants et les anciens superviseurs ont changé de mission. Genèse, récit et résultats d’une innovation RH courageuse, pas forcément dupliquable partout, selon Christophe Famechon, de Fnac-Darty. 

L’idée et comment elle a germé ?

Dean Groman © Edouard Jacquinet

Dean Groman : Au printemps 2018, je quitte Sitel (devenu Foundever) où j’avais dirigé le marché français et les RH EMEA. Et décide de devenir coach professionnel ; au cours de ma formation, je tombe sur le livre de Frédéric Laloux, « Reinventing Organizations ».  Laloux est un ancien de chez McKinsey, diplômé de l’Insead, qui évoque dans son livre, remarqué, des d’entreprises où n’existent pas de niveaux hiérarchiques, où l’on peut être soi-même, où l’on se focalise sur le sens plutôt que sur des prévisions financières.  Inspiré, je me dis « Et si on appliquait ces principes aux centres de contact ? ». Je me fends d’un article légèrement provocateur dans En contact intitulé : « Il faut supprimer les superviseurs dans les centres d’appel ». Laurent Volkoff, alors patron de la formation chez Comdata au Maroc, évangile du superviseur-coach est presque outré par mon article et appelle son vieux camarade Christophe Famechon, lui-même directeur de la relation client de Fnac-Darty « Tu as vu l’article de Dean ? Je suis intrigué, et même perplexe : ça met tout de même à bas des années de travail ». Christophe, amusé et curieux, demande à Laurent de nous mettre en contact. En septembre, je rencontre Christophe et lui conseille la lecture du livre de Laloux, qu’un ancien DRH de Darty lui avait offert.  Profitant de ses vacances, il le dévore et conclut à la nécessité de..faire quelque chose.

L’expérimentation, chez Intelcia, prestataire, et Fnac-Darty, dans un centre internalisé.

DG : Un an plus tard, fin 2019, Laurent m’appelle et m’invite à venir partager mon expérience de manager au sein de leur Club 15, une entité dédiée à la formation des hauts potentiels chez Comdata, au Maroc. J’y apprends que Christophe a lancé une campagne de recrutement intitulé « Soyez votre propre manager » avec Nora Ait El Machkouri, manager chez Intelcia. Malgré le peu d’intérêt suscité, ils sont parvenus à monter une toute petite équipe de 3 ou 4 personnes, qui travaille en autonomie. Pratique. Je rencontre l’équipe : au beau milieu du plateau télévente Darty, 4 collaborateurs s’auto-dirigent. Le projet  a été est baptisé « Call center agile » pour susciter l’envie et éviter de faire trop peur en parlant d’autonomie. Nora insuffle la méthodologie, inspirée de Laloux, mais elle se positionne en coach et non en boss. Ils tâtonnent et me posent beaucoup de questions tandis que je leur en pose en retour (je suis coach…). Le dialogue est riche et apprenant pour tous.

Le lendemain, je reçois un sms de Christophe, plutôt laconique, me proposant d’accompagner le déploiement du test sur un site en France. Je réponds oui, l’aventure est lancée, sur le site de Bègles, en Gironde, en Septembre 2019. L’ex directrice du site est partie dans le groupe pour s’occuper des questions de livraison et Christophe Famechon est donc devenu lui-même le directeur du site à temps partiel. Il profite de l’opportunité pour lancer un 1er stade de délégation et  demande aux superviseurs de prendre en charge une partie du job de directeur. C’est parti, avec beaucoup d’enthousiasme, une envie réelle de participer même sans trop savoir où  tout cela mènerait. Une grande énergie positive a été un des moteurs importants. Vient le temps de la structuration : nous prévoyons de créer des équipes autogérées de 7 personnes, au sein de laquelle seraient prises en charge progressivement de plus en plus de tâches qui incombaient auparavant aux superviseurs ou aux fonctions de support :  le recrutement, le formation,  la qualité, et même le parcours client. Les superviseurs changeraient de posture en devenant des coachs. Leur rôle ne serait plus de donner les réponses, mais d’aider les équipes à les trouver elles-mêmes.

Quand la Covid 19 manque de mettre à mal la belle expérience.

Après une réunion plénière de lancement, qui suscite assez peu d’enthousiasme mais fait naitre bien des réticences, nous convenons de nous appuyer sur les plus inspirés pour lancer les premières équipes et puis, patratas, le Covid déboule. « Ce qui était un projet clair et structuré a muté en un lancement chaotique », raconte Christophe. « Mais le chaos nous a servis : il nous a obligés par la force des choses à faire confiance, à construire des modes de travail encore plus en rupture ». Au déconfinement, les collaborateurs sont partants pour poursuivre le projet, et nous continuons donc à lancer des équipes. Celles-ci s’auto-constituent, les personnes décidant d’elles-mêmes avec qui elles ont envie de travailler.  Cela ne se fait pas sans heurts. Pour les aider à réguler les relations, nous produisons une charte de fonctionnement qui décrit les grands principes (comment prendre des décisions, régler des conflits) qui  s’avère un échec : trop compliqué. Les équipes décident de la remplacer par un socle de valeurs, limité à trois principes, que tous s’approprient : l’implication, la solidarité et l’intégrité. Plus simple, fonctionnel. Pendant ce temps-là, l’équipe agile au Maroc grossit. 126 collaborateurs répartis sur 2 sites (Casablanca et Meknès), font de la vente à distance et du service client, au téléphone et par tchat.

Evènement team-building d'Intelcia à Marrakech

Les résultats, les enseignements.

Au Maroc, chez Intelcia, les équipes CCA (call center agile) délivrent et enregistrent les  meilleurs résultats de vente à distance, tous sites confondus. La démarche est soutenue par la direction d’Intelcia qui en reconnait l’intérêt, allant même jusqu’à produire un livre blanc sur le sujet. A Bègles, les résultats sont également frappants : alors que le site se situe souvent en tête sur les  KPI opérationnels, c’est surtout sur les indicateurs RH que l’impact est le plus spectaculaire : le turnover est divisé par 2, l’absentéisme passe de 12% en 2019 à 3% en 2022, et l’engagement des collaborateurs explose (le NPS collaborateur est passé de -27 en 2019 à +30 en 2022) alors que le nombre d’encadrants passe de 7 à 4. Pour Christophe Famechon, la maison doit cependant être bien construite : « La transparence de l’information, la sincérité des échanges, des rituels bien définis et respectés constituent les briques préalables à mettre en place. On ne peut pas fonctionner et carburer seulement à l’énergie», indique-t-il : « Les encadrants et fonctions de support sont  comme des parachutes ; quand on s’en passe, on peut aller très loin, mais à condition de respecter les processus et rituels de fonctionnement qui garantissent une communication régulière et non-violente. Pour moi, c’est surtout une démonstration supplémentaire du principe de Pygmalion : croire dans le potentiel de réussite d’un individu face à une action donnée suffit pour obtenir un effet positif sur le résultat. Autrement dit, en faisant confiance aux individus et aux équipes on leur donne envie de venir, de rester et de trouver du sens dans ce qu’ils font.»

Pour aller plus loin :
Le livre blanc d’Intelcia est dénommé : Organisation Agile. Dean Groman est coach et associé au sein de la société Goodcoaching (Goodcoaching.eu).

La Dean’s List est bien connue des élèves des grandes écoles et universités. Elle recense les meilleurs éléments d’une promotion. La Dean’s Method  pourrait révolutionner le management des centres de BPO, sera-t-elle industrialisée, déclinée ?

Reinventing Organisations, de Frédéric Laloux a été publié en 2014. Un grand article du NYT avait décrit le livre et les travaux menés par son auteur comme un des livres majeurs du management, Putting soul back into business etc.. L’article en question décrivait la genèse du quiet quitting de l’ex partner dans un grand cabinet de conseil : « When I listened to the sadness, I realized it was a form of grief. The work i had loved so much  was work I simply couldn’t do any longer. I came to the realization that I was in a different place than the executive teams of the large corporations with whom I had been working with. I just couldn’t work with these big organisations anymore. They felt too soulless and unhealthy to me, too trapped in a rat race of just trying to eke out more profits.”

Article du NYTimes de Tony Schwartz, du 19 Septembre 2014.

La question de la performance des centres d'appels, de BPO, de leur efficacité comparée selon qui les dirige et le pays où ils sont localisés, est un sujet ancien, passionnant. Tony Hsieh, le fondateur de Zappos a écrit sur le sujet, tout comme Charles-Emmanuel Berc. Venez en parler et découvrir des initiatives intéressantes, le 22 juin. Webinaire.

22 juin à 11h
Comment réconcilier la performance économique et le développement humain ? 
Thierry Chamouton n’a pas pris sa retraite. Confessions avec Caretocare.
Le 22 Juin, un webinaire séduisant, de par sa thématique et son intervenant. 
A Casablanca, au Creusot, comme on l’a raconté ici, l’équipe de Caretocare fait des merveilles pour dynamiser l’engagement des commerciaux sédentaires, des chargés d’écoute.

Quand : le 22 Juin à 11h.
Pour vous inscrire, c'est ici.

 

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