Démarchage téléphonique: 3 nouveaux projets pour imposer l'opt-in. Pour rien?
Le démarchage téléphonique continue gravement d'importuner. L'opt-in est-il la solution comme le pensent le sénateur Pierre-Jean Verzelen et deux autres députés, Louise Morel et Pierre Cordier, qui ont déposé trois nouveaux projets de texte, à l'étude ? S'ils devaient être adoptés, le marché des leads intentionnistes exploserait. Aux USA: Jessica Rosenworcel (FCC) mène la bataille contre les vrais fauteurs, les robocalls. Richard Blumenthal, sénateur démocrate du Connecticut, indique qu'il est très déterminé… Sam J. Pespas, qui a fait une sacrée carrière sur le floor ne croit pas à ces ersatz de régulation.
Dans les médias, ça s’appelle un marronnier : des sujets qui reviennent chaque année comme la rentrée scolaire, la revente sur Rakuten des cadeaux de Noël, le changement d'heure ou la neige en hiver. L’équivalent au Parlement semble bien être le démarchage téléphonique. Tous les ans, une proposition de loi (« PPL ») est déposée à ce sujet. 2024 ne fait pas exception.
Pas moins de trois initiatives parlementaires ont surgi ces dernières semaines pour modifier radicalement le régime actuel du démarchage téléphonique. Elles inquiètent le secteur, probablement à tort: si leur motivation est compréhensible, tout comme le projet Pacitel en son temps ou Bloctel plus tard, la cible sera manquée, faute d'avoir compris ce qui génère réellement le sentiment du harcèlement téléphonique et poursuivi avec constance et moyens adaptés les harceleurs.
• Le 30 septembre, le sénateur Pierre-Jean Verzelen a déposé une PPL visant à interdire le démarchage téléphonique.
• Le 14 octobre, la députée Louise Morel a déposé une « proposition de résolution » invitant le gouvernement à se prononcer en faveur de la modification du régime du démarchage téléphonique au niveau européen.
• Enfin, le 15 octobre, le député Pierre Cordier a déposé une PPL visant à renforcer les droits des consommateurs pour les protéger du démarchage téléphonique.
“Il faut souligner déjà qu'aucun de ces projets n'a intégré une donnée essentielle: une grande partie du sentiment de harcèlement téléphonique provient du grand nombre de sollicitations qui sont hors sujet, voire illégales, indique un prestataire, spécialiste du métier, qui l'a d'ailleurs abandonné. Je n'y gagnais plus ma vie”. Voir le tableau ci-dessous.
Le point commun de ces trois initiatives parlementaires ? Celui du passage à l’opt-in, c’est-à-dire, dans la belle langue de Molière, le passage au consentement préalable des personnes pour pouvoir les démarcher par téléphone. Ce serait une révolution pour cette forme de prospection car la France vit à l’heure de l’opt-out, c’est-à-dire la possibilité d’appeler librement les gens sauf s’ils se sont inscrits sur une liste d’opposition pour ne plus être contacté. Cette liste dite « liste Bloctel » n’a, semble-t-il, pas tout bloqué. Instaurée par une loi de 2014, la liste Bloctel a été mise en place en 2016. Presqu’une décennie plus tard, le système est très décrié. L'UFC-Que Choisir, première association de consommateurs de France, affirme que « le harcèlement téléphonique sur fixes mais aussi mobiles continue d’exaspérer 9 Français sur 10 ».
Les questions parlementaires (des élus au Gouvernement; pour le seul mois d’octobre 2024, on compte 6 questions de députés) récurrentes vont dans le même sens. Ainsi, ce 29.10.24, la députée Christelle Petex alertait la secrétaire d'État chargée de l'intelligence artificielle et du numérique sur le démarchage téléphonique abusif. L'élue écrit : « Au-delà de la gêne occasionnée, ces pratiques répétitives, souvent agressives, s'apparentent parfois à un véritable harcèlement. Malgré l'existence de dispositifs comme Bloctel, force est de constater que ces initiatives ne parviennent pas à éradiquer le problème. De nombreux consommateurs se disent submergés par des appels indésirables, affectant leur tranquillité au quotidien ».
L'exaspération et les trois initiatives parlementaires précitées proviennent de ces constats de relatif échec
L’idée du consentement préalable n’est pas neuve. En 2011 déjà, le sénateur Jacques Mézard avait déposé une PPL inaugurant le passage à l’opt-in (alors que la liste Bloctel n’existait pas encore). Le texte avait été adopté par le sénat. Réinscrit à l’Assemblée Nationale à chaque nouvelle législature (en juillet 2024 pour la 5ème fois), il est pour l’instant restée lettre morte.
La loi Naegelen de 2020 ne semble pas produire les résultats espérés
La dernière loi sur le sujet du démarchage téléphonique, dite loi Naegelen (du nom du député, du Groupe LIOT, des Vosges auteur de la proposition) avait pour ambition de régler à la fois le harcèlement et les appels frauduleux. Adoptée en 2020, cette loi a maintenu le système de l’opt-out et donc la liste Bloctel tout en durcissant fortement le montant des amendes. En outre, plusieurs mesures pratiques prévues par la loi ont été adoptées : en octobre 2022, l’encadrement des jours, horaires et fréquence des appels téléphoniques ; en mars 2023, la version actualisée du code de bonnes pratiques fixant 6 principes déontologiques et 10 engagements pour une prospection téléphonique respectueuse des consommateurs. La loi Naegelen introduisait aussi, pour la première fois, une mesure radicale : celle de l’interdiction d’appeler des prospects en rénovation énergétique. Ce régime vient d’être jugé non conforme au droit européen (lire ici) Malgré les sanctions plutôt sévères prononcées par la DGCCRF depuis 2020, il semble que l’inscription sur la liste Bloctel n’ait pas réduit le nombre d’appels non sollicités.
La PPL du sénateur Verzelen
La PPL déposée par le sénateur Verzelen et plus de 40 cosignataires venant de 5 groupes politiques (dont Les Républicains et l’Union Centriste) sera discutée en séance publique du sénat le 14 novembre. Le texte prévoit la création d’une « liste de consentement » qui serait le miroir inversé de la liste Bloctel : plus aucun prospect ne pourrait être appelé s’il ne s’est inscrit sur cette liste. Une mesure problématique car en pratique peu de gens feront la démarche. Ce qui signifierait la mort du démarchage téléphonique et donc la suppression de dizaines de milliers d’emplois. À supposer que quelqu’un inscrive son numéro de téléphone sur cette liste de consentement pour être appelé par une entreprise particulière pour un bien spécifique, comment cette information sera-t-elle communiquée à la société concernée ? Si la liste de consentement est accessible à l’ensemble des acteurs de la prospection téléphonique, les consommateurs inscrits ne risquent-ils pas d’être gravement importunés ? Bref, autant le principe du consentement préalable est une alternative louable, autant le mécanisme prévu par la PPL pour y parvenir pose de graves problèmes. Au demeurant, là où le consentement préalable existe déjà (en rénovation énergétique, pour les assurances ou encore pour les communications électroniques : sms, WhatsApp, mails), il n’existe pas de liste de consentement. Les prospects peuvent cocher des cases pour marquer leur accord ou laisser leur numéro sur les sites marchands consultés. L’important est que le consentement donné par un consommateur pour l’utilisation de ses données personnelles soit éclairé et spécifique. Selon deux juristes contactés, l'’inscription sur une liste de consentement serait très probablement jugée non-conforme au RGPD ou à la directive européenne, dite vie privée, qui prévoit que « le consentement peut être donné selon toute modalité appropriée permettant à l'utilisateur d'indiquer ses souhaits librement, de manière spécifique et informée, y compris en cochant une case lorsqu'il visite un site Internet ».
La « proposition de résolution » de la députée Louise Morel
Ce texte, cosigné par 72 députés issus de 7 Groupes politiques, invite le Gouvernement à faire en sorte, à l’occasion des négociations en cours relatives à la proposition de Règlement dit Vie Privée, que soit mis en place le consentement préalable généralisé pour toutes les communications commerciales non sollicitées. Cette proposition sera votée en Commission des Affaires européennes de l’Assemblée Nationale le 13 novembre 2024.
La PPL du député Cordier
Le député de la 2ème circonscription des Ardennes Pierre Cordier (apparenté au Groupe Droite Républicaine présidé par Laurent Wauquiez) n’en est pas à son coup d’essai. Après avoir déposé un texte en 2018, il s’est fait voler la vedette par son collègue Naegelen. Depuis, il a déposé deux PPL sur le sujet. La troisième, déposée le 15 octobre avec 23 autres députés de la Droite Républicaine, prévoit elle aussi le passage au consentement préalable. Mais, à la différence de la proposition du sénateur Verzelen, le recueil de l’accord sera soit adressé à l’opérateur de téléphonie pour les abonnements téléphoniques contractés soit recueilli expressément et préalablement par l’entreprise pour le compte de laquelle le démarchage ou la prospection est effectué.
Avant d’être discutée en séance publique, la PPL Cordier sera d’abord examinée par la Commission des affaires économiques de l’Assemblée Nationale. Aucune date n’est fixée. On ne sait pas non plus quelle sera l’incidence de la PPL Verzelen lorsqu’elle arrivera à l’Assemblée Nationale, après le vote du Sénat ce 14 novembre. Deux PPL concurrentes, comment cela se règle-t-il ? Qui sera l'heureux élu dont la loi porterait le nom ?
L’opt-in : une solution à la "sursollicitation" ?
L’accord préalable, recueilli dans des conditions conformes aux exigences du RGPD et de la DGCCRF, est-il un pas vers un démarchage téléphonique responsable? Même si le régime de l'opt-in est plus respectueux de la volonté des consommateurs que le système actuel qui permet d’appeler les prospects sans leur accord, il sera tout autant ignoré des entreprises qui s’affranchissent des lois. Pour elles, seules les sanctions les plus dissuasives et les innovations technologiques garantiront la tranquillité des personnes. Un exemple d’innovation : l’UFC-Que Choisir a mis en place , grâce à son fonds de dotation financé par les dons des consommateurs, l’outil www.respectemesdatas.fr pour que chacun puisse exiger de son opérateur de téléphonie qu’il ne transfère pas ses données à l’annuaire public ni à ses partenaires.
Que faut-il attendre de ces projets ?
“Le tableau qui précède, issu de recherches menées pour un livre, indique que le problème du démarchage téléphonique est une vraie préoccupation, depuis plus de trente ans, indique Manuel Jacquinet (rédacteur en chef du magazine En-Contact et qui vient d'achever un ouvrage sur l'avenir du démarchage téléphonique). Au Canada, les premiers groupes d'étude sur comment l'encadrer datent de 1991. On ne mène probablement pas la bataille contre les vrais ennemis, les robocalls et les sollicitations illégales, qui sont à l'origine du problème, dans plus de 75% des cas, aux USA et en France.
Letitia James (Attorney General ) et Jessica Rosenworcel, de la FCC ont toutes les deux prononcé quasiment la même phrase : le bénéfice à pratiquer du phone spoofing (des arnaques par téléphone) ou du démarchage téléphonique illégal est actuellement encore supérieur aux risques encourus. En France, la majorité des grandes marques se sont conformées aux nouveaux dispositifs : respect du nouveau plan de numérotation, Bloctel. Mais il reste de nombreux acteurs hors des clous, tout comme des opérateurs télécom qui ne se conforment pas au dispositif MAN, fondé sur le système STIR/SHAKEN, rentré en vigueur le 1er octobre. Celui-ci permet une authentification des appels. Pas vu, pas pris".
Regardez HBO. Ecoutez Sam J. Lipman Stern.
Sollicité par En-Contact, le sénateur Pierre-Jean Verzelen a indiqué qu'il ne connaissait pas précisément l'impact des robocalls. “Ce qui m'intéresse est de tenter de résoudre ce gros tracas de la vie quotidienne de nombreux français, qu'ils expriment à bas bruit. Je suis lucide sur le fait que notre seule PPL, si elle se concrétise, ne va pas à elle seule endiguer le problème”. Après une discussion informelle, au cours de laquelle le sénateur a semblé à l'écoute, nous lui avons conseillé de regarder Telemarketers, une série tirée d'une histoire vraie. Sam Lipman-Stern, l'un des héros, un ancien télémarketeur de génie employé à 16 ans au CDG, achève le 3ème épisode de la série avec la rencontre du sénateur du Connecticut, Richard Blumenthal. Sam informe ce dernier sur la nouvelle technique et fraude en plein essor aux USA, les PAC, du fundraising pas très vertueux. Le sénateur fait mine d'être intéressé, s'absente parce qu'il doit aller voter et passe le relais à son équipe, qui abrège finalement l'entretien..
“Il a devant lui un sachant, un de ces insiders qui, dans de nombreuses activités, vous détaille souvent la piste pour résoudre ou aller vers la résolution d'un problème. Il fait mine de s'y intéresser, de l'écouter. Mais dans les faits, il n'a rien fait depuis, sinon des courriers à la FCC, la FEC”, ajoute H.C, le journaliste d'En-Contact qui a enquêté aux US. “Richard Zeitlin, l'un des protagonistes impliqués dans les PAC, les Political Action Committee, a été rattrapé par la justice, après des années de poursuite. Le 10 décembre 2024, on connaitra la nature du jugement le concernant, qui pourrait consister en de la prison ferme".
Richard Zeitlin, 54 ans, ex-habitant de Las Vegas, a soutiré par téléphone, via de pseudo donations à des actions caritatives, des centaines de millions de dollars à des américains crédules et de bonne volonté. Ces derniers pensaient soutenir des causes justes, telles des associations caritatives, des programmes de recherche médicale. Avec Courtesy Call Inc et ses autres sociétés de télémarketing, il conservait en réalité 86% des fonds levés complète H.C. Car aucune régulation ne s'impose aux PAC".
Quand des journalistes ont demandé à Sam Lipman-Stern si les robocalls et ce type de procès allaient faire cesser le télémarketing illégal, ce dernier a souri: “Il est moins régulé et plus fou que jamais”, a-t-il répondu. Aux USA, en 2023, plus de 65 milliards d'appels ont été émis par des robocalls à destination des consommateurs américains. Et, lors de la dernière campagne présidentielle, le deux candidats ont massivement utilisé les techniques rôdées en son temps par Harpeer Reed, le geek qui aida Barack Obama dans la mise en place des phone call locaux. Tout ceci génère quantité d'appels.
Les bonnes nouvelles : le sénateur est abonné à HBO et Alta-Call est lancé
A l'écoute, le sénateur Verzelen a clôturé notre conversation en indiquant qu'il allait regarder HBO (Je suis abonné !) et que, très probablement, les éléments qu'il avait découverts lui serviraient à défendre son texte, le 14 novembre. Tant mieux.
- Ne quittez pas un correspondant cherche à vous joindre. Histoire, avenir et vertus du démarchage téléphonique, édité avec le soutien de l'opérateur télécom Manifone, sortira fin Novembre 2024. L'ouvrage a nécessité quatre ans de travail et des recherches menées aux USA, en Suisse romande, au Maroc, aux Philippines et en Israël. Il recense les innovations qui fonctionnent et déjà installées dans quelques call-centers, en France et dans le monde.
- Depuis plus de huit ans, une association de recherche sur les pratiques de télémarketing, Pacitel Embrouille, compile données et témoignages au niveau mondial. Elle travaille actuellement sur l'étude et l'efficacité des bots vocaux qui permettraient de prospecter avec des outils d'IA et de morphing vocal. Et elle a eu l'opportunité de tester un nouveau micro-casque, commercialisé à partir du 11 novembre, conçu par Alta Voce. Ce dernier, fruit de douze ans de recherche, optimise la conduction osseuse du signal et de la voix et améliore l'intelligibilité de celle-ci. Il est lancé par l'ex-équipe de chercheurs issus du CNRS, de l'IRCAM et un grand acteur industriel du télémarketing. On peut donc travailler à l'amélioration légale et vertueuse des campagnes de téléprospection, avec de réelles innovations.
- Les leads intentionnistes sont des prospects qui ont confirmé leur intérêt pour un produit, un service et acceptent à cet effet de communiquer leurs coordonnées pour être re-contactés.
La rédaction d'En-Contact.
Visuel de une (reproduction interdite). Extraits des cahiers de Georges Briand, un retraité qui consigne dans ceux-ci -et depuis des années- la liste des numéros qui l'ont appelé et sollicité. Crédit: En-Contact.