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La vie intense, une obsession moderne, réaliste ?

Publié le 08 août 2023 à 09:31 par Magazine En-Contact
La vie intense, une obsession moderne, réaliste ?

Les propositions d’expérience, gustatives, touristiques, automobiles, fleurissent. Si nous aimons nous y abandonner, parfois sans précaution, c’est parce que la modernité désormais consiste à vivre intensément, à multiplier les expériences afin d’éviter la routine. 

C’est le propos, très résumé, d’un essai passionnant de Tristan Garcia : la Vie intense, une obsession moderne *, paru en 2018 et que nombre de directeurs marketing, directeurs de l’expérience client devraient lire : « Par homme intensif, nous entendons un sujet soumis à l’exigence d’être intense (..) pour répondre à l’injonction sociale d’aimer, de travailler, de s’amuser toujours plus intensément ». Mais l’intensité comme une obligation condamne à se lasser très vite, ajoute le jeune philosophe. Le risque de se lasser de congés payés savourés en France dans un joli pays rempli d’églises et de rivières et où prospèrent, l’été, des milliers de festivals n’est pas avéré mais on sait, depuis Jean de Florette que même la culture de l’authentique peut provoquer des drames. L’expérience du voyage commence avant le voyage, comme le savent les spécialistes du parcours client et digital et parfois celui-ci comprend des aléas. 

Le back-office de l’expérience : le service client, l’expérience collaborateurs.

Lisez, donc : les CGV (conditions générales de vente), un peu de philosophie ou Pagnol et bien sûr, les Cahiers de l’Expérience Client. Vous y découvrirez quelques tips de grands voyageurs et quelques pistes pour soigner vos clients lorsqu’ils veulent profiter de la piscine, du concert ou faire une réclamation. 

L’expérience collaborateurs est également devenue un sujet essentiel : d’une part parce qu’il ne saurait y avoir d’expérience mémorable sans ceux qui les fabriquent, mais également parce qu’on oublie souvent que l’expérience a un prix : celui de la sueur, de l’engagement des livreurs, des serveurs, de ceux qui préparent l’expérience. 

C’est à savoir : 

Le marché des excursions et des activités pratiquées pendant nos voyages s’élève à 150 milliards de dollars et est encore très atomisé. 350 000 prestataires s’y consacrent dans le monde « Les gens ont du temps, de l’argent et vivent de plus en plus vieux » se réjouissait récemment Fritz Joussen, le patron de TUI, un des leaders mondiaux du secteur. 

 

Les robots seront de plus en plus désirés. Et Daft Punk.

Extraits de l’interview donnée par Tristan Garcia à Grazia

Daft Punk, en 2013

Pourquoi l'intensité nous fascine-t-elle à ce point ?
Tristan Garcia : Même s'il est difficile à cerner, c'est un concept assez intuitif. A la différence des religions, qui promettent la vérité, l'éternité ou la grâce, l'intensité ne promet pas autre chose, mais plus de la même chose. On a vécu pendant deux siècles avec des promesses d'intensité : Rimbaud, les surréalistes, les futuristes... Je pense que la modernité, c'est l'intensification. Mais comme toutes les promesses, l'idéal d'intensité s'use. La liberté sexuelle et le sport arrivent à leurs limites. Même la transgression s'est épuisée. Et probablement, il y aura un retour en arrière, avec un désir de valeurs éthiques plus anciennes, de type religieux. Et je n'ai pas envie de ça.

Quel est le danger de la vie intense ?
TG : L'intensité condamne à se lasser très vite, donc cela produit un type d'humanité très versatile, qui apprécie moins l'expérience pour elle-même que le fait de passer d'une expérience à l'autre : professionnelle, amoureuse, sexuelle... L'homme intense ne ressent plus que des différences. Mais ce qui m'intéresse, c'est de ne pas le condamner ! C'est de comprendre pourquoi l'idéal d'intensité ne tient pas. Beaucoup de religieux avaient remarqué que les libertins étaient leurs meilleurs alliés. Une fois qu'ils avaient fait toutes les expériences possibles et qu'ils ne se sentaient plus vivre, soit ils se tuaient, soit ils se convertissaient.

Cela rejoint-il la revendication omniprésente d'être "soi-même" ?
TG : A partir du XVIIIe siècle, la société occidentale a du mal à proposer une transcendance, et des canons sur lesquels se modeler. Dans le romantisme, une œuvre ou une personne n'est pas belle par comparaison à un canon, mais si elle s'exprime pleinement. Or le seul qui peut savoir s'il est fortement ou faiblement ce qu'il est, c'est le sujet lui-même. Du coup, l'intensité devient une valeur refuge de la subjectivité, face à une société où tout se mesure, se quantifie. Il reste quelque chose qui n'appartient qu'au sujet lui-même. […]

Après l'ère de l'électricité, vous annoncez celle de l'électronique.
TG : Le modèle électronique, c'est la désintensification. Ça explique le passage, dans la musique populaire, du rock à la musique électronique. Dans le rock, on va voir des corps intenses sur scène. Avec l'électronique, on est fasciné par quelque chose de "machinique". C'est le rêve des Daft Punk. C'est passé aussi dans la sexualité, avec les sex-toys. Je pense que le robot est la figure qui va être la plus désirée à l'avenir. Tous les projets de la Silicon Valley attachent une forme d'impureté et de faiblesse à ce qui est organique, au corps qui fatigue, qui vieillit, qui perd de la mémoire...

Ça vous fait peur ?
TG : Ça m'intéresse. Il y a toujours quelque chose de beau dans la façon dont l'humanité se prend de fascination pour quelque chose. C'est une forme de religion qui se donne des moyens techniques. Mais ça ne résout pas la question fondamentale : quand on est un corps vivant, comment maintenir l'intensité de notre vie ?

*Editions Autrement.

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