Noyelles-sous-Lens, il était une fois Marigny et Joly, le centre d’appels de France-Loisirs ...
…qui ne va pas mourir (call centers will never die)
L’héritage des “plate-formes” téléphoniques qui sont nées avec la VPC est-il encore vivace, tangible dans le Nord, à Lens, par exemple, et suffisamment attractif pour qu’un entrepreneur ait envie d’y re-déployer des centres de contacts ? C’est la question sous jacente à la reprise de France Loisirs qui dispose sur place d’une filiale au nom poétique et mystérieux: Marigny et Joly. Y sourit-on encore, au téléphone, quand ce dernier sonne ? Des équipes formées et expérimentées créent-elles la différence au téléphone par rapport à leurs homologues, en nearshore, où tant d'elles ont migré. Une sacrée bonne question !
Si une page s’est définitivement tournée pour France Loisirs, avec la reprise de l’enseigne par Derek Smith et Trésor du Patrimoine en décembre dernier et la fermeture de la plupart de ses boutiques, celle-ci conserve tout de même une base de 800 000 abonnés. Une occasion en (sang et) or pour Derek Smith, le pape de la VPC (vente par correspondance), qui connait bien le rôle crucial joué par les centres d’appels en la matière. Alors, remontada de Marigny et Joly, le centre de contacts historique de la marque, situé à Noyelles-sous-Lens ou… relégation ?
France Loisirs, un nom qui fleure bon la France d’antan. La success story qui, pendant longtemps, a fait du club de lecture, initié en 1970 par Bertelsmann et Les Presses de la Cité, une sorte de Netflix de la VPC s’acheminait depuis quelques années vers un brutal épilogue : un chiffre d’abonnés en chute libre, des licenciements, et, malgré les plans de relance, un déficit qui se creusait inexorablement. La société quinquagénaire n’avait manifestement pas su négocier le virage internet, la concurrence d’Amazon, ainsi qu’une certaine désaffection du grand-public pour la lecture. Les confinements ont achevé de rendre obsolète un modèle à bout de souffle, qui, malgré quelques signes de redressement de l’activité prépandémie, n’aura pas su se renouveler, Placée en liquidation judiciaire par Actissia, qui avait repris l’enseigne en 2015, elle s’est vue offrir un sursis par Derek Smith, vépéciste expert, via sa société, la Financière de Trésor du Patrimoine (FTP). Coût de l’opération pour ce dernier, 2,8 millions d’euros; 108 boutiques ont déjà fermé partout en France – un peu moins d’après FTP qui dans son calcul prend en compte les boutiques partenaires – 80% des employés ont quitté l’entreprise mais au Nord, l’histoire de Marigny et Joly pourrait connaître quelques rebondissements supplémentaires. Pourquoi ? Parce qu’on est dans le Nord, dans le berceau de la VPC et qu’on y a développé depuis longtemps une culture et une excellence dans la gestion des centres de contacts. France Loisirs, c’était tout même près 4,5 millions d’abonnés dans son âge d’or, près d’un foyer sur cinq en France.
Au nord, c’étaient les call centers
Marigny et Joly, à Noyelles-sous-Lens, qui fait office de centre d’appels pour la marque, a réalisé 2,6 millions d’euros de chiffre d’affaires en 2020, emploie encore un peu moins de trente personnes, la moitié de ce que le centre faisait travailler il y a encore moins d’un an. Mais ce que Derek sait, c’est que pour la vente par correspondance, tout passe et se fonde sur un bon fichier, un bon “call” et RFM (Récence Fréquence Montant), la règle monastique de la VPC : de quand date le dernier achat, à quelle fréquence l’acheteur se fournit en doses, et quel est le montant moyen des commandes ?
On a appelé semaine passée France Loisirs, en mode appel mystère, au 03 21 79 59 55, en se demandant si la qualité de prise d’appel serait au rendez-vous, s’il demeurait de cette culture de la VPC les beaux gestes techniques que même un joueur de foot conserve, dans la 2ème partie de sa carrière. Musique groovy façon West Coast années 80 (de celles qui donnent la pêche), appel décroché rapidement, sourire qui s’entend au bout du fil, capacité à reformuler et à proposer un abonnement à France Loisirs, avec souscription à la cagnotte : on a tout de suite compris pourquoi Marigny et Joly pourrait continuer, sous ce nom ou sous un autre, à prodiguer ses bons offices. On se croyait à vrai dire revenu à la grande époque des années 80-90, et à l’âge d’or de la VPC, quand les centres d’appels de La Redoute et des 3 Suisses faisaient la pluie et le beau temps, dans le Noooord. On a pourtant joué le client embêtant qui désirait être rassuré sur la livraison effective de sa commande.. Une société filiale d’un groupe qui a rencontré des difficultés, parfois, rien n’y fonctionne plus: nos doutes et notre indigence ont été dissipés sans coup férir. Reformulation parfaite, tonalité positive de la conversation et traitement convaincant des objections, tout y était placé, fluide et a sonné juste.
L’avis de l'experte et spécialiste : Magali Belot, confirme cette rapide analyse. (ex-directrice de site chez Armatis dans les Hauts de France et désormais directrice générale de CBA, qui a été repris par Paragon, fin 2020) : « Oui, sans aucun doute, il est dans la région difficile de recruter dans la filière centres de contacts et cette difficulté ne concerne pas que les centres d’appels de prestataires mais bien toute la filière, y compris les donneurs d’ordre, ce qui est récent. Mais en se déplaçant un peu, certains bassins d’emplois, tel celui de Lens, peuvent connaitre une situation différente. A 20 Km près dans la région, les habitudes changent. Je l’ai expérimenté. J’ai connu pourtant l’époque où la Redoute avait encore un centre de contacts, ici, qu’on a fermé. De telles activités avaient permis de créer des équipes très expérimentées. Ceux qui en disposent et les ont conservées jouissent d’un sérieux atout »
On songe alors à d’autres activités qui nécessitent un savoir-faire, comme la broderie, la dentelle, que la volonté de réduction des coûts, de pratiquer le lean-management a trucidés; il y a eu dans les Hauts-de-France plus de 220 centres de contacts, salariant plus de 10 000 collaborateurs. Il en reste quelques traces.
Un peu d’histoire sur Marigny et Joly
Élucider l’origine du nom de l’entreprise, fondée en 1958, s’avère très compliqué. Duo à la Laurel & Hardy ? Une Histoire des guerres Vendée et des Chouans depuis l'année 1792 jusqu'en 1815 mentionne un juge du même nom, nom également porté par un éditeur normand de l’entre-deux guerres. L’entreprise avait plus récemment absorbé VPC Service + à Beauvais, qui gérait le service client du Grand Livre du mois avant de passer sous pavillon France Loisirs en 2004 (source Le Parisien).
Elle s’était déjà vue amputée, après PSE, de son centre d’appels à Beauvais en 2018, dans lequel 32 personnes étaient employées, pour concentrer son activité dans les Hauts-de-France, à Bapaume – où celle-ci semble aujourd’hui inexistante, le numéro n’étant plus attribué – et à Noyelles-sous-Lens. Le mois de novembre précédant la reprise avait donné lieu à des grèves de la part d’employés qui redoutaient de perdre leur emploi. Et pour cause, la reprise, validée par le Tribunal de Commerce de Paris, a impliqué le licenciement de 118 des 218 salariés que comptaient les filières noyelloises du groupe. Chez Marigny et Joly, c’est notamment le service de supervision des conseillères clients qui en a pâti et les effectifs se sont vus diminuer plus que de moitié (source La Voix du Nord). Un choc pour des employés, qui décrivent une ambiance familiale au sein du groupe, ce qui a pu nous être confirmé par Christelle, une ex-employée, au téléphone : « c’était formidable, j’ai commencé par des missions d’appels, avant de faire de la réception d’appel et multimédia. » Un bon souvenir en particulier, celui d’avoir participé aux comités de lecture, avec des excursions à Paris à cet effet. En 2007, l’entreprise mettait en place une VAE avec un titre de Conseiller Service Client à Distance, qui venait récompenser la polyvalence et la performance de ses salariés, à la suite d’une proposition de l’Agefos PME Nord Picardie et de la DDTEFP et à laquelle seule Marigny et Joly avait répondu favorablement. Il s’agissait de valoriser cet héritage spécifique à la région et dont la reprise, les employés l’espèrent, maintiendra l’activité.
Derek Smith est un homme moderne et pragmatique. Dans le nord, les centres d’appel sont une forme de patrimoine, d’actifs dirait-on maintenant, un trésor même en 2022, période marquée par une très forte difficulté à recruter dans tous les métiers de services. Derek va t-il conserver son trésor, pour développer son patrimoine ? A suivre.
Manuel Jacquinet