Quelle somme SNCF Connect a-t-elle déboursé pour obtenir le label Elu Service Client de l'année ?
“Le service client de SNCF Connect est l'un des plus critiqués de France, il a pourtant remporté l'Election du service client de l'année. En enquêtant sur la société qui organise cette élection et décerne ce label, on découvre que c'est un très bon business (..) pas très transparent ". Anissa Arfaoui, cheffe du service économie de Factuel Media, a été interviewée sur Sud Radio.
35280 euros pour remporter et avoir le droit d’utiliser un logo ? Qui est et comment travaille Viséo Customer Insights ? Le média indépendant Factuel Media a enquêté sur SNCF Connect et l’obtention du label Elu Service Client de l’année, « une plaisanterie selon la FNAUT ». Anissa Arfaoui, cheffe du service économie de Factuel était interviewée sur Sud Radio, le 13 avril, par Stéphane Simon.
Stéphane Simon (SS) : Anissa Arfaoui, vous vous êtes rendue compte que pour redorer le blason de son application, la SNCF n’hésitait pas à se targuer du label « Service Client de l’année » qui ne correspond pas à grand-chose.
Anissa Arfaoui (AA) : Effectivement, ce prix correspond à un logo, une récompense arborée fièrement par les entreprises qui s’en targuent. Il faut savoir que l’élection du Service Client de l’année est organisé par une entreprise privée qui s’appelle Viséo Customer Insights. Elle existe depuis 2017 et n’a rien à voir avec une institution étatique habilitée à juger de la qualité d’un service client.
SS : On pourrait penser que ça récompense un service client optimal, mais c’est donc plutôt du registre de la plaisanterie pour les utilisateurs ?
AA : On pourrait croire à une plaisanterie si cette distinction n’avait pas été donnée en décembre dernier, très officiellement fin novembre 2023. Pour les utilisateurs, c’est bien une plaisanterie de mauvais goût puisqu’il s’agit d’un des services clients les plus critiqués de France. On peut facilement trouver sur les réseaux sociaux des ressentis. Sur X, il y a un florilège de commentaires allant de la moquerie à la surprise, par exemple : « Comment est-ce possible ? ; Qui a voté ça ? ; Est-ce encore une étude bidon ? ». Je ne cite que les tweets les plus gentils. Autant de commentaires qui marquent une opinion publique majoritairement opposée au sésame décerné.
SS : En lisant votre enquête, on découvre que la SNCF a déboursé 35 280 euros pour utiliser ce logo Service Client de l’année.
AA : Oui, c’est une enquête qui a été signée par une collaboratrice de Factuel.media qui s’appelle Chloé L'Afféter. Le logo n’est pas gratuit. 60 millions de consommateurs ont été les premiers à écrire leur stupéfaction sur le sujet en novembre dernier. Dans le règlement intérieur du concours, tout est détaillé sur le paiement. Rien que pour s’inscrire, il faut débourser 13 680 euros. Si jamais une entreprise gagne, pour pouvoir utiliser le logo, il faut débourser encore 21 600 euros.
SS : Mais alors pour favoriser ces chances, il faut débourser quelque chose ou pas ?
AA : Ça, c’est la question. Evidemment, c’est difficile à savoir. Tout ce que je peux dire c’est qu’on a du mal à deviner combien d’entreprises concourent en même temps. Au-delà de ces premières sommes, si le gagnant souhaite utiliser le logo à la télévision, il devra débourser 15 000 euros. Certaines entreprises vont donc débourser jusqu’à 50 000 pour ce fameux logo.
SS : Nous allons joindre François Delétraz, président de la FNAUT, La Fédération Nationale des Associations d’Usagers des Transports. Que dites-vous François, de l’élection du service client de SNCF Connect ?
François Delétraz (FD) : Malheureusement, ce service client, personne ne le connait. Quand vous avez un problème, vous appelez le service client de la SNCF. Je ne vois pas comment un service inconnu peut être élu service client de l’année.
SS : Il y a donc tromperie sur l’intitulé même du logo ?
FD : Le logo dit bien « Service Client de l’année », pas « SNCF Connect, site de l’année », mais la confusion dans le grand public a été immédiate. Tout le monde a éclaté de rire en pensant que le site SNCF Connect était élu meilleur site de l’année.
SS : Est-ce que ça vous a étonné ?
FD : Non, SNCF Connect est un accident industriel de la SNCF. Ca a mal démarré, ils corrigent les choses lentement. SNCF Connect n’est qu’une agence de voyage, ce n’est pas le transporteur lui-même, donc il y a des problèmes fondamentaux de logique derrière.
SS : Vous dites que c’est une agence de voyage cachée derrière la SNCF, ce n’est pas si connu, ça.
FD : C’est une filiale de la SNCF. Ce n’est pas la SNCF qui vous vend un billet, mais son agence de voyage sur SNCF Connect. C’est pour ça que quand on a acheté un billet au guichet de la gare, on ne le voit pas sur SNCF Connect. Même des salariés de SNCF Connect ne savent pas qu’ils sont une agence de voyage.
SS : Quels sont les retours que vous avez eus en tant que Président de la FNAUT ?
FD : Une confusion totale, car les gens pensaient que le site était élu site de l’année. Mais la SNCF a joué sur sa demande de label pour mettre en avant SNCF Connect.
SS : Un logo, ça influence le consommateur non ?
FD : Oui, quand le logo va dans le sens du vent, quand ça va dans le sens contraire, c’est pire que tout. Là, il y a un bashing de SNCF Connect depuis un moment, alors c’est une catastrophe, cette annonce. Je pense que la SNCF aurait dû se dispenser d’obtenir ce label. On ignore les conditions d’obtention en plus. Généralement, quand on est mauvais on fait profil bas et on évite de caracoler.
SS : Faut-il être plus vigilant et encadrer davantage les entreprises qui délivrent ce genre de logo ?
FD : On a un vrai problème en France, aussi bien en aérien qu’en ferroviaire. Il y a une multitude de sites qui décernent des prix, mais on ne sait jamais comment ça fonctionne. Il faut faire attention à ça.
SS : Anissa Arfaoui, que disent les autres associations de consommateurs à propos de ce label avantageux pour la SNCF ?
AA : 60 millions de consommateurs s’est insurgé, pour le reste des associations, si toutes n’ont pas publiquement exprimé leur désaccord, toutes celles qui travaillent dans le transport ont eu à défendre des consommateurs contre le service client de la SNCF, donc on ne se mouille pas vraiment en disant que ce prix a surpris les professionnels du secteur.
SS : François Delétraz a dit quelque chose d’important : SNCF Connect est une agence de voyage. Pouvez-vous nous en dire plus ?
AA : En effet, il mentionne aussi que les salariés eux-mêmes ignorent qu’il s’agit d’une agence de voyage. Pour comprendre, il faut remonter le temps. SNCF Connect était à l’origine baptisé « Voyages-SNCF ». En 2001, Expedia était le premier site de voyage aux Etats-Unis et s’est associé à Voyages-SNCF. Aujourd’hui, il s’agit donc d’une agence de voyage franco-américaine privée.
SS : Nous allons joindre un usager, Guillaume. Guillaume, que diriez-vous de l’application SNCF Connect en tant qu’usager ?
Guillaume : Le gros problème, c’est la refonte de l’application qui est arrivée au milieu d’une batterie de rebranding. On ne peut que se demander : pourquoi tant d’argent investi dans l’esthétique pour une entreprise qui a de toute façon le monopole du rail en France ? La nouvelle interface était un casse-tête, le cheminement était un casse-tête, ça manquait de lisibilité avec des typographies mal adaptées. Ils ont apparemment voulu s’inspirer de Spotify et de Deezer.
SS : Ca a coûté combien, SNCF Connect ?
AA : 25 millions d’euros ?
SS : Ça doit être l’application la plus chère au monde. Guillaume, est-ce que cette application vous renseigne au moins convenablement en tant que voyageur, comme sur les retards de trains ?
Guillaume : Les informations importantes sont noyées dans un tas de notifications inutiles et de publicités.
SS : Vous arrivez à changer votre billet sans difficulté ?
Guillaume : C’est aussi complexe. Parfois, le billet peut être changé dans l’application, parfois non. Parfois, le billet disparait même totalement de l’application.
SS : Que pensez-vous de l’attribution du prix Service Client de l’année à SNCF Connect ?
Guillaume : Je suis très étonné.
SS : Comment noteriez-vous cette application sur cinq ?
Guillaume : Je mettrais un sur cinq. Le concept de base est mauvais.
SS : Anissa Arfaoui, est-ce que nos voisins européens s’en tirent mieux ou est-ce un mal français ?
AA : La réponse est malheureusement oui. Nous sommes les seuls à nous trimballer une application aussi difficile à utiliser et critiquée. A tel point que de très nombreux usagers achètent même leur titre de transport sur des sites étrangers. Pour revenir sur la notation de Guillaume, la notation Trustpilot de SNCF Connect est de 1,1 sur 10, il est presque impossible de faire pire que ça.
SS : Est-ce que la SNCF est consciente que cette application ne fait pas l’unanimité ?
AA : Evidemment quand ils prennent la parole, ils en font l’éloge. Ils auraient bien tord de l’ignorer cependant, sinon on pourrait s’interroger ce que fait leur service marketing aussi. Il suffit de se promener sur les réseaux sociaux pour voir comme les utilisateurs sont durs vis-à-vis de cette application. Au demeurant, il y a plusieurs pétitions qui ont circulé sur le net. Il y a également eu des appels au boycott. Si avec tout ça, la direction ignore l’opinion des français, il faudrait réviser ses standards.
SS : N’y a-t-il pas une nouvelle version qui arrive ?
AA : Je n’en ai pas connaissance. Peut-être qu’avec toutes ces critiques, ils vont enfin se mettre à une nouvelle version.
Pour aller plus loin: lisez l'article publié par En-Contact, en novembre 2023, après la remise de ce prix.