Raphael Linossier (J4S), spécialiste des call-centers: «Mon concurrent, c’est Netflix»
Randstad, Proman ou J4S, quel acteur du travail temporaire et du recrutement s'avère efficace et rapide pour vous aider à trouver en France des collaborateurs engagés : des manutentionnaires, des commerciaux sédentaires, des spécialistes du recouvrement etc ?
Randstad dans les choux ? On a tenté, comme on l'a raconté ici, de joindre Randstad, qui récompense chaque année les 10 meilleurs télé-conseillers de France si l'on en croit l'AFRC. Mais il y a des process chez Randstad, comme dans de nombreuses grandes entreprises. Après un mois de tentatives, on a abandonné nos velléités de parler à un être humain chez ce grand acteur mais on est parvenu en revanche à joindre le patron dynamique d'une PME du secteur, J4S, réputée pour son sérieux et sa légitimité dans le secteur de la relation client. Travailler pour Majorel et Teleperformance, Armatis et les contenter ne s'improvise pas.
Dans les petits papiers (pizzini) de Raphaël Linossier, président directeur général de J4S Intérim et Recrutement, qui nous parle de son parcours et de son goût pour la rencontre. Son objectif ? Aider les gens à s’épanouir pleinement dans un travail, fait pour eux, quitte à prendre parfois des décisions compliquées.
Quel est votre parcours et comment en êtes-vous arrivés à ce métier ? Quelles sont les joies et complexités liées à votre poste ?
À la base, je voulais être médecin de campagne pour prendre réellement du temps avec les gens. Finalement, j’ai arrêté médecine en fin de troisième année pour faire une école de commerce, l’ESG. En sortant, j’ai récupéré la Junior Entreprise de l’école, qui consistait à faire travailler d’autres élèves. On recrutait pour des missions de télémarketing et dans l’événementiel… et comme on s’en sortait bien, on a décidé, avec deux autres membres de la JE, de créer notre propre centre d’appels, LP2. À l’époque, on faisait de la collecte de fonds humanitaires pour de grandes associations et le service d’assistance aux locataires pour une filiale des HLM de Paris. L’activité était passionnante et m’a beaucoup appris sur les centres de relation clients, j’ai donc choisi de revendre notre plateau à l’un de nos clients pour me focaliser sur le recrutement en créant J4S, une agence d’intérim et de recrutement spécialisée dans les centres d’appels et les services clients. Cela fait maintenant plus de 25 ans que je dirige J4S. C’est une belle aventure humaine, avec des équipes investies et performantes. Chaque collaborateur est spécialisé dans le métier pour lequel il recrute. Ainsi, nous comprenons les besoins du client, ses attentes, mais aussi celles des collaborateurs, de sorte que les candidats puissent s’épanouir au sein de l’entreprise cliente. Mes deux moteurs sont la passion et la bienveillance, ce sont ces deux piliers qui construisent ma vie et mon entreprise.
Quelles sont les joies de votre métier et de votre poste, vous qui êtes en contact avec l’humain et au milieu de la chaîne employeur/collaborateur ?
L’humain est passionnant, les ressources humaines une source inépuisable de rencontres et de découvertes, de bonheurs et de déceptions, bref, d’émotions. On n’a pas un boulot simple. D’un côté, nous avons le client, exigeant et impatient, qui attend la perle rare pour hier ; de l’autre, le candidat qui a besoin d’être sélectionné, accompagné, orienté, motivé, encouragé et formé pour être présenté. Pour sélectionner le bon candidat, il faut en rencontrer beaucoup. 1 sur 60, en télévente par exemple.
Mais notre job est de présenter à notre client LE bon candidat, pas le « peut-être » mais celui qui saura s’épanouir au sein du poste proposé, partager les valeurs de l’entreprise, défendre ses couleurs. Pour cela, on n'attend de remerciements de personne. Notre vrai plaisir est de constater qu’on a bien fait notre job et qu’on a placé le bon candidat au bon poste. La règle d’or, chez J4S: être fier du candidat que l’on envoie chez notre client et fier du client chez qui on envoie le candidat.
Pour cela, il faut parfaitement connaître le client et la mission. Visiter le centre, discuter avec le client, comprendre ses besoins, ne pas se limiter à la lecture de la fiche de poste. On développe forcément des relations humaines, on travaille avant tout pour la personne qui nous contacte, on se décarcasse pour trouver le mouton à cinq pattes ; que la deadline soit proche ou pas, c’est ce qui fidélise nos clients depuis vingt-cinq ans. La plupart de nos partenaires actuels sont des clients de longue date qu’on a su fidéliser. Certains sont devenus des amis. J'en ai même épousé une ! Si ça n'est pas du service client !
Pendant une discussion au forum ECTFF, un de vos anciens candidats, Guillaume Blanc de chez ImmoPotam, disait que votre plus grand concurrent, c’était Netflix ?
Il est évident que l’attraction exercée par une bonne série Netflix est très puissante et que bon nombre de personnes sans emploi privilégient ce choix, visionner une série, au travail. C’est une concurrence directe dans l’épanouissement, l’accomplissement des gens, et le principal frein que je vois à leur « réalisation ». Toute la subtilité de notre mission est donc de dénicher le candidat motivé qui parviendra, de par son adéquation entre la mission et sa personnalité, à s’épanouir dans son travail. Confucius disait « Choisissez un travail que vous aimez et vous n’aurez pas à travailler un seul jour de votre vie ».
Leur montrer qu’ils peuvent s’éclater dans un métier qui leur correspond vraiment, c’est ça notre job. Tout le monde est fait pour faire un métier, le tout est de trouver la bonne mission pour la bonne personnalité. Notre objectif est de faire se rencontrer ces deux éléments. Quelqu’un qui réussit dans un job s’épanouit ; or, en s’épanouissant on existe. C’est comme ça qu’on rencontre des gens, que l’on s’épanouit et que la vie évolue.
Cette sélectivité entraine une seconde difficulté de notre métier: dire non. Nous ne sommes pas dans un monde merveilleux, et nous devons souvent dire non à un candidat. Choisir c’est renoncer, c’est, en tout cas, répondre souvent négativement à des candidatures qui ne semblent pas, de notre point de vue, correspondre à la mission. Il nous faut alors savoir le dire au candidat, de manière claire, de façon à ne pas le dévaloriser car il faut penser à l’après, à la prochaine candidature du candidat.
Du côté du client, il faut également accomplir notre mission en toute responsabilité. Trouver le bon candidat prend parfois du temps, et le client pourrait s’impatienter. On a donc comme règle d’informer notre partenaire tout au long du process. On peut mettre trois semaines à effectuer notre travail. Dument informé un client attend. Si on lui dit au contraire que la mission sera achevée en 48h, et qu'on ne le fait pas, ça devient compliqué.
Comment s’organise votre journée de travail ? Y a-t-il de la place pour le télétravail pour vous ou vos collaborateurs ?
Mon planning quotidien ? Faire ce qui n’était pas prévu. Chaque matin, j’arrive au bureau avec une liste de tâches administratives urgentes à faire avant la fin de la journée, et quand je pars du bureau, je n’ai souvent pas encore commencé la liste. Donc, bien souvent, je travaille le soir. J’ai la chance d’avoir une épouse qui travaille beaucoup également. J’ai surtout la chance d’avoir des collaborateurs fiables, efficaces et motivés, depuis longtemps dans l’entreprise: je peux compter à 300 % sur eux et je leur accorde ma totale confiance. Elles connaissent mon numéro de carte bleue mieux que moi et peuvent traiter des sujets extrêmement précis tout en ayant.. carte blanche.
Chez J4S, très peu de télétravail. Le télétravail a rompu les liens entre les collaborateurs et, dans notre métier, il est primordial que les gens soient soudés les uns avec les autres. Quand survient un besoin urgent sur un pôle, une activité, un client, tous les pôles doivent s’y mettre pour que ce soit efficace. Le contact humain est vital dans notre profession. Pouvoir échanger de manière informelle sur un dossier, un candidat, une solution augmente la qualité de service, la qualité du résultat et la satisfaction de tous. Et je rappelle que la satisfaction du client et du candidat est notre rémunération, notre encouragement, notre source de motivation.
Quels sont vos principaux chantiers en matière d’expérience client, de techno et d’expérience collaborateurs ?
Mon vrai sujet d’actualité, c’est de faire croître J4S sur la partie relation client. Je travaille beaucoup pour ce secteur, pour des plateformes internalisées et de petits centres d’appels. Mon objectif du moment est de répondre aussi aux demandes des plus gros spécialistes du BPO.
Grâce au logiciel BeSTT, notre logiciel métier, on a fait évoluer l’automatisation de la relation intérimaire-client pour être plus réactifs, plus efficace, plus précis. On se remet constamment en cause et on continue d’améliorer le système. L’IA est un sujet ultra important et qui, à mon sens, ne va pas détruire des emplois, mais améliorer la relation qu’on peut avoir avec les gens en pré-mâchant certains éléments. On réalise d’ailleurs des tests avec des chatbots qui s'avèrent hyper intéressants et qui ont de bons résultats. Mais ne nous méprenons pas, au-delà de l’intelligence artificielle, il y aura toujours l’humain.
Baudelaire disait que « le génie, c’est l’enfance retrouvée à volonté ». Qu’est-ce que cette phrase vous inspire ?
Un enfant a trois qualités merveilleuses : Il est vierge de toute idée préconçue, instinctif et bienveillant. Et je crois que, dans notre métier, si on maintient cette neutralité initiale, si l’on écoute son instinct et que l’on reste bienveillant, on deviendra efficace et heureux comme un enfant. L’enfant est heureux de tout parce qu’il découvre à chaque instant quelque chose de nouveau. Peut-être que notre difficulté d’adulte est que nous nous mettons des barrières là où il n’y en a pas. Je trouve très intéressant, quand je récupère des stagiaires ou des jeunes, de leur confier un projet en leur disant qu’ils ont carte blanche. S’ils oublient leurs peurs, leurs freins, qu’est-ce qu’ils feraient dans ce cas ? Cela donne des idées souvent surprenantes et disruptives, qui remettent en cause des process établis.
Vous travaillez beaucoup, avez des journées longues et chargées. Est-ce que vous parvenez tout de même à trouver un équilibre entre le professionnel et le personnel ?
J’ai une chance merveilleuse: mon boulot est mon échappatoire. Voir mes clients, rencontrer des candidats, des partenaires, c’est mon plaisir. J’adore aller visiter les usines, les entreprises, même lorsque je suis en vacances. J’aime aller au-delà des apparences et comprendre tout le travail qui existe derrière la conception d’un gâteau, d’un objet ou d’une voiture. Je suis admiratif du savoir-faire d’un ouvrier qualifié, d’un maroquinier passionné, de l’ingéniosité de concepteurs doués ou d’un commercial enjoué. J’adore rencontrer d’autres cultures et d’autres idéologies complètement différentes des miennes.
Et puis, le challenge de la recherche du mouton à cinq pattes, de la perle rare est chaque fois nouveau. Ouvrir la porte de l'emploi à un profil compétent et méritant, pressentir que le candidat va s’épanouir au sein de l’entreprise que vous lui avez choisie, tout cela c'est du plaisir à l’état brut !
L’histoire des pizzini
À l’occasion de l’arrestation de Bernardo Provenzano, le chef suprême de la Mafia, le 11 avril 2006, on a découvert ce qui avait permis à ce chef de donner et transmettre ses ordres à ses caporaux, dans une organisation attachée à la discrétion. Provenzano donnait ses ordres par le biais de pizzini, des petits messages roulés en boule, de la taille d’une boulette de mie de pain. Grâce à la découverte de centaines de ceux-ci, la police et les juges anti-mafia vont remonter jusqu’à des dizaines de sous-chefs, mais le plus passionnant, expliquait au Figaro Deborah Puccio-Den, anthropologue et chercheuse associée de l’EHESS, spécialiste de l’étude de ce mode de communication, est la découverte du vocabulaire et des raisons qui ont amené à utiliser ces petits papiers. Pour éviter l’écoute des téléphones portables, échapper aux micros posés par la police, Provenzano avait systématisé ce moyen de communication qui peut sembler archaique. Les pizzini étaient toujours tapés à la machine par Provenzano, les interlocuteurs identifiés non par leur nom. A la fin du message, on trouvait toujours : Dieu vous bénisse et vous protège.