Le téléphone, WhatsApp, Planity. Même chez les plus grands coiffeurs, la joignabilité est devenue décisive
Il faut (il fallait) pouvoir joindre David Lucas, Franck Provost ou Vidal Sassoon (mort en 2012) pour prendre un rendez-vous. Antoine de Paris, considéré comme l’empereur de la coiffure, fût l’un des premiers à installer le téléphone, dans son salon du 5 de la rue Cambon. Il le raconte dans son autobiographie, épuisée, qui sera bientôt rééditée*.
La joignabilité, une question qui n'intéresse pas uniquement les spécialistes du démarchage téléphonique, mais également tous ceux qui doivent jongler entre leurs obligations et la prise de rendez-vous. Planity a changé le quotidien des coiffeurs, de leurs clients, tout comme Doctolib l'a fait pour les patient. Antoine Cierplikowski, dit Antoine de Paris ou Monsieur Antoine, a révolutionné l'image de la femme, et l'expérience coiffure dirait-on aujourd'hui. “Ecrite par Jean Durtal, l'autobiographie d'Antoine est un témoignage fascinant sur le Paris du 20ème siècle, les stations balnéaires où l'on partait prendre le bon air. Mais Antoine séjournera également à Fire Island, connue pour sa communauté gay. Sa vie est romanesque. Pourquoi l'a t-on oublié ?” s'interroge le documentaliste, parti sur les traces d'Antoine, il y a quelques années.
Extraits
Si je devais parler devant les jeunes qui ont encore leur vie à faire, je leur dirais :
— Entreprenez, ne craignez jamais le qu’en dira-t-on, n’ayez jamais peur de rien. La peur est une insulte au créateur. Tenez-vous au-dessus de la piétaille. Soyez indépendant.
On m’a demandé parfois :
— Quel est le secret de votre réussite ?
J’ai répondu :
— Mon secret est un amour philosophique de la beauté. Pour elle-même et pour moi parce que j’en suis le serviteur.
On m’a alors posé la question-clé :
— Mais vous avez gagné beaucoup d’argent ? Vous avez eu, avant la guerre, deux avions personnels, un Farmann et un Stimson. Vous aviez votre propre pilote, ce qui n’était pas tellement commun. Vous avez vécu une vie royale en travaillant, certes, mais…
J’ai répondu :
— C’est vrai, mais je n’ai jamais eu tellement besoin d’argent ! Tout ce qui m’a été joie au monde n’est pas venu par l’argent. Quand j’achetai Gravigny, ma maison de campagne que je possède toujours, je ne fis là que le geste normal de tout Parisien qui souhaite passer le week-end au grand air… Ce n’était pas et ce n’est toujours pas un palais. Si les gens du petit pays furent un instant choqués parce que, y ayant érigé l’œuvre de Dunikowski qui doit, après ma mort, être placée sur mon tombeau, j’ai heurté sans le savoir leur façon conventionnelle de concevoir une sépulture ; je n’en suis pas responsable. Dans d’autres pays que la France, les gens veulent, de leur vivant, bâtir la demeure qui sera la leur après leur décès. Ils y attachent, sans la moindre ostentation, l’importance que j’y ai attachée moi-même. Ils s’y rendent sans appréhension pour y rêver. Ce que je fais.
Que je sois « excentrique », comme on le disait autrefois, ce n’est pas douteux. Que j’aime l’inédit et le non-conformisme en matière d’art, c’est sûr. Jean Cocteau, sans cette manière de voir, ne serait peut-être pas mon ami. Et son amitié m’honore. Elle s’est nouée aux temps de la découverte de la rue Cambon, car il y était mon voisin. Elle ne s’est jamais démentie depuis. Il a dit de moi, jadis :
— Antoine est un poète, et c’est sans doute ce don qui lui a permis de faire de la coiffure une véritable création artistique.
Il a dit vrai. J’ajouterai que je suis un drogué de la vie et du monde. Une voyante m’a dit un jour que je vivrai jusqu’à quatre-vingt-dix ans. J’en ai quatre-vingts et j’adore la vie. Cependant, les vêtements dans lesquels je veux être enseveli sont prêts…
Un journaliste vient d’écrire que j’avais commandé ma « robe de mort » chez un grand couturier. Et pourquoi non ?
On m’a dit encore souvent :
— Pourquoi un homme comme vous s’est-il marié ?
J’ai répondu :
— Le mariage est, certes, dans de nombreux cas, une forme de destruction esthétique pour les partenaires. Le sentiment de la jalousie est une lâcheté. Le snobisme est une faiblesse et l’expression d’une insécurité.
Dans ma vie, j’ai échappé à ces deux maux. La femme que j’ai épousée ne m’a pas détruit, bien au contraire. Elle a été ma raison. La base de notre équilibre conjugal a été son affection pour moi, sa compréhension totale de ce que j’étais, de mes particularités, de mon « grain de folie » qui était — convenons-en — parfois une vraie montagne ! Mais la façon qu’elle avait lorsque je déraillais — l’enthousiasme qui a toujours été le mien, un peu à tort et à travers, aidant — de suivre immuablement son chemin de travail, sans jamais jeter d’huile sur le feu, me redonnait d’emblée cet équilibre que j’aurais souvent compromis sans elle.
Ce fut elle, bien plus que moi, qui créa nos affaires de produits de beauté, notre école de maquillage, et les fit fructifier, si ce fut moi qui eus l’idée de la fameuse « maison de verre » qui a définitivement assis notre situation parisienne.
"J’ai coiffé le monde entier !”
C’est ce que peut, sans se vanter, dire Antoine, créateur de la coiffure d’art. Parti de sa Pologne natale avec quelques louis en poche il a, en soixante ans, conquis non seulement Paris, mais Londres, mais New York, mais Hollywood. On l’appelle aussi bien à Tokyo qu’à Rio de Janeiro pour donner le ton, car il ne s’est pas contenté depuis 1909, de libérer la femme en lui coupant les cheveux mais, en l’obligeant à être toujours impeccable, il a fait de son métier une vraie profession et du moindre coiffeur de quartier un poète.
Qui dit coiffeur dit souvent confident. Il fut ainsi celui qui sut écouter les plus belles d’entre les belles, confiant leur chevelure à ses mains magiciennes et leurs petits secrets à son inlassable sympathie. Rendre une femme plus jolie, n’est-ce pas lui redonner foi en elle, l’aider à vivre et, quand le temps de la jeunesse est passé, à survivre ?
Excentrique, secouant tous les conformismes, il fut l’hôte souriant de la célèbre maison de verre qui accueillit en son temps dans de fastueuses réceptions le Tout-Paris des reines, des actrices, des milliardaires et des bohèmes. Celui aussi qui, de la tête aux pieds, habilla, coiffa, travestit, pour des galas restés dans les annales mondaines, les plus élégantes parisiennes. Pris comme modèle par le film et par le théâtre il reste, au même titre que Poiret ou Sorel, un personnage. En parlant à bâtons rompus avec Jean Durtal, il a soulevé quelques voiles, rendu la vie à ceux qu’il a si bien connus, par des anecdotes inédites ; et c’est ainsi tout un passé à la fois charmant et cocasse qui surgit de ces pages où à tout instant transparaît le sourire d’aimable vivant de celui qui proclame : ”La vie commence à quatre-vingts ans !”
*par Malpaso-RCM.