Les centrales de réservation sont le Deezer de la montagne et des plages françaises
Bruno, c’est le planté de bâton qui ne va pas:)
Les centrales de réservation des stations de ski, comme celle de Valloire récemment, en appellent à l’État pour un calcul plus rationnel du fonds de solidarité prévu. Ces dernières, qui agissent en effet comme des agences de voyages, ont pratiqué le remboursement sans barguigner mais, pour avoir maintenu ce niveau de service et d’activité, rencontrent de sérieuses difficultés financières.
La montagne est belle
Moins connu ou célébré désormais que les Daft Punk, Jean Ferrat a écrit et chanté que la montagne est belle. C’est vrai : privés de ski alpin, de nombreux vacanciers se sont reportés avec bonheur sur le ski de fond ou les raquettes, à Bessans, aux Saisies, à la Chapelle d’Abondance, tandis que d’autres se souviennent avec émotion, comme le signataire de ces lignes, de leurs séjours en colonies de vacances; à Ancelle ou au Chalet de la Boule de Neige à Megève. Très certainement y a-t-il, parmi ces vacanciers quelques conseillers techniques dans des Ministère divers. Qu’ils songent à une chose : lorsqu’ils désireront demain réserver leur séjour à la montagne, préfèreront-ils le faire via Booking, Airbnb ou des centrales de réservation situées en France, employant des salariés français ou étrangers venus apprendre la langue, et en capacité, si la clé qui ouvre le studio est capricieuse, de venir les aider ?Le sujet peut paraitre technique mais il est surtout politique, au sens noble du terme.
Les centrales de réservation agissent comme des agences de voyages
Elles proposent à un client ou une famille de réserver à l’avance leur séjour, et lui apportent des contreparties notamment par exemple la garantie d’un remboursement en cas d’annulation, la possibilité de combiner dans un forfait tous les services et prestations liés au séjour: forfaits, location de skis, hébergement, etc. Elles mettent à disposition du personnel, sur place ou dans des centres de contacts désormais omnicanaux, afin d’informer, vendre, assister. Toutes ces choses qui concourent à l’expérience vacances fluide et sans tracas.
Vertueuses, une grande majorité d’entre elles ont remboursé leurs clients récemment, contrairement à des Expedia, France Billet (filiale de la Fnac), Air France, Go Voyages-Opodo qui ont soigné leur trésorerie mais n’ont proposé que des avoirs, avec l’appui légal qu’a représenté l’ordonnance du 2020-315 du 25 mars 2020. Quand elles ont d’ailleurs répondu à leurs clients, car quantité des acteurs du tourisme ou de ces plateformes ont préféré mettre leur personnel en chômage technique, différant d’autant le travail long mais fastidieux que nécessitent les remboursements.
Elles ont remboursé
La plus grosse centrale de réservation des stations de ski françaises indépendantes, Valloire Réservations, rencontre de graves difficultés financières et désirerait que l’État comprenne mieux la nature spécifique de leur métier : « Nous brassons plus de 6 millions d’euros de volume d’affaires, indique Thierry Durand, son directeur, mais notre véritable chiffre d’affaires est moindre puisque constitué par les commissions que nous prenons sur ces ventes. Sur les 7 salariés de la centrale, nous avons choisi de n’en mettre quasiment aucun en chômage partiel car il a fallu faire face et traiter plus de 72% d’annulations de réservation, ce à quoi nous nous étions engagés. L’indemnisation proposée par le fonds de solidarité est mal pensée car elle prend en compte le chiffre d’affaires de nos entreprises alors qu’elle devrait être fondée sur les charges d’exploitation. »
Comment en est-on arrivés là ? Dans ce secteur comme dans tant d’autres, les professionnels ont du mal à faire entendre et comprendre les particularités de leur métier : « L’État n’écoute pas suffisamment ses députés, indique Émilie Bonnivard, élue de terrain qui connait bien ces vallées dont elle est issue. Lorsque des réunions sont organisées, nous qui sommes les élus du peuple et vivons à son côté sommes moins écoutés que les socio-professionnels. Du coup, très souvent, les décisions prises sont hors sujet et lorsqu’elles viennent à être amendées ou corrigées ensuite, ça crée un retard à l’allumage très préjudiciable. Nous avons par exemple demandé à ne pas déclencher les indemnisations en fonction du code APE, qui est souvent erroné ou peu pertinent. Résultat : nous avons eu, parfois dans le même village, un boucher qui pouvait être aidé et pas un autre commerçant juste à côté. Par ailleurs, une image d’Épinal subsiste dans l’esprit de nos interlocuteurs, c’est que le ski et sa filière sont des gens riches, qui n’ont pas besoin d’aide. Mais c’est erroné, dans quantité de vallées, de stations, c’est de leur gagne-pain que nous parlons, de saisonniers ou de professionnels qui ne roulent pas du tout sur l’or et qui ont besoin de ceci pour vivre l’autre partie de l’année »
Les centrales de réservation sont des plateformes de vente, françaises
Les montagnards, les stations de ski françaises, tout comme les Daft Punk, participent de l’image et de l’aura du pays, et ne croient souvent qu’en eux pour maitriser leur destin (en 1997, le duo français signa avec Virgin un contrat inédit avec la multinationale « on voulait démontrer qu’on pouvait réussir à garder le contrôle et la liberté en travaillant avec une maison de disques multinationale sans se conformer aux standards du métier », Thomas Bangalter). Ce désir de maitriser leur avenir, cet attachement sont honorables et ont permis à des territoires de conserver ce qui fait leur modernité. Le Queyras ou la commune de Cervières- qui résista en 1972 aux propositions des promoteurs- n’attireraient pas tant si ils avaient choisi le même mode de développement que les usines à neige.
Elles vont devoir convaincre Bercy que leur pérennité, tout comme et pas moins que celle d’Air France, participe de l’indépendance et du devenir qui impactent des vallées entières. Car les centrales de réservation sont les bras armés de la commercialisation de la montagne: les données clients, le contact direct avec ceux-ci, les plateformes de paiement utilisées sont au cœur de la connaissance client, socle indispensable pour garder le contact final avec les touristes et vacanciers. Une centrale de réservations comme celle de Valloire dispose dans sa base de clients et prospects de 23 000 adresses mail et de 18 000 numéros de téléphone mobile, une vraie richesse… si elle parvient à conserver un outil de vente local. C’est donc le même combat et enjeu que celui des coopératives laitières qui produisent localement de la Tome des Bauges ou du Reblochon dans les Aravis et permettent de mieux rémunérer les paysans et agriculteurs locaux.
Les stations de ski ou balnéaires, les acteurs français du tourisme, qui agissent souvent en ordre dispersé- et c’est dommage- ont deux urgences : parvenir à convaincre Bercy et le Ministère du tourisme de l’intérêt tactique à les soutenir rapidement et de façon pertinente ; se mettre ensuite autour d’une table, peut-être en y associant la French Tech (on ne trouve dans le Next 40* aucun acteur de l’intermédiation commerciale dans le tourisme) pour professionnaliser encore plus leur capacité à vendre en direct, en digital et avec une proposition d’expérience client aussi bonne que celle de plates-formes bien connues. Ils le peuvent : les avis clients que l’on peut lire par exemple pour les centrales de Serre Chevalier, des Menuires, de Chamonix Réservations, Megève, toutes ces structures locales dédiées, démontrent un soin réel apporté au service, fondé également sur une très bonne connaissance du tissu local ( La campagne de publicité de NYC (New York City), voici des années, avait précisément choisi l’argument suivant: Ask the locals. ). Sinon, ils devront un jour, comme dans la musique, en passer par les Spotify ou Apple Music et leur conditions commerciales souvent léonines.
Tony Parker a investi dans le Vercors, à Villard-de-Lans mais… Il n’y a pas des milliers de Tony Parker, malheureusement. Pour aider la montagne à dunker, le basketteur Bruno Le Maire doit entrer en jeu.
Manuel Jacquinet.
*un indice censé représenter, bien qu’il fasse sourire certains observateurs, les pépites les plus prometteuses de la French Tech.