Pas d’armistice pour le démarchage téléphonique illégal. Avenir et vertus du phoning ?
Le télémarketing et son fidèle compère le démarchage téléphonique ont environ soixante-seize ans. Pratiqué en mode légal, le second n’a plus guère de modèle économique viable, tant la joignabilité des prospects a diminué, tout comme leur envie de décrocher le téléphone. Sauf à revisiter complètement les parcours clients, les outils, les pratiques. Avenir et vertus du démarchage téléphonique, un sujet d'actualité.
Pour ceux, nombreux, qui s’affranchissent de Bloctel, de la do-not-call list aux US (l’équivalent de Bloctel là-bas), de la loi Naegelen, il continue d’être un eldorado. Les robocalls (les automates d'appels) sont leurs meilleurs amis, ainsi que des scripts d'appels et argumentaires efficaces. Le témoignage de S.F, télévendeur closer à Fort Lauderdale dans les années 2010, l’illustre bien. Un grand média américain a publié sa confession, qu’on retrouve, parmi une dizaine d’autres documents uniques, dans un ouvrage instructif consacré à l’avenir du démarchage téléphonique: Ne quittez pas un correspondant cherche à vous joindre. Histoire, avenir et vertus du démarchage téléphonique
Faire cesser le démarchage téléphonique, un vœu pieux ?
65 milliards d’appels ont été mis par des automates d’appels, des robocalls aux USA, en 2023, dont une large part est illégale. Malgré des moyens et amendes significatifs, le harcèlement et les boiler scam calls n'ont pas été éradiqués par la FTC et les General Attorney telle Letitia James.
Trois textes et projets de loi sont à l’étude au parlement en France en ce moment, portés par un sénateur et deux députés. Ils ont peu de chances en réalité de se concrétiser en loi et décrets d’application et d’endiguer le fléau.
Quatre applications reconnues permettent de bloquer les appels intempestifs ou de spam, dont Orange Teléphone, Hiya, True Caller. Cette liste s'est enrichie depuis quelques semaines d'une nouvelle application, créée à Rouen par un jeune boucher féru de programmation d’application, Ryan Moreau. Elle s'appelle Préfixe Bloqueur et compte déjà plus de 1000 téléchargements.
En 2012, aux USA, un concours avec une dotation a été créé pour favoriser l'émergence d'applications anti spams et démarchage téléphonique (call blocking proposal). 800 projets furent remis à l'époque. Il existe également une Robocall Task Force.
Les confessions d'un télévendeur ripoux à Fort Lauderdale.
Embauché en 2010 par une société de time-share dont le call-center était situé à Fort Lauderdale, S.F y a opéré comme closer pendant quatre mois. Il est parvenu à soutirer sur la période à ses interlocuteurs presque 296 000 dollars, sur lesquels il percevait des commissions avoisinant 40 à 50%. Timeshare Mega Media and Marketing Group était une société dirigée par deux criminels déjà condamnés, Pasquale Pappalardo et Joseph Crapella, qui avaient des liens avec la mafia, selon les autorités fédérales. Le timeshare consiste à proposer à des consommateurs d’acquérir un appartement ou une résidence de loisirs, en multipropriété, comme Pierre et Vacances en son temps, mais avec des méthodes de commercialisation agressives.
Au 2652 E. Oakland Park Blvd. à Fort Lauderdale, on trouve un petit centre commercial mais aucun panneau indiquant les bureaux de TMMMG « Je travaillais généralement de l'ouverture à la fermeture, quatre ou cinq jours par semaine et me faisais appeler Allen Rider pour passer mes appels. Tout le monde opérait sous un pseudo, y compris les chargés de service client, un étage au- dessus.Notre job consistait à vendre les propriétés de ceux qui désiraient s’en séparer (..)
TMMMG opérait dans une seule pièce, relativement grande, qui contenait plusieurs postes de télémarketing et des bureaux à l'extérieur. De ce fait, j'ai pu observer d'autres personnes pendant qu'elles travaillaient et j'ai également pu entendre les conversations entre d'autres télémarketeurs et leurs clients. L'activité de TMMMG, consistait à appeler les personnes qui souhaitaient vendre leur multipropriété. Nous leur facturions alors des frais que nous justifions comme des frais liés à la vente. On leur indiquait aussi qu’ils seraient remboursés d’une partie de ceux-ci, après la vente. D’autres closers indiquaient que nous faisions de la publicité pour aider à vendre leur bien.
En réalité, je leur disais tout ce que je voulais pour conclure une vente. Parfois, Joey, un des managers, devenait paranoïaque et courait dans la pièce pour afficher les scripts sur les murs, mais ils étaient arrachés. Il organisait également une réunion une fois par mois pour dire qu'il y avait des reprises de commissions, ce qui signifiait que quelques vendeurs avaient dû faire des choses un peu borderline. Mais on continuait de faire et raconter les mêmes choses et Joey le savait pertinemment !
En plus des commissions, nous recevions également des primes en espèces appelées « spiffs » sous forme de primes de 100 dollars en espèces une fois que le débit de la carte de crédit était confirmé. S’y ajoutaient parfois des Lucky spiffs, une surprime récompensant une performance particulière. C’est pour ceci que j’essayais souvent de « jauger » un consommateur pour voir combien il était prêt à payer. Si le consommateur possédait une multipropriété plus chère, nous pouvions peut-être lui soutirer plus d'argent ? Mon record de vente s’est établi à 10 000 dollars. Dans la majorité des cas, nos clients étaient débités sur leur CB avant même d’avoir reçu le moindre document de notre part.
Alors les clients me rappelaient parfois sur mon téléphone au bureau pour se plaindre du manque d'informations ou du fait que le contrat qu'ils avaient reçu concernait la publicité pour la revente de biens à temps partagé, et que nous ne leur avions jamais parlé de marketing lors de nos appels de télémarketing.
Lorsque des plaintes étaient déposées, je faisais généralement semblant de ne pas être Allen, puis je disais aux consommateurs que quelqu'un examinerait leurs préoccupations ou que je les renverrais au service clientèle. En réalité, je voulais juste raccrocher le téléphone. Il m'arrivait même de payer un autre télévendeur pour qu'il s'occupe de ces appels à ma place. Lorsque mon interlocuteur se révélait particulièrement véhément ou menaçait de se plaindre au Better Business Bureau ou au procureur général, je le transmettais au service clientèle et lui disais d'annuler l'affaire et d'en assumer les conséquences. Joey m'avait appris qu'il était plus difficile pour le client de se faire rembourser par la société émettrice de sa carte de crédit après 60 jours, alors, évidemment, j'essayais de faire patienter le client au-delà de cette période. Je ne répondais pas aux appels des consommateurs après 60 jours, car, après ce délai, cela n'avait plus d'importance.
Je connais plusieurs télémarketeurs de TMMMG qui travaillaient à partir de téléphones portables au bureau et en déplacement. Certains télévendeurs emportaient des fichiers de clients potentiels chez eux. Lorsque j'ai quitté TMMMG, j'ai emporté des fichiers contenant des informations sur les personnes avec lesquelles j’avais contracté. Lorsque les télévendeurs n'étaient plus payés par Joey, certains d'entre eux appelaient des consommateurs dont ils connaissaient le nom grâce aux dossiers de vente et leur demandaient d'envoyer de l'argent par Western Union. C'était un moyen d'être payé sans passer par Joey.
Source et extraits : Graham Media Group.
Qu'est-ce qui a changé depuis 2010 et ce type de pratiques ?
La baisse de joignabilité des prospects et clients a chuté, massivement.
On peut utiliser des logiciels qui permettent d'analyser, en léger différé, les conversations et de superviser la qualité des ventes opérées par téléphone. Ce afin de s'assurer que les ventes sont assises sur des arguments conformes. Un régime minceur qu'on propose “à titre gratuit” alors qu'on propose en réalité de rembourser le test si le client n'est pas satisfait, est une formulation qui a été condamnée par la DGCCRF.
L'encadrement du métier a considérablement été durci mais des escrocs continuent leurs pratiques, aidés par les technologies et mus par une chose éternelle: l'appât du gain rapide. Plus guère dans le timeshare, tombé en désuétude. Scott Miller, l'un des fondateurs du Lagon Vert, a fini égorgé dans une chambre d'hôtel, aux Canaries, comme on le raconte dans le livre. SB, jeune dirigeante à l'époque d'une PME spécialisée en télévente, a prospecté pour Scott Miller, tout comme Sébastien Bonnaz, qui le raconte dans un podcast instructif.
NB: Dans les deux cas, SB et SB pratiquaient leur métier de façon légale
Dans la dernière partie de l'ouvrage, les auteurs du livre ont recensé ce qui est désormais utilisé et testé par les meilleurs patrons de call-center dans le monde. L'enquête a duré quatre ans et a été menée des Philippines à la Suisse romande. Dans la vente de systèmes d'alarme, de panneaux solaires, d'assurance, comment sont organisés désormais les parcours d'acquisition de nouveaux clients. Manifone, l'opérateur télécom qui a le plus oeuvré en France pour promouvoir des pratiques éthiques dans ce métier, a soutenu financièrement l'écriture du livre et l'enquête, sans interférer dans sa composition.
Cotonou, North Lauderdale, Sofia, Tel-Aviv, pour aller plus loin
Il y a un avenir dans ce métier, qui a entamé une révolution copernicienne, indique Charles-Emmanuel Berc, l'un des protagonistes interviewés, mais peu de marques sont disposées et prêtes aux changements radicaux qu'elle nécessite. Le fondateur de Vipp-Interstis a, depuis deux ans, entamé une transformation radicale des activités de son groupe, largement installé en Afrique sub-saharienne.
A North Lauderdale, il existe en tout cas et encore des call-centers où l'on pratique le métier dans les règles, dont celui de Teleperformance. Daniel Julien, fondateur du numéro un mondial du secteur, Teleperformance, y travaille et avait reçu la rédaction d’En-Contact, en 2017. Découvrez son interview, ici : les centres d'appels sont les armées du 3ème millénaire.
Dans la partie 4 du livre évoqué sont intégrés des reportages réalisés aux Philippines, à Cotonou, à Las Vegas (Foundever), chez ADM Value, hipto, des interviews de Jelena Simic, Frank Derville (Orange), Nicolas Panel, Joseph B du Groupe Verlaine, Stelliant ( qui a racheté un des rares spécialistes du fundraising en France, Talk Fundraising) etc.
Photo de une: les époux Pollock, qui ont monté des PAC aux USA, des Political Action Committee, des coquilles juridiques qui permettent de lever de l’argent pour des causes ou des mobiles politiques, sans encadrement précis de l’allocation finale des sommes levées. Ils ont longtemps collaboré avec les sociétés de téléprospection de Richard Zeitlin, dont Courtesy Call Inc. Le 10 décembre 2024, ce dernier connaitra l’issue du procès le concernant : il risque une peine de prison de dix ans. William Pollock est parallèlement officier de police à Las Vegas.
Manuel Jacquinet.