La « pause physiologique » la pause pipi, au cœur de l’expérience client, patients, collaborateurs
Chez Carrefour, Teleperformance, Webhelp, dans les hôpitaux, au Samu…
En 2016, chez Teleperformance et ces derniers jours encore, chez Webhelp à Saint-Avold, des journalistes, alertés par des salariés ou des syndicalistes, tentent de faire croire que l’entreprise qui les emploie ressemblerait à un enfer, notamment parce qu’on y chronomètrerait les pauses pipi.
Une étude plus sérieuse des contraintes de la planification permet de comprendre que dans les Samu, les hôpitaux, aux caisses des supermarchés ou dans les centres de contacts, on doit imaginer tout ce qui, dans le planning d’une journée de travail d’un salarié, le rend indisponible pour exécuter sa mission. C’est basique mais c’est ce le socle indispensable d’une performance nécessaire pour la qualité de service et d’accueil, voire de soins adéquats.
La planification permet de diminuer l’attente, notamment
L’attente que nous subissons -et n’apprécions pas- dans les hotlines, à l’accueil aux Urgences à l’hôpital ou aux caisses des super ou hypermarchés, nécessite de créer et d’imaginer des plannings de travail et de présence des collaborateurs, notamment grâce à la planification et aux logiciels de WFM (Work Force Management). Pour répondre de façon efficace et même personnalisée aux appels et aux différentes typologies de clients ou d’abonnés, les spécialistes de la performance et de la qualité dans les centres de contacts recherchent en permanence à disposer et à faire travailler des agents en nombre suffisant et dotés des compétences adéquates. Par exemple, un agent parlant anglais pour répondre à des appels d’anglophone ou en capacité de faire du support technique s’il s’agit de dépanner sur un souci technique. Un agent pouvant avoir plusieurs compétences, et les flux d’appels à traiter et prévoir étant par définition très variables, la tâche essentielle que constitue la planification consiste à tenter de prévoir les flux qu’on va avoir à gérer et à allouer, en nombre suffisant, les agents disposant des compétences (skills) nécessaires. Ceci également parce qu’on a au préalable estimé les temps de tâche moyens (time measurement). On imagine alors que, sur un plateau de 800 collaborateurs -ce qui n’est pas rare par exemple aux Philippines- ou de 400 agents en France, il faut prévoir pour les agents TOUS les motifs de non-disponibilité : les temps de pause légaux, qui peuvent varier selon les métiers, les conventions collectives, les accords de branche ou spécifiques, les temps de pause pipi etc. La pause repas voire le brief de formation sur les nouveaux process ou actualités commerciales, car elles représentent, mises bout à bout, des centaines d’heures de travail.
Deux pauses pipi de 6 minutes par jour = 16 collaborateurs supplémentaires à embaucher
Une pause pipi de 6 minutes par exemple, deux fois dans la journée, par agent, sur une plateforme téléphonique de 400 personnes, représente un temps off de 4800 minutes. Un agent de centre de contacts étant, dans les centres les mieux gérés, en capacité de converser avec un client 42 minutes par heure, il faut donc, pour pallier ces 4800 minutes « manquantes », disposer d’une capacité de 16, 32 agents supplémentaires pour prendre les appels qui arrivent sur cette même journée. Sauf à ce que vous entendiez le message irritant : « tous nos agents sont malheureusement indisponibles, merci de renouveler votre appel »
Imaginons un cas plus complexe ou vital encore, celui d’un Samu ou les médecins régulateurs ne seraient pas disponibles ou pas en nombre suffisant. Certains appels, d’ordre vital, préalablement traités dans le respect des procédures par les assistants de régulation, seraient alors transférés (pour une prise de décision sur l’éventuel envoi du SAMU mobile) aux médecins régulateurs. Qui seraient absents ou indisponibles pour traiter l’appel urgent. Ça ne vous rappelle rien, ces process mal respectés ?
C’est pour cette raison que lors de l’installation de logiciels de planification ou lorsque des plannings de présence sont prévus, les spécialistes RH, les syndicats et la direction des opérations tentent d’imaginer et de faire rentrer et de concilier les exigences de prises d’appels qualitatives et les impératifs sociaux, physiologiques, voire les demandes des salarié(e)s. Une mère de famille qui désire ne pas travailler le mercredi après-midi doit voir cette contrainte prise en compte dans le planning.
Le chronométrage de la pause pipi n’est souvent qu’une représentation hâtive de l’effort d’organisation réalisé en amont par la direction d’un centre, d’un établissement pour planifier le traitement de la charge de travail.
Pour information, on retrouve cette problématique dans d’autres métiers ou secteurs où l’on est amenés à gérer et optimiser des flux et des attentes, parfois vitales : les services d’urgence des hôpitaux, les caisses de supermarché, les services d’astreinte chez les ascensoristes, etc.
L’exemple de Teleperformance, « massacrée » médiatiquement par de nombreux médias, en 2016
Largement relayée par les médias alors (Europe 1, France Info etc, différentes chaines de télévision) l’accusation portée par certains syndicalistes représentant le personnel du site Teleperformance de Blagnac, selon lesquels les salariés devaient demander une autorisation par courriel pour avoir le droit d’aller aux toilettes, fût à l’époque réfutée par la direction de l’outsourcer, assez tardivement. Cette indignation était-elle justifiée ? Quelques rappels, afin de bien comprendre.
Le communiqué de presse de Teleperformance
Paris, le 24 mars 2016 - La Direction de Teleperformance France tient à préciser que les informations diffusées récemment concernant les pauses physiologiques des conseillers clients et largement relayées dans les médias ne correspondent pas à la réalité de notre fonctionnement ni au dispositif mis en place. Le système en cours d'installation et de paramétrage, et déjà utilisé par certains centres, ne pose aucun problème spécifique et est conforme à la législation du travail et aux accords de branche. Teleperformance est, de par sa nature, une entreprise où l'humain est central et tous les systèmes et processus sont construits dans le respect de ses collaborateurs.
Le point de vue de la rédaction
La réalité, que le magazine En-Contact suivit à l’époque depuis le début de l’affaire, semblait un peu plus complexe que la mise au ban générale du leader mondial des centres d’appels déclarée par tous les médias, sans qu’aucun d’entre eux ne soit parvenu à joindre au téléphone, avant cet emballement, Lucio-Apollonj Ghetti, alors Président de Teleperformance France.
Le leader mondial des centres d’appels était-il devenu fou ? Oui, si on peut s’exprimer ainsi, un peu fou de n’avoir pas réagi plus tôt aux déclarations d’un syndicaliste, dans un contexte qui était propice à des dérapages médiatiques. Etait-il « coupable » ? Non, nous ne le croyons pas, sinon d’avoir été négligent dans sa communication et la mise en place de son logiciel de planification (dans le jargon du métier, un logiciel de Work Force Management) car une telle installation est toujours complexe…
Les syndicats ont-ils allumé le feu ? Oui, comme Johnny, au moins pour l’un d’eux. Est-ce leur seul job ? C’est une autre question.
Les médias ont-ils fait leur travail ? Non ou plutôt, dans un seul sens, celui de clouer au pilori, une énième fois, un des industriels représentatifs des centres d’appels. La rédaction de France Info elle-même, en la personne de François Duport, avait reçu de notre part des éléments factuels sur cette histoire, qui ne furent jamais diffusés à l’antenne, ce qui autorisait une présentation plus manichéenne du problème.
La morale de cette histoire ? En version anglaise : Much ado about nothing comme dirait Shakespeare. En français ? Laissons pisser. Plus sérieusement, le travail, l’organisation de celui-ci et la prise d’appels sont des choses sérieuses, un peu de fact-checking ne nuit pas
Par Holden Caufield
Pour aller plus loin, lisez « Contre toute attente, 40 stratégies pour en finir avec le Pain Point numéro 1 de l’expérience client ».
Contre toute attente, par Manuel Jacquinet et Frédéric Durand, éditions Malpaso
En lire plus sur le livre Contre toute attente, ici.
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