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«J’aime bien me moquer des gens qui mentent». Entretien avec Gilles Martin-Chauffier, ex-Paris Match

Publié le 20 juin 2024 à 14:00 par Magazine En-Contact
«J’aime bien me moquer des gens qui mentent». Entretien avec Gilles Martin-Chauffier, ex-Paris Match

On a apprécié Clause de Conscience, savoureuse traversée de Paris et du monde de ceux qui mentent, presque en permanence: people, journalistes, personnalités en vue. 

Gilles, Rédacteur en chef de Scoop, le magazine hebdomadaire dans lequel tout le monde veut apparaître, n’a plus tout à fait le courage de mentir. Il n’est pas dupe. Un livre drôle, décapant, parfois féroce. Entretien exclusif avec Gilles Martin-Chauffier, l’auteur de Clause de conscience (Grasset), ex-rédacteur en chef de Paris Match, écrivain égaré dans le journalisme. 

L’IA générative, nous dit-on, devrait précipiter au tombeau les journaux, les médias et ceux qui consacrent des heures à dénicher la bonne info, la bonne photo, la bonne entame d’article. Après avoir lu, ce qu’on vous conseille vivement, « Clause de conscience », écrit par Gilles Martin-Chauffier, vous songerez que les grands magazines ne sont pas près d’être remplacés par Open ou Mistral AI, encore moins les écrivains en capacité de vous faire rire, réfléchir et interroger à la fois.

Les 234 pages du roman sont une plongée dans le quotidien de Scoop, un hebdomadaire dans lequel tout le monde veut être, apparaitre, ses conférences de rédaction, les rendez-vous professionnels durant lesquels on va récupérer une bonne info ou jeter les bases d’un papier qui fera le buzz. Photos incluses. Son auteur a longtemps été rédacteur en chef à Paris Match, dont on reconnait assez vite les contours ou des protagonistes. 

Gilles Martin-Chauffier à son domicile parisien © Edouard Jacquinet

Je me suis emparé du livre un soir, et n’ai pas pu le lâcher avant d’avoir fini. C’est un très bon signe. Mais il m’a donné envie d’aller titiller son auteur: décrire avec une ironie mordante l’univers, les gens, le monde qui vous ont fait vivre et dans lequel on s’est faufilé, sans trop d'encombre durant quarante ans, n’est-ce pas un peu simple ?

De quoi traite Clause de conscience ?
« Gilles, rédacteur en chef de Scoop, un hebdomadaire dans lequel tout le monde veut être et apparaitre, si possible sous son meilleur jour. « Pour y montrer sa trombine et y lire trois lignes favorables, tous les coups sont permis. Spécialistes de la communication en jupons, ministre pas très net, starlette émoustillante et moins cruche qu’on ne l’imagine, journalistes paresseux et corporatistes, restaurants parisiens où amis et ennemis se croisent (...) Tout le monde veut faire triompher sa vérité, vendre son client en mélangeant le charme, la menace, la promesse, la flatterie.

Clémence, une actrice qui n’a pas froid aux yeux, fait irruption dans la vie professionnelle de Gilles et va bouleverser le train-train de ce rédacteur en chef, revenu de tout. Alors tout va voler en éclats, entre Paris et l’Ile aux Moines.

Des personnages inventés se mélangent avec des noms célèbres. Tout semble vrai, donc tout peut être faux. Une certitude : ce précipité haut en couleur est atroce pour les journalistes ! Enfants gâtés, tiraillés entre la naïveté, la paresse, le confort moral et matériel, ils ne sortent pas grandis de ce jeu de massacre »

Extraits de la critique de Jérôme Béglé. Paris Match du 29 février

Qu’est-ce que vous rêviez de faire quand vous démarrez votre carrière de journaliste ?
GMC : Jeune étudiant, je ne songeais pas être journaliste. Je suis devenu journaliste en première année de Sup de Co puis le directeur du journal du Millésime, qui était le journal de l’ESCP. J’ai écrit un premier livre et c’est là qu’une directrice d’un journal, un peu dans votre genre (uniquement disponible sur abonnement), Gap, me recrute. Elle avait lu mon livre et m’a appelé en disant : « Ah, j’aime bien votre façon d’écrire ; j’ai des journalistes très techniques, qui vont au salon de la toile cirée. Ils m’envoient des trucs rasoirs et j’ai besoin que vous me le rendiez plus vivant » C’était le 1er janvier 1980. Dans ce même journal où cette dame me fit rentrer, il y avait une jeune journaliste dont le père était le rédacteur-en-chef de Match. Par conséquent, notre journal, que personne ne lisait, était lu par la direction de Match. Son père lisait mes papiers et m’a fait rentrer chez Paris Match.

Avez-vous le sentiment que le journaliste a une mission. Ou écrire était simplement votre passion ?
Ma passion, c’est d’écrire. Personnellement, ça a été ma force parce que je réécrivais souvent les articles des autres. A Paris Match, je m’occupais des pages Culture et j’y mettais de la passion. J’ai été pendant longtemps considéré comme un critique sévère, méchant, drôle. Mais il y avait des gens que je respectais énormément et qui étaient eux de vrais grands journalistes, c’est-à-dire de véritables enquêteurs : Michel Peyrard, Patrick Forestier, Jacques-Marie Bourget. Je peux en citer trente. Eux ouvraient les portes, ils allaient chercher les gens, les informations. Car Paris Match est un journal de grands reportages. Pour ma part, j’en ai fait quelques-uns, comme en Turquie, mais pas beaucoup. Je n’ai pas beaucoup sonné aux portes dans ma carrière.

Vous étiez réputé pour vos critiques très dures. Cela vous a-t-il attiré des ennuis ?
Oui, j’ai fait ça pendant vingt ans, et je ne me suis pas gêné. Je me rappelle mon papier « L’Interallié a soixante ans, bon anniversaire Grasset. » C’était très controversé. Il m’arrivait de faire de faire des papiers atroces, par exemple sur Philippe Sollers qui avait menacé de me casser la gueule. Pourtant, un an plus tard, je l’ai sollicité et il a été adorable. Il y avait d’autres critiques très méchants, comme Patrick Besson. Je pense qu’un jour, un écrivain descendra un critique. Mais quand on publie un livre, on s’attend à ne pas être aimé.

Ce hasard vous permet donc de gagner votre vie en écrivant, mais vous ne vous imaginiez pas grand reporter ?
Les gens fantasment beaucoup le rêve du journaliste grand reporter. Mon père était déjà rédacteur-en-chef du Figaro. Mon grand-père était à fond dans le journalisme politique et a créé un journal de résistance. Toute ma vie, j’ai vu et été entouré par des journalistes. Mais en réalité, c’est une profession plus paisible qu’on ne l’imagine. Ce n’est pas si exaltant. C’était dangereux sous l’occupation, mais aujourd’hui, c’est différent. Et, de toute façon, il ne faut pas se faire d’illusion sur l’impact de ce qui est écrit, même après des enquêtes sérieuses, des révélations. Chez Paris Match, on a par exemple prouvé, à une époque, que la marine américaine avait abattu le fameux AF 447 d’Air France, si mes souvenirs sont bons. Pourtant, pendant des années, les américains s’en sont moqués complètement : ils ont continué à faire leur cinéma, à sortir des morceaux d’épaves de la mer, comme s’il s’agissait d’un accident.

Gilles Martin-Chauffier à son domicile parisien © Edouard Jacquinet

C’est dans votre caractère ce côté désabusé ou est-ce votre carrière qui vous rendu ainsi ?
Non, c’est dans mon caractère. Mais j’ai eu mes moments d’exaltation. Par exemple, lorsque nous avons creusé sur Jérôme Cahuzac. Mais pour moi, la presse a plutôt été un instrument pour alimenter mes livres. J’ai plus été un écrivain égaré dans la presse qu’un journaliste qui écrit des livres.

Dans le livre, vous n’êtes pas tendre avec l’arrière-boutique, dont celle du journal, les réunions de rédaction et les protestations quand un grand patron rachète un titre..
C’est mon côté ironique et moqueur. La société française est tellement donneuse de leçons. Je voulais signaler que la démocratie est paisible. Il y a des dizaines de médias. Bolloré peut bien s’emparer de Paris Match si ça lui chante, il en existe bien d’autres. Dans les rédactions, il y en a qui se prennent pour Jean Moulin, prêts à défendre la France à tout propos, mais qui ne font rien. Je voulais donc faire usage d’un peu d’ironie sur ces indignations faciles, sur la façon dont les Français se drapent toujours dans la vertu. Les sociétés de journalistes, je les connais parfaitement. En privé, ils racontent leurs malheurs et leurs rivalités, en groupe, ils s’imaginent en jacobins solidaires. Il y a toujours un côté excessif et tartuffe. J’aime me moquer des gens qui mentent.

N’est-ce pas une posture un peu facile ?
Je suis dans la même logique que Balzac ou Tom Wolfe. Le sujet de ce livre est l’indignation factice et perpétuelle des français. Ce livre ne fait pas avancer le schmilblick, mais j’essaie de décrire au mieux le sujet. Il y a tellement de livres qui se prennent au sérieux. En ce moment, il y a ce phénomène des « juifs imaginaires » : ils partent tous à la recherche de leurs racines. C’est un filon littéraire. En France, tout le monde fait ça sans arrêt. L’autofiction a pris une telle proportion dans la littérature française, je la trouve ridicule et même nuisible pour la littérature française. C’est le côté, « Il n’arrive rien. Qu’est-ce qu’elle en souffre. C’est tout moi ». Il y a toutefois des écrivains qui racontent bien la société française, comme Houellebecq. Il y en a aussi qui brillent par leur style comme Antoine Blondin, qui n’a jamais rien raconté d’intéressant, mais qui écrit merveilleusement bien.

Gilles Martin-Chauffier à son domicile parisien © Edouard Jacquinet

Votre style est court, avec beaucoup de dialogues. Vous avez toujours écrit de cette façon ?
Non, dans mes dix premiers livres, il n’y avait jamais de dialogues. Je me les interdisais. J’ai horreur des locutions comme 
« dit-il », « pense-t-il ». Je trouve que l’ouverture avec deux points suffit largement. Depuis une dizaine d’années, j’ai vraiment mon style, je crois. Je n’ai jamais relu mes dix premiers livres, je me réserve ce plaisir.. ou cette déception pour plus tard. Pour moi, le plus important est de conserver mon ironie. Des œuvres comme celles d’Annie Ernault, avec un manque total d’humour ou de légereté, ça me dépasse, sans nier son talent.

Un bon livre de Gilles Martin Chauffier, ça fait combien de ventes, chez Grasset ?
De moins en moins, 15 à 20 000. J’ai eu quelques beaux coups, comme lors du Prix Interallié, qui m’a fait vendre 50 000 exemplaires. Bizarrement, j’ai eu deux très bonnes ventes avec le 
« Roman de Constantinople » et le « Roman de la Bretagne ». J’en ai vendu des caisses. « La Femme qui dit non se vend bien » aussi.

Pourquoi n’y a-t-il jamais eu d’adaptation au cinéma de vos livres ?
Oui, je suis l’adage de Hemingway, « jamais de flashback, jamais de flashback ». Tous mes livres avancent scènes par scènes. Grasset n’a jamais vendu un seul de mes livres au cinéma. La femme qui s’occupe de ça chez Grasset ne m’a jamais téléphoné pour en parler.

Pourquoi ?
Elle s’en fiche peut-être ; il y a vingt-cinq ans, elle m’a dit au sujet de mes livres : « C’est bien, mais trop français ».  Ce sont les éditeurs qui ont tous les droits. Une fois que j’ai fini mon livre, je le leur donne et ils gèrent, mais ils ne gèrent rien du tout en réalité. Ça m’est égal tant que je fais des livres et qu’ils existent.

Le magazine En Contact #132

Est-ce que Paris Match vous manque ?
Oui, après vingt-cinq ans de métier, ça manque. Les trois dernières années, j’avais une chronique sur l’actualité qui avait un grand succès. On recevait beaucoup de courriers de félicitations à ce sujet. C’était très amusant de la faire, je me foutais de la gueule de tout le monde. Je parlais de Mélenchon, des défilés de couture.

Dans le livre, où quantité d’histoires relatées sont vraies, parce qu’elles sont arrivées, une histoire sentimentale survient entre Gilles, le personnage central et une jeune actrice. Comment réagit l’entourage proche lorsqu’il peut apprendre des choses non sues, à la lecture d’une œuvre ? 
Si j’avais un reproche à faire à MeToo, ce serait de présenter les Françaises en victimes. En littérature, depuis Manon Lescaut et la marquise de Merteuil jusqu’à Emma Bovary et Thérèse Desqueyroux, ce sont plutôt elles qui mènent le jeu. Dans ce livre, je voulais montrer une jeune femme intelligente, provocatrice, séduisante et … manipulatrice. Rien à voir avec ces actrices qui mettent vingt-cinq ans à pousser la porte d’un commissariat pour porter plainte mais qui obtiennent en cinq minutes une place en première ligne du défilé Dior. En effet, il y a eu des modèles pour mon personnage. Mais, par chance, ma femme ne lit pas mes livres.

Propos recueillis par Manuel Jacquinet. 

Ici, des extraits du livre. 

Lire l'entretien de Franck Courtès

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