Crystal Pite : ballet symbiotique
Assister à un ou des ballets peut-il provoquer ces émotions que les marques entendent industrialiser, pour créer des expériences uniques?
Elle était revenue à l’Opéra Garnier jusqu’au 20 février avec Body and Soul. Pour le Guardian, c’est le « génie de la danse qui met en scène l’impossible », dans un article récent de Elle, c’est une « reine de chœur qui galvanise un public avide de communion et de sensations fortes ». Les parterres extatiques applaudissent devant les créations de Crystal Pite où des nuées de danseurs et de danseuses ne paraissent former qu’un seul corps parcouru d’irrésistibles pulsations. La danseuse canadienne, autrefois couvée par Benjamin Millepied, vole désormais de ses propres ailes et règle ses chorégraphies spectaculaires avec la minutie d’un joaillier ou d’un chef de plateau dans un call center. Ce qui pourrait paraître téléphoné, des vagues humaines se déplaçant, comme qui dirait, d’un seul homme, à l’unisson, ou en « canon », c’est-à-dire dans des saccades qui évoquent des flashs de lumière stroboscopique, témoignent en fait d’une discipline de fer dont feraient bien de s’inspirer les solutions dites complexes et omnicanales de la relation client. Les mauvais coucheurs peuvent bien grimacer, trouver cela « trop facile », « trop monumental », « trop colossal », rester insensibles à cette symbiose qui pourtant crève les yeux : danseuses et danseurs, eux, ne reviennent pas indemnes d’expériences indélébiles où ils ont trouvé une forme d’harmonie à nulle autre pareille. C’est tout l’art du ou de la chorégraphe, qu’il règne sur l’Opéra Garnier, où le public a fait un triomphe a fait The Seasons’ Canon en 2016. Et si Body and Soul n’avait pas autant convaincu lors de sa création, en cause un troisième acte un peu pompier de l’avis de aficionadas, c’est l’occasion, rare et précieuse, de juger sur pièce et de succomber devant cette « humanité servie fumante sur un plateau » (Manou Farine, Elle).